En parlant de butter-coloured stucco, c’est là un élément de l’architecture londonienne que je trouve admirable — j’allais écrire « que j’ai toujours trouvé admirable », mais justement non, j’en ai soudain réalisé la qualité un soir (déjà lointain) que je me trouvais dans Chelsea, à côté de la Tate Britain (alors encore seulement Tate Gallery). Le jour tombant rasait les façades de rayon bas et chauds, et sous le ciel gris qui s’assombrissait les immeubles prirent une teinte dorée, reflétant admirablement le peu de lumière qui restait. Et par les jours de pluie et/ou de ciel bas, si nombreux, ces mêmes façades à la délicate teinte de beurre frais semblent presque rayonner, elles réchauffent visuellement la ville comme du blanc, froid, ne saurait le faire. Ainsi la couleur dominante des alignements d’anciens hôtels particuliers possède une raison pragmatique, celle des vibrations lumineuses. Ce qui me remet aussi à l’esprit une émission de jardinage que j’avais vu un jour, émission british bien entendu, où le présentateur expliquait l’importance d’avoir des fleurs violettes — car c’est la dernière teinte qui vibre lorsque le jour tombe ou qu’il y a peu de lumière.
Point de façades butter-coloured à Édimbourg cependant, la pierre locale étant d’un beau gris bien soutenu, avec de-ci de-là des bâtiments en larges pierres de grès rouge, que l’on croirait tout de terre cuite. Ce gris ne vibre guère, il est stable, inchangeant selon la couleur du ciel. Cela confère à la ville une sorte de massivité tranquille, qui m’a semblé assez unique lorsque nous avons traversé les quartiers ouest pour nous rendre en bus jusqu’au petit port de Leith. Plus tard, en passant à pied dans les mêmes quartiers ouest, en débutant par le ravissant Charlotte Square, c’est ce même gris qui m’a frappé, d’une teinte non sans délicatesse mais sans concession. Dans les deux vieilles villes, Old Town et New Town, ce gris est compromis par la pollution, souillé de noir. Est-ce pour autant d’une terrible tristesse? Pas forcément: lorsque j’étais étudiant, Bordeaux présentait le même visage de suie noire et je trouvais cela délicieusement gothique, cette noirceur conférait à la ville une patine, une force même, qui camouflait un peu son délabrement (la pierre de Bordeaux est, normalement, d’un blond presque doré: la ville a donc radicalement changé de visage avec les rénovations, mais elle redevient vite grise car cette pierre est fragile, très poreuse, Bordeaux s’assombrira donc tant que durera le règne brutal de l’automobile-reine).