Voyons donc, qu’ai-je lu durant mes vacances?
Je m’étais emporté Babaluma, la nouvelle enquête de Tem par Roland C. Wagner. Grand fan de cette série, j’en ai dévoré ce tome tant attendu avec délectation. Me reste encore à lire Le Nombril du monde Roland a rattaché ce petit roman à son cycle, faut que je complète ma connaissance de son oeuvre. D’ailleurs, le feuilleton de Bifrost excepté, ce doit être le seul bouquin de Roland que je n’ai pas encore lu.
Pour Denoël, j’avais à lire deux bouquins: le premier faux Ambre d’après Zelazny (The Dawn of Amber par John Gregory Betancourt), et l’étrange The Eyre Affair de Jasper Fforde.
Du premier, je dirai que c’est un roman tout à fait dans la lignée du cycle d’Ambre, je n’y ai rien vu de choquant… Le style est certes parfaitement/tristement plat (alors que celui de Zelazny était subtil), surtout constitué de dialogues très simples, mais cela fonctionne sans « couac », l’auteur étant assez intelligent pour n’oublier aucun détail… Commercial, mais plaisant: je m’attendais à bien pire.
Du second…
Thursday Next est une agente des Opération Spéciales – les services secrets chargés des différentes tâches d’enquêtes & de surveillances. Elle bosse dans une agence du niveau SO-27 : les LiteraTec, les brigades d’interventions littéraires, qui luttent contre le trafic de faux manuscrits, de faux ouvrages rares, de contrefaçons de textes, contre les comédiens pirates jouant de manière non autorisée les grands textes, etc.
Car le monde de Thursday Next est une uchronie étrange, où après avoir perdu la Seconde guerre mondiale, et avoir été occupée par l’Allemagne nazie, l’Angleterre fut libérée (et remontée) par l’action d’une sorte de multinationale nommée la Goliath Corporation. Dans ce monde, notamment, le Pays de Galle a fait sécession au XIXe siècle pour devenir une République socialiste, et la guerre de Crimée dure encore & toujours – la Russie est toujours tsariste et la guerre pour la péninsule criméenne se poursuit depuis plus d’un siècle… Ah, une autre différence, cocasse celle-là : la science n’ayant pas tout à fait pris les mêmes chemins, le clonage est courant & la mode est de posséder comme animal domestique une bête disparue reconstituée, tel qu’un dodo – celui de Thursday est un vieux modèle, un 1.2 nommé Pickwick.
Autre différence de taille avec notre monde : la littérature y est adulée, jouant le rôle que tant la télé que le foot, par exemple, peuvent jouer chez nous. S’en est au point où de nombreuses personnes font changer leur nom pour un patronyme d’&écrivain célèbre – le gouvernement a du mettre au point un système de numérotation des citoyens afin de distinguer, par exemple, monsieur John Milton 497 de monsieur John Milton 582… Des conventions ont lieu où tout le monde se déguise en John Milton… Les cartes de crédit se nomment Babbage, Newton ou Pascal…
Et lorsque le manuscrit d’un petit Dickens, « Martin Chuzzlewit », est dérobé, c’est un scandale national que le SO-27 se doit de désamorcer au plus tôt !
Mais le voleur n’a rien de commun : il s’agit d’un archi-criminel qu’on espérait mort depuis longtemps (en fait, il avait feint sa propre mort), l’abominable Acheron Hades, aux pouvoirs si étranges qu’il ne faut surtout pas prononcer son nom dans ses parages sinon il vous entend ! Depuis longtemps, le détective Fillip Tamworth essaye de mettre la main sur Hades – sa brigade, SO-5, n’existe même que dans ce but. Il pense qu’Hades a de nombreux pouvoirs anormaux, dont celui de pouvoir influencer l’esprit des ses opposants. Chaque fois qu’un simple flic a essayé de l’arrêter, ledit flic s’est soit suicidé avec sa propre arme, ou a donné celle-ci à Hades. D’ailleurs, des balles peuvent-elles arrêter Hades ? Les agents de SO-5 sont équipés de balles anti-char, des fois que des minutions normales ne suffisent pas. Et Hades semble aussi pouvoir ne pas être enregistré en vidéo ni photographié : Thursday Next est embauché par Tamworth car elle est justement l’une des très rares personnes à connaître Hades de vue – il fut autrefois son prof, avant le début de carrière criminelle. De plus, Thursday avait refusé à l’époque de coucher avec son prof, ce qui semble dénoter chez elle une force de caractère suffisante pour résister à la persuasion surnaturelle d’Hades.
Pourtant, leur première opération se termine par un échec atroce : seule Next survit, par miracle (la balle qui devait la tuer fut freinée par une copie de « Jane Eyre » qu’elle portait dans sa poche de poitrine, et un gentleman mystérieux lui est venue en aide alors qu’elle gisait inconsciente).
Alors qu’elle repose dans son lit d’hôpital, Next a la visite d’une extraordinaire voiture de sport multicolore, qui apparaît dans sa chambre. A son bord : un jeune homme qu’elle ne connaît pas, et une jeune femme qu’elle hésite à reconnaître, qui lui jette qu’il faut absolument qu’elle accepte un poste de SO-27 à Swindon… Cette jeune femme… c’est elle-même ?:
Le voyage dans le temps n’est pas inconnu dans ce monde : c’est l’apanage d’une brigade, dont le père de Thursday faisait partie avant de devenir un pirate du temps. Par moment, papa Next apparaît, gelant le temps autour de Thursday, et lui pose en général des questions sur l’histoire européenne – il semble tenter de « réparer » des dérives selon lui anormales, des retouches dont il accuse les « révisionnistes français »… Mais Thursday ne sait pas voyager dans le temps, donc comment est-il possible qu’elle se soit apparue à elle-même ? Et qui était le mystérieux homme qui l’a sauvée : il a laissé derrière lui un mouchoir aux initiales rappelant celles de Rochester, un des personnages principaux de « Jane Eyre »… Une idée étrange ? pas tant que ça : Thursday a eu une étrange expérience étant petite fille – elle passa un moment dans « Jane Eyre », où elle fit connaissance de Rochester avant sa première rencontre avec l’héroïne & narratrice du roman de Charlotte Brontë. Oublié car apparemment un fantasme d’enfant, ce souvenir revient narguer Thursday… Comment un personnage de roman pourrait-il exister dans la réalité?
The Eyre Affair est un roman infiniment astucieux, fort complexe et très amusant — plein de réparties rigolotes & de trouvailles ahurissantes (comme cette représentation de « Richard III » aux allures de « Rocky Horror Picture Show »…). Des aspects de ce monde demeurent à explorer – et en particulier son rapport avec le nôtre, d’où provient une telle uchronie. Une suite est d’ailleurs déjà prévue, Lost in a Good Book. Et quoique après tout l’idée de base de Jasper Fforde ne soit pas si neuve que ça pour le domaine francophone (une idée très similaire a déjà été explorée par Michel Pagel dans ses « Helix Pomatias » et par le bédéiste Tronchet dans ses « Raoul Fulgurex »), son exploitation en roman est très plaisante, très amusante, d’un humour & d’une gouaille pas très loin d’un Terry Pratchett. J’ignore si un tel bouquin pourrait être traduit en français — la surabondance de références littéraires strictement anglaises (Wordsworth, Trollope, etc) me semble constituer un certain handicape. Mais toujours est-il que je me suis vraiment bien amusé à cette lecture.
Sinon, qu’ai-je lu encore? J’ai terminé Easter de Michael Arditti — la chronique acidulée d’une petite paroisse anglicane de la banlieue de Londres. Amusant mais un chouia chiant, ai-je trouvé. La prose d’Arditti manque d’allant, à mon goût.
Lu deux polars: Piotr-le-Letton de Simenon (un bon vieux Maigret), et L’eau vive de A.E.W. Mason (un auteur anglais oublié, de l’entre-deux-guerres — ici dans une traduction française sans précision du titre original, dans la collection Nelson — à peine polar en fait, plutôt une gentille chronique désuète, de sports d’hiver & de mort mystérieuse). Commencé deux autres: King Solomon’s Carpet de Barbara Vine (très beau, très prenant, & entièrement à propos du métro londonien!) et Gun Before Butter de Nicolas Freeling (une enquête du flic d’Amsterdam, l’inspecteur Van der Valk — j’en avais lu dans le temps, en 10/18, et ai retrouvé cette bonhommie à la Maigret avec plaisir).
Et deux courts romans: Peter de Kate Walker (un petit roman homo australien, plutôt pour ado — amusant & touchant, je verrai tout à fait ça traduit en École des Loisirs, il en a la qualité & l’humeur) et The Weekend de Peter Cameron (récit faussement simple d’un week-end à la campagne, entre amis — une petite merveille d’observation, subtil & souvent bouleversant). Les deux avaient en commun d’être « highly recommended » par la librairie gay de Londres (Gay’s the Word) — et je fais confiance en leurs jugements —, d’être courts (plutôt novella que roman), et dans un petit format carré particulièrement esthétique.
Voilà, je crois avoir fait le tour, c’est déjà pas mal — ah non, j’oubliais: l’anthologie The Green Man de Datlow & Windling. Une pure merveille, depuis les illus de Charles Vess (mon idole) jusqu’à chacune des nouvelles présentées, toutes de fantasy contemporaine, lumineuses & fortes. Une des meilleures anthos qu’il m’ait été donné de lire.