#2371

Triste nouvelle au réveil. Paolo Soleri est mort avant-hier. Je rentrais au lycée lorsque j’ai découvert les travaux de cet architecte utopiste — je me passionnais déjà pour l’archi, parce que je vivais dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, alors un vrai quoique maladroit laboratoire d’urbanisme… Paolo Soleri vient de nous quitter, et après Oscar Niemeyer c’est une de mes plus vieilles « idoles » qui disparaît donc. Mais il continuera toujours à alimenter mes rêveries, par les images de ses « arcologies », qui sont parmi les visions les plus puissantes que je connaisse. Son catalogue Arcologie, la ville à l’image de l’homme (ed. Parenthèses, 1980) demeure l’une de mes influences majeures.

Soleri aura au moins laissé son empreinte dans l’imaginaire, et forgé un nouveau vocable pour la science-fiction et nos avenirs rêvés, l’arcologie — souvenez-vous de l’Animal couronné de John Crowley ou de cette arcologie en banlieue parisienne, au pied de laquelle a lieu un meurtre, durant une enquête de Tem (j’en avais discuté avec Roland, je trouvais qu’une arcologie ferait un superbe huis-clos pour du polar mais Roland ne semblait pas convaincu, dommage).

Soleri rests in front of 3-D Jersey Xehaedron housing city model

#2370

Je l’ai lu il y a déjà de nombreux mois, sur manuscrit et avec un plaisir intense, je dois dire. Du coup, le temps ayant passé, j’ai bien failli oublier de l’évoquer ici. Et pourtant. Oserai-je parler d’œuvre majeure ? Cela demeure mon impression, en tout cas : un roman qui parvient à dédoubler la légende d’Henry Darger en la teintant de Oz, qui accumule les simples (?) documents tout en parvenant à créer un puissant effet de suspense, c’est une fiction virtuose, un merveilleux vertigineux, dupliquant à sa manière la froide jubilation d’un Steven Millhauser et la brûlure d’un Jonathan Carroll… Enfin bref, pas la peine de faire l’article plus longtemps : j’ai aimé American Gothic de Xavier Mauméjean.

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#2369

Ça va, après la déception initiale du volume graphique, le reste des volumes de cette mini-collection sur le métro de Londres semble tenir ses promesses : des récits psychogéo et personnels, sur la ville et sur son métro, ça me plaît (beaucoup). J’aime en particulier cette manière qu’ont certains auteurs de savoir tresser avec naturel des brins d’autobio et des réflexions, de manière apparemment désordonnée, au fil de la pensée, pour finalement construire une narration qui fait sens, qui me parle. Dès que j’aurai récupéré assez de neurones (j’ai de nouveau la crève, l’impression d’avoir été mâchouillé par une grosse bête), il faudra que j’évoque un peu Roger Deakin, tiens.

Dans un tout autre genre, lu l’espèce de bio / entretien avec Fournier, paru chez Dupuis. Amusant et très astucieux, très touchant, cette manière de brosser le portrait d’un auteur de bande dessinée… sous la forme d’une bande dessinée. J’ai toujours aimé Jean-Claude Fournier, son Spirou c’est celui de ma jeunesse, et au-delà de Spirou, j’ai également toujours eu un gros faible pour Bizu, dont une intégrale commence à sortir. Libraire à l’époque, je m’étais réjouis de la parution des deux tomes chez Fleurus… et encore pus, lorsque Dupuis avait repris le flambeau, en quatre albums qui sont les plus beaux de l’auteur, au sommet de son art. Mais je désespérais de les vendre, personne ne voulais les acheter, les gens préféraient se précipiter sur les dernières daubes racoleuses, Bizu c’était bien trop poétique, bien trop singulier, un merveilleux très original — il n’y avait pas de sexe crapoteux ni de violence outrée, en pleine époque des Malefosse, Mortelune et autres vomitives Chroniques Barbares, alors vous pensez… Chaque nouvel album me semblait un petit miracle, et à chaque fois le suivant était annoncé à la fin… Jusqu’à la parution du 4e, qui annonçait bien un 5e, mais non, il n’est jamais paru, les commerciaux avaient eu la peau de Bizu. Après, Fournier a livré une longue et médiocre série, gentillette et répétitive, au dessin hâtif et aux scénarios indigents, et là, comme de bien entendu, ça c’est un peu vendu. J’ai pieusement conservé les albums de Bizu. Mais je vais quand même acheter l’intégrale, complétiste que je suis.

Toujours en bédé, lu la série Masqué de Serge Lehman, au dessin tristement inconsistant mais au scénario très curieux, captivant, au goût d’étrange… Et le premier tome de son autre nouvelle série, L’Homme truqué. Le père Lehman est décidément entré de plain-pied dans la bédé, tant pis pour la prose, tant mieux pour l’imaginaire, on retrouve là tout le sel de la Brigade chimérique, c’est bien, Lehman creuse ce fascinant sillon. Et Gess a quelques fulgurances graphiques intéressantes.

#2368

Reçu le coffret des petits livre de chez Penguin publiés en célébration des 150 ans du métro de Londres. Mal commencé avec le volume graphique, pure escroquerie intellectuelle, une suite de gribouillis ne faisant nullement sens. Le début d’un autre me fait resonger à l’architecte Richard Seifert. De même que les années 1990 ont été architecturalement dominées par les travaux de sir Norman Foster et, dans une moindre mesure, de sir Richard Rogers, dans les années 1960-70 Londres fut massivement marqué par les tours et autres bâtiments de Richard Seifert. Pourtant, on ne les voit plus : leur style typiquement « international » fait que, très critiqués à leur époque, ils ont aujourd’hui glissé dans l’anonymat de tours lisses et banales, d’une laideur terriblement Seventies. Mais… et s’ils n’étaient pas si laids, les bâtiments de RIchard Seifert ?

Suivant l’opinion générale, j’ai longtemps considéré Centre Point, la grande tour blanche qui s’élève au carrefour de Tottenham Court Road, comme une verrue abominable, un échec planté avec orgueil sur une place venteuse et abominablement triste, elle-même un autre échec patent. Et pourtant… La dernière fois que j’étais à Londres, j’ai subitement regardé cette tour d’un autre œil. Parce que le design des années 1950-60 et, dans une moindre mesure, des années 1970, est actuellement en plein revival et très à la mode, et parce qu’enfant de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise j’ai de toute manière toujours entretenu un goût certain pour l’architecture Seventies, tendance maintenant mieux informée et bien réévaluée, oui, mon regard fut différent soudain. Eh, mais c’est qu’il n’est pas si laid, ce Centre Point. En fait, il est même d’une belle élégance, avec sa façade toute en nids d’abeilles blancs, et la vaste passerelle vitrée qui la relie au bâtiment d’à côté. Finalement, ce n’était pas tant la tour qui était laide, mais son accueil public qui fut désastreux, et sa « mise en scène » sur une piazza ratée qui fut également désastreux. Mieux mise en valeur, cette tour démontrerait ses grandes qualités architecturales et sa beauté typique d’une époque trop vilipendée. Une mise en valeur dont il faut espérer qu’elle sera réalisée, enfin, à la faveur des grands travaux qui transforment actuellement ce centre de mes visites à Londres depuis toujours en une immense béance terreuse, un trou noir urbain qui a avalé d’aussi immenses icônes locales que la salle de rock Astoria et le Virgin Megastore historique. De mes anciens repères, ne restent plus que la librairie Forbidden Planet, déménagée à deux pas de là, et… la tour Centre Point, eh oui.