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L’idée en provenait, bien sûr, d’une conjonction d’éléments. En particulier de The Game, la pratique des amateurs de Sherlock Holmes consistant à tout étudier du point de vue de l’existence réelle, historique, de leur héros ; et de là, de la collection que Francis Valéry avait brièvement lancé chez un éditeur-escroc, la collection Héros où j’avais d’ailleurs publié alors ma première étude sur Arsène Lupin — et où je devais faire celle sur Sherlock Holmes, mais le projet me fut raflé sous le nez au profit d’un opuscule mal fagoté et presque illisible, par la grâce dudit éditeur-escroc. Enfin bref. En agitant des idées pour la création des Moutons électriques, j’avais très vite conçu celle d’une série d’études biographico-biblio sur de grands mythes de la littérature policière et populaire, série pour laquelle Xavier Mauméjean trouva en définitive le nom de Bibliothèque rouge — bel hommage à la Verte et à la Rose de nos enfances, et au rouge des crimes.

Le concept s’est rapidement construit, avec tout d’abord deux volumes, sur Holmes et Lupin, encore assez télégraphiques dans le style mais déjà bien copieux, qui eurent bonne presse et s’épuisèrent prestement. Puis en étoffant un peu le style, le concept s’équilibra dès le troisième tome, sur Hercule Poirot, et nous embauchâmes quelques collaborateurs pour apporter leurs plumes et leurs éruditions à cette somme en construction. Peu de chroniques dans la presse, globalement — évoquer les grandes figures du roman à énigme n’est sans doute pas assez dans le vent — mais la collection marcha bien, s’imposa comme un pilier de la maison. Quelques volumes ne virent finalement jamais le jour — le Tarzan parce l’auteur abandonna en cours de route, le Routabille parce qu’il n’y avait apparemment pas assez de matière, le Juge Ti parce que l’auteur n’en écrivit jamais une seule ligne —, mais enfin, ce sont peu à peu 19 volumes qui s’alignèrent, avec leur beau dos d’un rouge bordeau et leur riche iconographie intérieure.

Après ces quelques années, je n’étais plus tout à fait satisfait du Holmes, par ailleurs épuisé depuis longtemps. Et à en discuter avec mon complice, le professeur Mauméjean, et alors que nous envisagions avec regret une fin prochaine de notre collection, un renouvellement du concept se fit très naturellement jour. Ce sont les nouveaux Bibliothèques rouges qui paraissent maintenant: pas de simples rééditions, mais des textes entièrement réécrits, nouveaux, et dont l’orientation est désormais absolument biographique. Le concept renouvelé étant donc de nous concentrer sur l’écriture de bio « comme des vraies », plus fouillées et profondes que jamais. Établir la bio de Holmes, de Lupin (qui vient juste d’arriver), de Poirot (qu’on écrit en janvier) ou de Tarzan (sur laquelle Alexandre Mare travaille actuellement), comme l’on établirait une bio de Monet, de Churchill ou de Camus. Et comme Xavier m’exposait sa brillante idée, dans ma tête naissait déjà l’image d’un beau pavé blanc, le plus épais possible et faisant foin de l’illustration de couverture que certains libraires nous reprochaient: une bio littéraire avec un look de bio littéraire, pour de bon. Au point que nous avons même réduit le rouge du dos à une élégante bande, et que l’iconographie se concentre en quelques cahiers sur papier couché.

Alors voilà: Arsène Lupin, une vie, mon nouvel opus (comme il est à la mode de le dire), vient d’arriver — le livreur m’a même réveillé, ce matin. Lupin, encore? Eh oui, et du neuf, un point de vue renouvelé, approfondi, un travail contextuel encore plus important, avec quelques nouvelles découvertes et élucidations en prime… On y croisent aussi des gens comme Sherlock Holmes, Raffles, le voleur de Darien, Georgette et Maurice Leblanc, l’empereur Guillaume II, Oscar Wilde, Fantômas, Rouletabille, Marcel Proust, Claude Monet… Et tant qu’à faire, ce travail m’a donné de nouvelles pistes, tout un concept voisin, afin de poursuivre la collection: la Bibliothèque rouge a encore de très beaux jours devant elle, je vous le promets.