#2133

Pour prolonger mes propos d’hier, je reçois justement ce matin le Spirou de la semaine prochaine, où débute la publication en feuilleton de Gringos Locos, par Yann et Schwartz. Cet album est un biopic sur le voyage de Jijé, Franquin et Morris en Amérique, en 1948. La bédé se met à mettre en fiction ses propres auteurs: étonnant et fascinant phénomène, je trouve, proprement post-moderne. J’ai vu qu’on avait aussi réédité la belle bio en bédé d’Hergé dessinée par Stanislas. La bande dessinée est donc arrivée à une étape de sa maturité où elle peut revenir sur elle-même, s’emparer de certains de ses créateurs pour se raconter et construire sa propre légende.

#2131

Je viens de lire Quoi !, le livre de souvenirs sur l’Association, qui devait sortir chez Shampoing et qui finalement est bien à l’Asso, maintenant que Menu a démissionné. Étrange livre, terriblement nombriliste — combien de personnes ça intéresse, les querelles, le désamour d’une bande de copains dessinateurs? Plein, je suppose, car l’Asso, malgré tous ses travers (notamment celui de focaliser l’attention médiatique alors qu’il y a ou a eu tant d’autres structures indés en bédé), l’Asso c’est historiquement important, un tournant dans la bédé francophone. Et moi ça m’intéresse, mais cette lecture m’a rendu triste, très triste.

Pas seulement parce que je suis moi-même éditeur — et l’histoire des Moutons électriques n’a rien à voir, ç’a toujours été, depuis le début, « ma » maison, même si j’ai toujours eu envie d’un travail un peu plus collectif, et même si l’empreinte de mes compagnons de route me semble avoir été déterminante (et l’est plus que jamais). Patrice, Olivier, Sébastien, Raphaël, Xavier, Julien, Jean-Jacques, Gizmo, Daylon, Dave, Anthony, Nicolas, Patrick, Christophe, Isabelle, Michelle, Alexandre, Jean-Philippe… et tant d’autres, les associés, les auteurs, tous cruciaux pour animer/alimenter l’éditorial d’une maison si petite et si indépendante. Et puis Menu a poussé les autres vers la sortie lors de sa crise de la quarantaine, tandis que moi, c’est moi qui me suis foutu à la porte de la librairie à cet âge-là pour changer de vie et devenir directeur littéraire.

Mais l’Association, dès le départ et même avant, dans ses prémices, a longtemps été importante pour moi. J’achetais le Lynx et les Lapot a Menu à Angoulême (il était désagréable, ce qui chaque fois désolait mon petit coeur de fan); j’avais eu tous les fanzines de Lewis et fut parmi les premiers à le publier (en couv de Yellow Submarine); j’ai encore sur le mur de mon bureau un grand et bel original de Mokeït, acheté lors d’une vente d’illustrations à Drouot (une folie)… J’avais donc adhéré à l’Asso, les images de chocolat sont encore dans un tiroir du bureau — mais je ne sais pas s’il y a jamais eu un album pour les recueillir, parce que j’ai cessé d’être adhérent, me sentant de moins en moins concerné par ce que l’Asso publiait (même si j’y lisais encore de belles choses, genre la rééd de Mattioli ou l’admirable essai de Christian Rosset). Et puis il y a eu, ces derniers mois, la fameuse grève, les réunions, tous les articles, et le départ finalement de Menu. Triste. Et passionnant.