Il y avait longtemps que je n’avais pas fonctionné en « mode Bodichiev », c’est-à-dire réfléchi en toile de fond à une éventuelle enquête de mon personnage fétiche tout en visitant une ville.
Je n’avais par exemple pas du tout été en « mode Bodichiev » à Florence, à Venise ou à New York. Sans même parler de les écrire, réfléchir à de tels textes demande un certain état d’esprit dont je m’étais éloigné avec l’échec de parvenir à placer le recueil, considéré (de manière raisonnable) comme invendable. Car Bodichiev pour moi, ce n’est pas juste écrire une histoire : c’est une démarche psychologique particulière, très personnelle, une envie de mettre en fiction des éléments de culture et d’ambiance. Trop personnelle, peut-être, d’où l’échec commercial, en cette époque où jouer avec les codes du genre « littérature de l’imaginaire » sans donner dans les lieux communs est tout de suite qualifié de « exigeant ». Cependant, maintenant que je me suis résolu à en proposer une luxueuse auto-édition, et bien que n’en ayant vendu à ce jour qu’une trentaine, j’ai tout de même l’impression que Bodichiev existe un peu, si j’ose m’exprimer ainsi. Qu’il prend corps plus seulement pour moi. Et deux lettres louangeuses arrivées coup sur coup ces derniers jours me mettent un formidable baume au coeur, je dois avouer — eh, écrire pour son propre plaisir et pour un quarteron d’amis fidèles cela va bien un moment, mais tout de même, écrire c’est vouloir aller au-devant d’un public, qu’on ne vienne pas me prétendre le contraire. Pas pour rien que j’ai parlé de vanity press pour cette édition.
Je viens de recevoir les relevés (et royalties) pour mes deux albums illustrés avec Colin chez Hachette, et c’est assurément tout autre chose : on a largement dépassé les 10 000 ex de chaque. Mais Bodichiev, pour ultra confidentiel qu’il demeure, me tient toujours grandement à coeur et, à Vienne, je me suis surpris à me placer once more en « mode Bodichiev », sans même avoir cherché consciemment à le faire — et donc, à trouver des éléments qui pourraient compléter cet univers en toute logique (une église anglaise au bord du Danube, une place du Mexique…).
Nous verrons si la rédaction s’avère possible : écrire de la fiction est formidablement time consuming, et me demande qui plus est une sérénité que je n’ai pas atteint en cette année bousculée et compliquée. L’horizon proche pour les Moutons électriques me semblant plutôt lumineux, j’espère grandement que l’année qui vient sera comme j’avais pensé que celle-ci serait, à savoir calme et tranquille, financièrement stable et donc propice à plus de travaux scripturaux, y compris très personnels. La solitude, avec laquelle je dois hélas renouer à la rentrée, risque de mettre en péril cette quiétude intellectuelle, mais enfin, nous verrons, peut-être pourrai-je de nouveau avancer sur les multiples nouvelles de Bodichiev qui se trouvent en divers état d’avancement ou de notes. Trouver l’espace à la fois temporel et mental pour cela : une question d’équilibre.