À quand remontait ma dernière visite sur les lieux de mon adolescence, dans le sud de Cergy-Pontoise ? Une bonne vingtaine d’années, et alors peu de choses semblaient avoir changé. Cette fois j’ai en revanche ressenti deux chocs, dont l’un d’importance. Des chemins ont disparu. Deux cheminements, l’un majeur, l’autre mineur.
Autrefois, une rue piétonne filait droit depuis la préfecture jusqu’à la place des Touleuses. Pour moi, gravé dans ma mémoire, il s’agissait de la colonne vertébrale de mes déplacement dans cette ville a taille humaine, faite pour le citoyen marcheur des années 70. No more : la portion qui bordait le cinéma, cette longue passerelle sous laquelle plonge la voiture du président dans le film I comme Icare de Verneuil, n’existe plus. À sa place et à celle de la petite portion d’anciens vergers, dont ne reste que le nom, ont poussé de nouveaux bâtiments publics et le chemin contourne — ma mémoire, mon passé ont été effacés. On a amputé ma géographie intime. Ça m’a fait un choc presque ontologique. Enfin, le reste de « mon » Cergy, le paysage d’une ville nouvelle que j’aimais tant à mon adolescence avoir l’impression de maitriser, à pied et en vélo, n’a guère changé. Une autre absence tout de même, marquante, c’est la disparition de l’art : les deux longues fresques des quais de la gare, d’antan source de fierté, ne sont plus que murs gris. Détruites aussi la fresque ensoleillée et coquine qui dominait l’escalator de sortie, de même que la petite fontaine au-dessus. Les années 70 aimaient les fontaines — celle en mosaïque des Touleuses a de même disparu. Et les fresques réalisées par des habitants. Et les couleurs vives des écoles : fini l’art dans la rue, terminé le multicolore seventies. Un autre effacement, celui du chemin qui partait presque au coin de chez mes parents et longeait le bois jusqu’aux champs en bord d’Oise. La forêt, redessinée, reboisée et de nouveau entretenue il y a quelques années, en a dévoré le début. On ne le retrouve qu’un peu plus loin, en herbe, avec en vertige archéologique un unique lampadaire au chapeau carré bien seventies. La ville m’a semblé plus verte que jamais, douce, une utopie urbaine de l’ère pompidolienne qui somme toute paraît avoir bien vécu le passage des ans et les changements sociaux. Devoir quitter soudain, à 17 ans, cet environnement familier, fut une brutale rupture.