#2055

Les liens unissant le mythe de Babar a ma famille, c’est par exemple de dire, lorsque l’on doit être nombreux a l’arrière d’une voiture, que l’on va « se serrer comme des gogottes » (du nom des monstres qui accompagnent le grand Polomoche, dans les Vacances de Zéphir). Et hier encore ma tante et mon père évoquaient le monstre marin Tante Crustadèle, lui trouvant une ressemblance physique avec une arrière grande-tante que je n’ai guère connu.

Quant à cette dernière, j’appris d’ailleurs qu’un lien ténu existait entre Arsène Lupin et ma famille: le dramaturge Francis de Croisset, auteur d’une pièce sur le gentleman-cambrioleur, faisait partie des familiers de son salon parisien.

#2054

Babar et ma famille, c’est une longue histoire d’amour, toute une culture profondément ancrée. La collection en stock chez mes parents est donc en éditions originales: les immenses formats du Journal des Modes des années 30 (les Jean de Brunhoff) et les formats plus petit chez Hachette des années 50 (pour les Laurent de Brunhoff). Leur étude, par ailleurs, ne manque pas de sel: où le roi Babar a-t-il son royaume? En Afrique assurément, mais non loin d’une grande ville de colonisation française. Et si l’établissement du royaume est entièrement paye du denier de la vieille dame, en 1933, l’évolution de « la grande forêt » vers la civilisation se fait a une vitesse foudroyante. Ainsi le petit singe que Babar donne a la vieille dame – ce qui suggère un lien de sujétion des singes aux éléphants, avec peut-être un relent négrier -, ce petit singe, Zéphir donc, acquière-t-il très vite la citoyenneté et retourne-t-il chez lui a l’été 1936. Ce sont Les Vacances de Zéphir, certainement l’album graphiquement et imaginativement le plus beau de la série. Et l’on découvre toute une civilisation occidentalisée! Le progrès est partout – les militaires aussi: la société simiesque a pour souverain le général Huc.

Vingt ans plus tard, en 1954, le royaume des éléphants organisera l’équivalent d’une Exposition universelle ou d’une Exposition coloniale (!), dans La Fête de Célesteville. On découvrira alors que l’utopie socialisante autrefois fondée par Babar (avec huttes toutes semblables et palais du travail et des fêtes) est devenue une société capitaliste marchande ordinaire, très industrialisée. L’ancien mécanicien Olur s’est fait avionneur, bus et autos sillonnent les rues de Célesteville, un pont monumental mène à l’autre rive du lac, on a l’électricité, de nombreuses boutiques s’offrent aux consommateurs pachydermes (livres, bazar, épicerie, cycles, crèmerie, tabac), tandis qu’une presse pléthorique se vend au kiosque: j’aime particulièrement le journal « Trompe et corne » et la revue de fiction populaire  » Les aventures du capitaine Hoplala ».

#2052

Retour en France, le chant des merles et les roucoulements des pigeons remplacent les ricanements des mouettes. Week-end a la campagne, rythme lent, connexion bas débit. Je vais relire les Babar. Et finir la bio de Camus (ensuite je pense lire celle de Gaston Gallimard).

#2051

Au risque de décevoir mes lecteurs, s’il y en a, il faut reconnaitre que je n’ai pas grand-chose a dire sur Jersey. Psychogéographie malaisée, le contexte n’étant guère urbain (en dehors de la petite ville de St. Helier, la majeure partie de l’île est rurale). Que dire donc? Évoquer la dame dont le postérieur était si imposant qu’un instant j’ai songé qu’il s’agissait d’une centaure? Ou bien les jupes vraiment trop courtes de toutes les écolières? (à croire que tous ces chefs d’établissement sont un brin pervers) Une chose est certaine: je me serais aèré. D’un air sentant l’herbe et le terreau, comme toute campagne, mais qui porte aussi le ton fade de la vase, ce qui est plus original. Et la nuit, on entend le ricanement des goélands – ces gros volatiles ne dorment-ils pas? Ah, pour le reste, quel séjour ordinairement touristique. Genre troisième âge – on croise d’ailleurs surtout des cheveux blancs. Je pense à Miss Marple et Hercule Poirot, forcément. Je crois voir Barnaby et son adjoint attables a la terrasse d’un pub près des falaises. Je relirai Elizabeth Goudge avec un œil plus averti. Et d’un bus à l’autre, décorés en bleu et jaune comme ceux des environs de Londres, je me laisse tranquillement transporter par de petites routes étroites qui me font suspecter que la population locale a du poil sur les pieds. Sweet and quiet.