Relisant Neverwhere de Neil Gaiman, je tombe sur un passage où il évoque les brouillards londoniens d’autrefois, le fameux smog, jaune et gluant. Ce phénomène n’existe plus, banni par les mesures du Clean Air Act de 1956 et, plus globalement, le nettoyage de la ville comme de la Tamise. L’autre jour que j’allais partir de Londres, la ville était joliment enveloppée dans une brume « ordinaire », c’est-à-dire un coton blanc. À Lyon non plus, les brouillards d’antan n’existent plus, pour les mêmes raisons : les terrains marécageux ne le sont plus, les fleuves et rivières ont été stabilisés, et les cheminées ne crachent plus leur fumée de charbon ou de bois. Je n’ai connu qu’un seul véritable brouillard lyonnais, une nuit dans la Croix-Rousse, et c’était du blanc, une belle brume opalescente. Pour m’imaginer les « soupes de pois » du London Particular, je dois donc faire appel à ma seule expérience d’un affreux bouillon de ce type. C’était quand j’étais ado, nous étions allé rendre visite à ma vieille sorcière de grand-mère maternelle, qui vivait du côté de Rouen. Et à notre arrivée à Pont de l’Arche, nous entrâmes dans un brouillard incroyable, un vrai mur, à ne plus rien voir, d’une couleur rousse et d’une puanteur terrible. Je me souviens bien de mes impressions, à marcher dans cette soupe infâme, humide et mouvante, mon amusement et mon étonnement, et quand on m’évoque le smog je repense à cet épisode dans l’opacité normande.
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#2337
Après quelques hésitations et quelques douleurs qui me sont inhabituelles quand il s’agit d’écrire, j’ai donc enfin terminé les trois derniers articles qu’il me restait à faire pour Londres, une physionomie. Le volume est presque bouclé, tandis que celui sur Paris ne devrait plus trop tarder à également fermer ses portes (coordonné par Alexandre Mare, qui a fait un boulot vraiment enthousiasmant).
J’ai finalement écrit une bonne moitié du Londres — car il y a bien sûr aussi de précieux articles par des collaborateurs, comme Harry Morgan sur les spirites ou Xavier Mauméjean sur les clubs, et puis toute une sélection d’extraits et de témoignages —, et l’avoir maintenant quasi achevé, ce volume, je ne sais pas, ça me fait « tout drôle »… J’avais entamé la rédaction de tout cela dans l’enthousiasme, au début du stage de Mérédith, en mai, et il ne restait plus que trois articles à faire lorsque début août, la mort de Roland m’arrêta soudain dans mon élan. Je me suis enfin remis à écrire, d’abord avec un petit papier pour le Paris essentiellement constitué de copiés-collés du Arsène Lupin, une vie, puis tout de même j’ai avancé dans le Londres édouardien, les fifties et le Blitz. Tout en relisant/corrigeant tout le reste. Après la trilogie Holmes-Lupin-Poirot, menée à bien avec mon complice Mauméjean, ce Londres, une physionomie va représenter pour moi une autre pierre très importante, une sorte de magnum opus de ma passion pour cette métropole. J’ai essayé de mettre tout ce que j’aime, tout ce que je connais, depuis les nuages de Constable jusqu’au pub au-dessus duquel fut rédigé « Rule Britannia »… Et j’espère, forcément, que cela séduira beaucoup de monde. Le sujet est très grand public, très ouvert, et je l’espère plutôt « culte ». L’idée d’un tel volume, c’est de brosser le portrait de la ville époque après époque, à travers ses destins humains, ses héros, son architecture, son atmosphère… Bref, une psychogéographie façon Bibliothèque rouge, c’est-à-dire très portée sur les protagonistes du polar et sur les écrivains qui ont témoigné de cette ville…
Brosser en fait un portrait de « mon » Londres, somme toute, et un tel livre constitue pour moi une sorte de « bout du chemin », en ce qu’il boucle de longues années d’obsession sur Londres, de recherches, de lectures, de promenades et de voyages. Non que je suis lassé de Londres, nullement (je suis en train de relire Neverwhere avec grand plaisir, par exemple), mais pour moi un cycle s’achève, dirait-on. Pas seulement un cycle de découverte de Londres — il va falloir que je m’efforce de découvrir d’autres aspects, d’autres coins de Londres, et c’est déjà ce que j’ai fait lors de mes longues marches durant les dix jours où je logeais à East Finchley, des marches qui emplissent encore ma tête d’une foultitudes d’images et d’impressions, une grande provision urbaine pour passer l’hiver — mais aussi un cycle d’écriture : car maintenant je vais revenir à la fiction.
J’ai écrit pas mal d’essais, ces dernières années, et c’est assez. J’ai abandonné quelques projets qui m’auraient pris beaucoup trop de temps et d’énergie, afin de parvenir à revenir à la fiction. Oh, j’en écrirai encore quelques-uns, des essais : je dois bien entendu écrire le troisième Dico féerique (mais c’est très libre et à la frontière de la fiction, en réalité), je dois revenir avec Julien à Jack l’Éventreur un jour pour une réédition/réécriture, peut-être revenir aussi un autre jour à Jane Austen, on verra, et puis bien sûr il y aura des articles pour les Jeunes détectives, que je commence déjà à préparer — mais disons que les essais ne seront plus ma préoccupation ni mon champ d’écriture principaux. Car je dois relire mes deux premiers romans de SF pour une réédition, écrire les deux autres du cycle, chicchic, tout cela pour un nouvel éditeur, tandis qu’un autre éditeur attend un roman de fantasy « young adult » et que j’en ai largement débuté un autre encore, sans parler d’un roman qui me trotte en tête, bien entamé depuis longtemps, et pour lequel je dois redemander une bourse d’écriture… Plein de choses, niveau fiction, donc, qui surgissent enfin. Ça avance.
(Superbe couverture par Sébastien Hayez !)
#2333
Jean-Christophe Menu vient de publier un livre que j’aurai rêvé de faire, dans sa nouvelle incarnation éditoriale de l’Apocalypse. Un recueil des Lundis de Delfeil de Ton. Non que les Moutons électriques puissent aller sur ce terrain-là, mais dans l’absolu, je rêvais depuis longtemps d’un tel recueil — Menu l’a fait, merci à lui.
Quand j’étais ado, mon jeune oncle entreposais dans le grenier de mes parents des tonnes de bouquins à lui, dont il n’avait plus que faire. Le contenu de ces cartons reflétait une curiosité formidablement hétéroclite, ça allait du freudisme à la guerre sauce Sven Hassel (qui vient juste de passer l’arme à gauche, tiens). Et en parlant de gauche, un jour je tombais sur un 10-18 à la couverture grimaçante (par Topor) : Palomar et Zigomar tirent dans le tas, par Delfeil de Ton. Je ne sais ce qui me conduisit à choisir un tel livre, mais cette lecture me séduisit énormément — ce fut sans doute ma première approche d’une pensée de gauche (cet oncle sera sans doute fort surpris d’apprendre qu’ainsi il initia mes penchants politiques). Cette plume caustique et critique, les thèmes sociaux et politiques abordés, la fibre idéaliste sous-jacente, tout ceci toucha quelques cordes sensibles dans mon moi adolescent. Par chance, la bibliothèque que je fréquentais à Cergy-Pontoise était tenue par des hippies, sans doute pas tellement de droite, et je trouvais dans leur fonds d’autres volumes de cette réédition des chronique de DDT provenant de Charlie Hebdo. Et puis je lus, non pas Charlie Hebdo, mais Charlie Mensuel, et là le choc : Gébé, en particulier. « Tout s’allume ». Et un peu plus tard, au centre culturel qui avait repris ce fonds, je découvris la bédé plus ou moins engagée : les histoires de banlieue de Caza, tout Gébé, Les Phalanges de l’ordre noir de Bilal & Christin… Et je me mis à lire la collection des La Gueule ouverte, les plus récents Pilote et Charlie, Métal Hurlant bien sûr… Puis un prof de lettres me fit découvrir la SF d’alors, la « spéculative fiction », Brunner, Jeury, Spinrad…Il arrivait que je discute de politique avec mes copains, mais c’était toujours pour arriver au constat qu’eux trouvaient tout naturel les choix de leurs parents (conseillers municipaux de droite, pour la plupart), tandis que moi je m’interrogeais, détestais le catéchisme, avais inventé tout jeune un terme péjoratif et méprisant pour les militaires parce que « bidasses » était trop gentil (dans ma tête, j’utilise encore ce mot de « miloches ») ; oh je n’étais pas un jeune rebelle, je me posais des questions, c’est tout… J’avais quelques raisons pour cela : le père de Greg avait reçu chez lui le ministre de l’Intérieur, ce Poniatowski dont la presse que je lisais disait qu’il était un atroce facho ; un jour que j’avais rendu visite à une jolie voisine son frère m’avait ouvert la porte et j’avais réaiisé qu’il était encore plus beau, car non seulement il avait la grâce de sa sœur mais « en plus » c’était un garçon ; dans ma tête tout cela se mêlait, les questions écologiques, l’architecture et l’urbanisme (je n’étais pas en ville nouvelle pour rien), les désirs sexuels non reconnus par la société (j’avais même lu dans un numéro de La Vie, chez les parents cathos d’un ami, un papier sur le suicide chez les jeunes homosexuels et ça m’avait gravement remué — une question toujours atrocement d’actualité d’ailleurs)…
Enfin bref, Menu publie DDT et c’est bien. Ayant revu mon copain Bernard Joubert, il y a quelques mois, et comme il me disait être devenu ami avec Defeil de Ton, je lui disais mon admiration pour ce chroniqueur et mon rêve que l’on publie tout cela. Menu n’a pas repris la période Charlie Hebdo, déjà couverte par les vieux 10-18, mais plonge pour ce tome 1 dans les années 1975-1977 du Nouvel Obs. Et c’est revigorant.
#2332
Lorsque je commande des retirages chez l’imprimeur anglais qui fabrique les hardcovers à tirage limité des Moutons électriques, je dois tout d’abord cliquer sur le bouton « Create a New Order ». À chaque fois, ce concept de « créer un ordre nouveau » me fait un peu froid dans le dos.
#2331
Tandis que la neige blanchit les tuiles lyonnaises, ces deux derniers jours et demi me trouvèrent en train de turbiner en compagnie du sieur Alexandre Mare. Activités fructueuses, qui nous virent grandement avancer le volume de la Bibliothèque rouge sur Paris ; écrire la préface pour les deux volumes urbains ; discuter de l’avenir de Yellow Submarine, le fanzine que j’ai créé en mars 1983 ; et explorer les sommaires passés dudit fanzine, afin d’en sélectionner un bon gros tas d’articles, nouvelles et entretiens, de manière à constituer de la lecture pour Alexandre — en vue de ses choix pour le prochain numéro, le 136, qui célèbrera… le trentième anniversaire d’YS. Je n’en reviens pas, trente ans, c’est dingue. Ensuite, il faudra demander à tout le monde les autorisations, et OCRiser, et mettre en page… mais enfin, c’est déjà une grande première étape de franchie. Plus, l’animal m’interviewa à ce propos. Et lumineuse idée d’Alex, d’écrire à Lewis Trondheim, que j’avais autrefois publié, pour lui quémander une couverture. Adorable, contrairement à la légende qu’il crée autour de lui, Lewis m’a illico répondu par la positive, réponse suivie dans la soirée d’un grand et très beau dessin. Qui va nous faire une jaquette à la fois chaude et sobre, c’est le bonheur.


