Babar et ma famille, c’est une longue histoire d’amour, toute une culture profondément ancrée. La collection en stock chez mes parents est donc en éditions originales: les immenses formats du Journal des Modes des années 30 (les Jean de Brunhoff) et les formats plus petit chez Hachette des années 50 (pour les Laurent de Brunhoff). Leur étude, par ailleurs, ne manque pas de sel: où le roi Babar a-t-il son royaume? En Afrique assurément, mais non loin d’une grande ville de colonisation française. Et si l’établissement du royaume est entièrement paye du denier de la vieille dame, en 1933, l’évolution de « la grande forêt » vers la civilisation se fait a une vitesse foudroyante. Ainsi le petit singe que Babar donne a la vieille dame – ce qui suggère un lien de sujétion des singes aux éléphants, avec peut-être un relent négrier -, ce petit singe, Zéphir donc, acquière-t-il très vite la citoyenneté et retourne-t-il chez lui a l’été 1936. Ce sont Les Vacances de Zéphir, certainement l’album graphiquement et imaginativement le plus beau de la série. Et l’on découvre toute une civilisation occidentalisée! Le progrès est partout – les militaires aussi: la société simiesque a pour souverain le général Huc.
Vingt ans plus tard, en 1954, le royaume des éléphants organisera l’équivalent d’une Exposition universelle ou d’une Exposition coloniale (!), dans La Fête de Célesteville. On découvrira alors que l’utopie socialisante autrefois fondée par Babar (avec huttes toutes semblables et palais du travail et des fêtes) est devenue une société capitaliste marchande ordinaire, très industrialisée. L’ancien mécanicien Olur s’est fait avionneur, bus et autos sillonnent les rues de Célesteville, un pont monumental mène à l’autre rive du lac, on a l’électricité, de nombreuses boutiques s’offrent aux consommateurs pachydermes (livres, bazar, épicerie, cycles, crèmerie, tabac), tandis qu’une presse pléthorique se vend au kiosque: j’aime particulièrement le journal « Trompe et corne » et la revue de fiction populaire » Les aventures du capitaine Hoplala ».
Je relis tout ça en ce moment et je comprends pourquoi j'avais tant aimé étant gosse. Même si je ne voyais pas l'utopie socialisante…