#1804

Lire des romans de littérature contemporaine situés dans les années 1970 s’avère une expérience un rien déstabilisante. Car la société présentée n’est guère différente de la nôtre, presque tout semble identique — et puis, de temps à autre, un détail rappelle que, oups, ce sont les Seventies! Par exemple, un des protagonistes de Capital (Maureen Duffy, 1975) s’étant fait agresser dans une gare de banlieue, doit retirer du liquide car il n’a plus d’argent. Pour cela… il doit se rendre en bus jusqu’à sa banque, et retirer de l’argent au guichet. Pas de distributeurs muraux, bien sûr. Ah, et la mode! « Everywhere I look there’s the same imitation of ‘thirties, ‘forties, ‘fifties fashions that were hideous in their day and have gained nothing by regurgitation with a touch of green and mauve camp. » Comme quoi, la mode du revival ne date pas d’hier — ou plutôt si, justement, elle date déjà d’hier. Rire à la description que le perso, un auguste prof d’université, fait de sa propre vêture: « the last of the dandies in ruffles and velvet »! Un de ses collègues s’occupent de cybernétique — décalage constant entre un design contemporain et une salle d’ordinateurs telle que e me l’imagine spontanément, et de ce qu’ils sont réellement dans ce roman, à cette époque. J’ai eu la même impression de décalage un peu troublant en lisant un « Bryant & May » également situé dans les Seventies. Avec le problème supplémentaire d’avoir quelques difficultés à imaginer les deux détectives moins âgés que d’habitude.

#1803

Je disais que je reviendrai sur le sujet des « Bryant & May » de Christopher Fowler. Voici donc. Il faut dire que j’ai dévoré les six premiers volumes (j’attends le septième en softcover) en fort peu de temps, genre en un mois, quelque chose comme cela. De temps à autre, un tel « marathon » est bien agréable, je trouve. Histoire de totalement s’immerger dans une oeuvre. Et il faut également dire que, cette oeuvre, j’ai eu l’étonnante impression… qu’elle était faite rien que pour moi, sur mesure, et même quasi en simultanée de ma lecture. Car ces « Bryant & May » se déroulent tous en fin d’année, quand la pluie frappe, que les ciels sont bas, que les jours sont courts et sombres. Exactement comme lorsque je les lisais — et j’ai terminé par White Corridor, où les deux vieux flics sont enfouis dans les congères, pile au moment où la neige tombait à gros flocons sur Lyon. Outre cette sensation de simultanéité de mon expérience climatique avec celle des récits, une autre part de mon plaisir provint bien sûr du sujet profondément londonien de cette série. Mieux encore: je reconnaissais les lieux, pour la plupart. Une familiarité encore renforcée par le style et l’humour de Fowler, par son érudition aussi — jubilatoire. Enfin, et ce ne fut pas le moindre des « effets Bryant & May » pour moi, cette familiarité joua également pour les structures narratives et les modes d’inspiration de l’auteur.

Cela pourra paraître prétentieux de ma part, bien sûr, mais ces romans, j’ai souvent eu l’impression que j’aurai, presque, pu les écrire. Tant j’en reconnaissais la manière dont l’auteur construisait ses récits, ses solutions narratives, tout cela: son projet. Il faut dire (encore) que je me suis consacré durant quelques années à l’écriture d’un cycle de fictions situées à Londres, avec un duo d’enquêteurs comme protagonistes et le « trivia » londonien comme source principale d’ambiance et d’intrigues. La première nouvelle fut publiée dans l’antho Escales sur l’horizon, une autre parue dans la revue québécoise Solaris. Et c’est tout: entre-temps, le cycle essuya des refus auprès de toutes les maisons d’édition, qu’elles soient de polar ou de SF, auxquelles je le proposa — et elles furent nombreuses. L’échec sur toute la ligne, quoi. Pourtant, des amis connaisseurs (tels Bellagamba, Mauméjean et Régnier) me disaient aimer ces fictions, mais personne n’en voulait — de l’uchronie juste au niveau du décor, du polar mâtiné de SF, des nouvelles, pouah, pouah, invendable mon bon monsieur! Alors soit, la mort dans l’âme j’ai abandonné ce que j’avais cru être mon « oeuvre maîtresse », quelle vanité, j’avais pensé trouver ma voix mais faute qu’on veuille l’entendre, il me fallait bien m’avouer vaincu, peut-être m’étais-je fourvoyé. 750 000 signes terminés, au moins la moitié autant de diversement entamés. Dommage.

Depuis, j’y repense souvent. Sans jamais trouver le temps d’y revenir, malgré l’envie que j’en ai toujours. Bodichiev (c’était mon détective) attend encore dans son tiroir. De temps à autre, je songe à l’auto-éditer en tirage limité, allez, juste histoire que ça existe un tout petit peu. Mais le temps… Enfin bref, l’oeuvre de Chris Fowler, j’ai eu l’impression étrange (traitez-moi de mégalo, tant pis) qu’il s’agissait d’une sorte de version… uchronique des envies, des motivations narratives que j’avais pu avoir. En long, en abouti, en passionnant — en publié. J’ai adoré. Forcément.

#1802

Dans une vie antérieure, j’ai longtemps bossé en librairie de bédé. Et je m’étais toujours juré que, lorsque je quitterai cet emploi passablement ingrat, je m’abonnerai à Spirou.

Et je l’ai fait, mais hélas une nouvelle formule fut lancée qui ne me plaisait pas du tout, et je laissai tomber cette revue. Avec l’arrivée du nouveau rédac-chef, Frédéric Niffle, Spirou m’a de nouveau séduit et je me suis réabonné, retrouvant donc le plaisir de recevoir tous les vendredis (enfin, quand la Poste daigne faire son boulot) mes 52 pages de bédés Dupuis. Et je suis très attaché à cela, à cette « dose » de bédé hebdomadaire — en dépit du fait que, inévitablement, tout ne me plaît pas tout le temps. Quand ils publient un épisode de « Papyrus », par exemple, brrr, cette horreur! De Gieter n’a jamais été bon, mais de nos jours c’est pire que tout, maladroit et tremblotant. Quant à Raoul Cauvin, franchement, j’attends avec impatience qu’il prenne enfin sa retraite, car il parsème le journal de bandes réactionnaires et gentillettes, assez pesantes.

Reste que cette semaine j’étais content: sous une très belle couverture, débute une nouvelle série par les Kerascoët, sur scénario de… Hubert, ce scénariste que j’ai justement découvert tout récemment et que j’adore déjà, un formidable « raconteur d’histoires » comme je les aime. Je suis également très content de voir mon copain David de Thuin en ces pages, car j’admire infiniment son dessin — mais le scénario, hélas… Aïe! Non seulement c’est du Cauvin, mais le sujet est, pour dire le moins, scabreux et de très mauvais goût, à l’extrême limite de l’homophobie. Pauvre David, contraint de dessiner cela. Et ça tombe d’autant plus mal que, justement Spirou commence à aborder le sujet de l’homosexualité. C’est le cas dans « Mon pépé est un fantôme » de Taduc (toujours agréable), et mieux encore dans « Tamara » de Darasse, qui depuis que son héroïne sort avec le beau mec de la classe, est une bande qui a acquis une douce maturité, et dont l’un des persos secondaires est gay. J’aime bien voir la manière dont, dans des bandes classiques pour pré-ados, un sujet aussi « sensible » est finalement être traité. Faudrait juste que ledit journal parvienne à bloquer chez pépé Yann ses bouffées d’homophobie récurrentes qui entachent des albums one shot de « Spirou & Fantasio » par ailleurs assez bien troussés.

#1801

« Tu blogues sans arrêt ! »
« Comment tu fais pour écrire tant de livres? »
« Dis donc, tu n’arrêtes pas. »
J’entends beaucoup ce genre de commentaires, qui m’amusent et me surprennent un peu. Franchement, je songe souvent à des textes pour ce blog, que finalement je ne prends pas le temps de rédiger, pour plein de raisons. Je pourrais donc plus bloguer, en fait.
Et idem pour l’écriture de bouquins: comme le dit Fabrice Colin, c’est bien simple, il suffit… d’écrire chaque jour. A force à force, ça en fait, des lignes! Et ça en fait, des bouquins.

Je pourrais, je voudrais, je rêverais d’écrire plus, d’ailleurs, beaucoup plus. Ce qui m’en empêche? A la fois la direction au quotidien des Moutons électriques, qui me « bouffent » un temps considérable — je ne m’en plains pas, je constate seulement: comme chantait cette chère Joséphine, j’ai deux amouuurs, mon écriture et ma maison d’édition. Et puis, aussi et hélas, ma forme physique. Non pas que j’aille mal le moins du monde, mais tout de même, c’est qu’on ne rajeunit pas, mon bon monsieur. Je fatigue plus vite qu’antan, au moindre trouble du sommeil ou au moindre bouleversement de routine (comme en ce moment du fait des travaux) je suis crevé, ai mal au dos, bref, je ne suis plus tout jeune, quoi. Alors je gère, j’écris autant que possible, mais en sachant que ça ne sera jamais assez à mon goût.