#2354

Quatre jours à la campagne, dans le silence et le calme. Et même un peu de neige. Un peu de farniente qui se paye avant et après par un surcroît d’activité, afin de ménager cette plage de repos, mais c’est loin d’être désagréable. Longtemps que je me disais qu’il fallait que je passe chez mes parents durant l’hiver.

J’ai fini de lire Kraken de China Miéville, dont le goût pour les tournures obscures (et pas forcément parfaitement maîtrisées) gâche tout de même un milli-poil le plaisir de ce roman de fantasy urbaine bien tordue, où se croisent diverses apocalypses. C’est rigolo mais la prétention du style m’a semblé superfétatoire. Lu ensuite et à grandes foulées The Long Earth de Stephen Baxter et Terry Pratchett, de l’excellente science-fiction (avec une bonne dose de métaphysique comme l’aime m’sieur Lehman), tellement influencée par Robert Charles Wilson que l’on croirait vraiment lire une nouvelle œuvre de l’auteur de Spin. Ce n’est pas forcément un reproche : les deux écrivains livrent du coup un récit très ample de vision et très fluide de style (alors que les Baxter que j’avais lu dans le temps étaient d’une écriture aride et pesante, et que je butte trop souvent chez Pratchett sur ses foutues leçons de moral), la somme est vraiment supérieure aux deux. Le roman qui en résulte est très beau, plein d’images saisissantes et mémorables, vraiment du niveau du meilleur Wilson. Je commence maintenant la lecture du premier tome de la trilogie de Greg Egan.

Aussi profité de cette brève halte pour monter au grenier… et en redescendre une petite montagne de vinyles. Dont ce « collector »…

Lupin-Dutronc001

#2353

Hum, j’ai commencé à bien trier, doncque, mais d’évidence, il faudra plusieurs volumes: miscellanées (journaux et rêves, disons) et travelogues (voyages et humeurs psychogéo)…

Je constate que j’ai trouvé « mon » ton dans un billet du 20 janvier 2003. Avant, tout cela n’est pas très bien écrit, ça manque de style et de maturité. À partir de 2003, je me commence à me trouver. Curieux de voir comment ça s’est fait, soudain.

#2352

Il y a plus ou moins douze ans que je tiens ce blog. Et je n’ai nullement l’intention d’arrêter, d’ailleurs. Mais suite à une conversation avec Harry Morgan, j’ai commencé à plonger dans les entrailles de l’animal (le blog, pas Harry) et a essayer d’en retirer une moelle plus ou moins substantifique, in order to… quoi faire? Eh bien, peut-être organiser la matière d’un vaste recueil de miscellanées. Un recueil au sens « imprimé sur du papier », vaste parce qu’obviously, et pourquoi diable, mais parce que je demeure très attaché au livre en papier, soyons honnête, j’aime écrire, j’aime tenir ce blog, j’aime que flottent dans l’éther de la toile tous ces bouts de textes, mais qu’ils soient réunis, concrétisés, quelque part, en l’occurrence dans un livre, aussi petit qu’en soit le tirage (on demand), ne serait pas pour me déplaire. Seul obstacle: la masse même du matériau, et le temps que je devrais passer à le récupérer/trier. Outre l’aspect mémoriellement assez étrange, troublant, d’une telle activité. Oh well, we’ll see.

#2351

Je n’entretiens vraiment aucune nostalgie vis-à-vis des premiers albums de Marillion, ne supportant plus, de longue date, la voix de la premier chanteur — je me souviens que lors d’un concert de « Misplaced Childhood », leur troisième album, j’avais été déçu de ne plus tellement aimer, déjà —, si ce n’est celle des souvenirs de la découverte de ce groupe, en compagnie de Michel Pagel ou de Philippe Caille par exemple. Mais c’est du passé et si je suis devenu un grand fan de Marillion, c’est ensuite, depuis l’arrivée de leur chanteur, Steve Hogart, l’immense Steve h. Lui, c’est clair que je suis accro à sa voix. Et puis réentendre les anciennes compos du groupe révèle à quel point elles étaient faiblardes, pas très bien fichues et de sonorités pauvres — de nos jour, même les chansons les plus simples du groupe bénéficient de sons de guitare et de nappes d’effets sonores du claviériste qui sont d’une formidable subtilité, d’une grande beauté.

Pour autant, hier soir au concert lyonnais, qu’ils nous rejouent trois morceaux anciens fut une jolie surprise, une madeleine délicieuse, des moments de complicité au sein d’un récital d’une qualité peu souvent égalée — et j’en ai vu, des concerts de Marillion, pourtant. Je ne vais pas souvent à des concerts : aimant le jazz-rock et le progressive, d’évidence, les concerts n’en courent pas les rues (et ce d’autant que je n’apprécie ni le « prog métal », pour moi une bien pauvre hérésie, non plus que le « néo-prog »). C’est donc une séquence rare et exceptionnelle pour moi qu’un concert comme celui d’hier soir, avec en première partie Aziz Ibrahim, aux flots sonores entre Mahavishnu et Djam Karet, puis un Marillion d’une énergie, d’un équilibre et d’un charme réjouissants. Et quoique, entre nous, l’image de Lyon colporté dans l’un des vieux morceaux — une pute murmurant « j’entends ton coeur » — ne m’a jamais semblé d’un bon goût achevé, je ne fus pas le dernier à m’époumoner sur J’entends ton cœur/I can hear your heart. Étrange potion qu’un concert rock, on flotte, on se laisse porter dans la musique, dans une expérience d’écoute et de participation qui en fait un moment à part de la vie ordinaire. Belle nuit.

#2350

Justement, il y a quelques soirs de cela, j’évoquais avec Harry Morgan les charmes étranges de L’Histoire de la science-fiction moderne de Jacques Sadoul, qui avait illuminé notre enfance à l’un comme à l’autre. Et un autre soir, vaguement ensuqué dans une légère fièvre d’angine, je me demandai soudain avec inquiétude où se trouvait donc rangé mon précieux exemplaire? Ça va, je le trouvai aussitôt, au sein des essais sur la science-fiction et le merveilleux rangés dans le couloir. Précieux, oui, car unique: mon exemplaire de L’Histoire de la science-fiction moderne est relié en dur, c’est un « hardcover ». Je crois même n’avoir jamais vu la véritable édition, jaune et souple avec rabats. L’explication de cette bizarrerie, c’est qu’autrefois en bibliothèques l’on reliait les livres bellement et proprement, au lieu de juste les détruire à coup de tampons et d’étiquettes. J’ai donc une Histoire de la science-fiction moderne reliée, cousue et avec tranche-fil en tissu, le tout… emprunté à la bibliothèque par mon copain Greg lorsque nous étions ados. Je dis bien « emprunté », car il ne s’agissait pas exactement d’un vol : la bibliothèque ferma soudain, sans que les babas qui la tenaient se donnent la peine de réclamer le retour des ouvrages sortis. N’étant pas aussi fan de science-fiction que moi, Greg m’offrit donc cet exemplaire hors du commun, et comme tant d’autres jeunes gens de l’époque, je me plongeais avec émerveillement dans le flot des résumés de maître Sadoul, résumés ô combien alléchants et parfois tellement embellis par son propre souvenir que l’on pouvait être déçu de lire le récit d’origine. Un portrait de la science-fiction, quasiment une biographie du genre, par un véritable amoureux du genre, dont je connaissais de longue date le nom.

Car c’est Jacques Sadoul qui me fit découvrir la science-fiction, mais ce, bien avant L’Histoire de la science-fiction moderne. Lorsque j’en parle, jamais personne ne s’en souviens, c’est étrange, et pourtant : fut un temps où le jeune Sadoul présentait à la télé un segment d’émission pour enfants, où il évoquait des livres de science-fiction. Chacune de ces séquences commençait par Sadoul déclarant d’une voix nasillarde « Gens de la Terre, bonjour ». Pour moi, ce « Gens de la Terre, bonjour », c’était et cela reste dans mon imaginaire l’ouverture aux univers insoupçonnés de la science-fiction (ben oui, eh, nous étions au début des années 1970 et on ne parlait pas de science-fiction partout comme de nos jours, le terme était plutôt confidentiel). Je me souviens du visage de Sadoul filmé à travers une grille, « Gens de la Terre, bonjour », et de nous parler des Slans de van Vogt, que je n’eus de cesse de trouver. À mon insistance, mon père l’acheta à la devanture de chez Joseph Gibert. Une lecture qui enflamma mon imagination.

Je n’ai jamais rencontré Sadoul, juste croisé dans la foule de la convention mondiale de Brighton, vu de loin. Et bien plus tard son agent me proposa son autobiographie, que je refusai après avoir grogné contre des passages sévèrement réacs et avoir rejeté le manuscrit, écœuré, devant certains propos homophobes envers Arthur C. Clarke. Je ne pouvais décemment publier ça. Mais qu’importe : Jacques Sadoul restera à jamais le grand passeur, le monsieur qui dans le petit écran disait « Gens de la Terre, bonjour », et qui ensuite me guida dans cette science-fiction moderne qui, d’ailleurs, n’avait rien du tout de moderne — la véritable science-fiction moderne je la découvris plus tard, pendant le lycée, grâce à un autre passeur, le prof de lettres qui m’indiqua les auteurs de la « spéculative fiction ». Merci à eux.