#2333

Jean-Christophe Menu vient de publier un livre que j’aurai rêvé de faire, dans sa nouvelle incarnation éditoriale de l’Apocalypse. Un recueil des Lundis de Delfeil de Ton. Non que les Moutons électriques puissent aller sur ce terrain-là, mais dans l’absolu, je rêvais depuis longtemps d’un tel recueil — Menu l’a fait, merci à lui.

Quand j’étais ado, mon jeune oncle entreposais dans le grenier de mes parents des tonnes de bouquins à lui, dont il n’avait plus que faire. Le contenu de ces cartons reflétait une curiosité formidablement hétéroclite, ça allait du freudisme à la guerre sauce Sven Hassel (qui vient juste de passer l’arme à gauche, tiens). Et en parlant de gauche, un jour je tombais sur un 10-18 à la couverture grimaçante (par Topor) : Palomar et Zigomar tirent dans le tas, par Delfeil de Ton. Je ne sais ce qui me conduisit à choisir un tel livre, mais cette lecture me séduisit énormément — ce fut sans doute ma première approche d’une pensée de gauche (cet oncle sera sans doute fort surpris d’apprendre qu’ainsi il initia mes penchants politiques). Cette plume caustique et critique, les thèmes sociaux et politiques abordés, la fibre idéaliste sous-jacente, tout ceci toucha quelques cordes sensibles dans mon moi adolescent. Par chance, la bibliothèque que je fréquentais à Cergy-Pontoise était tenue par des hippies, sans doute pas tellement de droite, et je trouvais dans leur fonds d’autres volumes de cette réédition des chronique de DDT provenant de Charlie Hebdo. Et puis je lus, non pas Charlie Hebdo, mais Charlie Mensuel, et là le choc : Gébé, en particulier. « Tout s’allume ». Et un peu plus tard, au centre culturel qui avait repris ce fonds, je découvris la bédé plus ou moins engagée : les histoires de banlieue de Caza, tout Gébé, Les Phalanges de l’ordre noir de Bilal & Christin… Et je me mis à lire la collection des La Gueule ouverte, les plus récents Pilote et Charlie, Métal Hurlant bien sûr… Puis un prof de lettres me fit découvrir la SF d’alors, la « spéculative fiction », Brunner, Jeury, Spinrad…Il arrivait que je discute de politique avec mes copains, mais c’était toujours pour arriver au constat qu’eux trouvaient tout naturel les choix de leurs parents (conseillers municipaux de droite, pour la plupart), tandis que moi je m’interrogeais, détestais le catéchisme, avais inventé tout jeune un terme péjoratif et méprisant pour les militaires parce que « bidasses » était trop gentil (dans ma tête, j’utilise encore ce mot de « miloches ») ; oh je n’étais pas un jeune rebelle, je me posais des questions, c’est tout… J’avais quelques raisons pour cela : le père de Greg avait reçu chez lui le ministre de l’Intérieur, ce Poniatowski dont la presse que je lisais disait qu’il était un atroce facho ; un jour que j’avais rendu visite à une jolie voisine son frère m’avait ouvert la porte et j’avais réaiisé qu’il était encore plus beau, car non seulement il avait la grâce de sa sœur mais « en plus » c’était un garçon ; dans ma tête tout cela se mêlait, les questions écologiques, l’architecture et l’urbanisme (je n’étais pas en ville nouvelle pour rien), les désirs sexuels non reconnus par la société (j’avais même lu dans un numéro de La Vie, chez les parents cathos d’un ami, un papier sur le suicide chez les jeunes homosexuels et ça m’avait gravement remué — une question toujours atrocement d’actualité d’ailleurs)…

Enfin bref, Menu publie DDT et c’est bien. Ayant revu mon copain Bernard Joubert, il y a quelques mois, et comme il me disait être devenu ami avec Defeil de Ton, je lui disais mon admiration pour ce chroniqueur et mon rêve que l’on publie tout cela. Menu n’a pas repris la période Charlie Hebdo, déjà couverte par les vieux 10-18, mais plonge pour ce tome 1 dans les années 1975-1977 du Nouvel Obs. Et c’est revigorant.

#2332

Lorsque je commande des retirages chez l’imprimeur anglais qui fabrique les hardcovers à tirage limité des Moutons électriques, je dois tout d’abord cliquer sur le bouton « Create a New Order ». À chaque fois, ce concept de « créer un ordre nouveau » me fait un peu froid dans le dos.

#2331

Tandis que la neige blanchit les tuiles lyonnaises, ces deux derniers jours et demi me trouvèrent en train de turbiner en compagnie du sieur Alexandre Mare. Activités fructueuses, qui nous virent grandement avancer le volume de la Bibliothèque rouge sur Paris ; écrire la préface pour les deux volumes urbains ; discuter de l’avenir de Yellow Submarine, le fanzine que j’ai créé en mars 1983 ; et explorer les sommaires passés dudit fanzine, afin d’en sélectionner un bon gros tas d’articles, nouvelles et entretiens, de manière à constituer de la lecture pour Alexandre — en vue de ses choix pour le prochain numéro, le 136, qui célèbrera… le trentième anniversaire d’YS. Je n’en reviens pas, trente ans, c’est dingue. Ensuite, il faudra demander à tout le monde les autorisations, et OCRiser, et mettre en page… mais enfin, c’est déjà une grande première étape de franchie. Plus, l’animal m’interviewa à ce propos. Et lumineuse idée d’Alex, d’écrire à Lewis Trondheim, que j’avais autrefois publié, pour lui quémander une couverture. Adorable, contrairement à la légende qu’il crée autour de lui, Lewis m’a illico répondu par la positive, réponse suivie dans la soirée d’un grand et très beau dessin. Qui va nous faire une jaquette à la fois chaude et sobre, c’est le bonheur.

#2330

Triste de la disparition d’Oscar Niemeyer, à l’orée de ses 105 ans. Un très grand monsieur. Lors d’une visite du Havre, j’avais admiré son « volcan », un centre culturel. Les formes pures et courbes de ses bâtiments me mettent toujours en joie.

#2329

Un p’tit tour à Paris et puis s’en va. Hachette payait le billet, pour le salon de Montreuil, où en compagnie d’Arnaud Cremet et d’Alexandre Honoré nous signâmes moult albums pour le bonheur des petits (les sourires de certains mômes, c’était génial). L’occasion au passage d’aller admirer l’expo sur Franquin à l’Espace Wallonie-Bruxelles, face à Beaubourg. Petite mais tellement belle, tellement intelligente, en dépit de la faute de goût de quelques reproductions. À partir des détails d’un (très beau) dessin que Franquin lui avait donné, Fred Jannin a concocté un fascinant parcours dans l’inspiration du maître — et quel bonheur c’est que de voir ces originaux, plein de choses que je ne connaissais pas, et de coller son nez près du trait, souple, rond, je n’avais jamais scruté ainsi ses coups de pinceau et en suis plus encore admiratif, si c’était possible. Pour moi, Franquin demeure indépassable, indépassé. Entre admiration artistique et goût d’enfance, un attachement ancré profond, intense — avec cette impression quasi nostalgique encore renforcée par la proximité de l’enchevêtrement de tuyaux du Centre Pompidou, autre fascination de ma jeunesse. Réellement, Isabelle Franquin et Fred Jannin font actuellement un travail extrêmement précieux, il faut leur en savoir grée.

Ensuite, ce fut le SOB : le Salon des Ouvrages sur la Bande dessinée, au village St Paul, une suite de belles cours dans le Marais. Le petit milieu des théoriciens et historiens du 9ème art s’y donnait rendez-vous pour la deuxième année, et c’était bien, vraiment très bien. Une très belle table-ronde sur Moebius, en particulier, où un Dionnet enroué mais toujours volubile et un Mézières tendre nous brossèrent un portrait à la fois touchant et sans cacher les défauts de leur ami disparu, expliquant par exemple combien il avait d’ambition, comment il voulait toujours être le meilleur… Revu Harry Morgan, vu pour la première fois « en vrai » Evariste Blanchet et Manuel Hirtz, papoté avec Frémion, fait la connaissance du très sympathique organisateur, Renaud Chavanne, et puis mon plus grand plaisir, revu Philippe Morin, avec qui j’étais copain il y a (ouch) une trentaine d’années et qui n’a guère changé, toujours aussi charmant. Tout cela était bel et bon, mais le lendemain, fatigué par le froid et des insomnies fréquentes, je rentrais chez moi un peu plus tôt que prévu — pour trouver un peu de neige sur Lyon.