#97

Étrange état, jeudi dernier: encore la crève, je flottais comme dans un très fin voile de coton, et fis mon hebdomadaire trajet à pied home/kebab en marchant fort lentement, le nez plongé dans mon bouquin (Jordan Fantosme de Jean Baptiste Evette, chez Folio) et la tête ailleurs, légèrement euphorique.

J’avais par moment du mal à fixer mon attention — vue un peu trouble, cellules grises embrumées. R. et M. parlaient sérieusement. Z. nous présenta une collègue, sa remplaçante — je ne lui prêta pas tout de suite attention, distrait par le brouillard qui envahissait le restau (!). Parvenant enfin à fixer mon regard sur elle une seconde, je bafouillai un quelconque « bonjour, désolé, crève » en guise d’excuse. N. arriva, S. aussi — nous évoquâmes ses doubles, ses vies québécoises parallèles, ses accents circonflexes… Visage connu, barbe grise: Patrice Duvic est là aussi. J’ai bien du mal à suivre les conversations, d’un côté S./Patrice, de l’autre R./M…. Je flotte, inattentif, capte que M. s’interroge sur le chuchotement en chinois (langue si musicale) mais ignore pourquoi, il est question d’un livre étrange & enthousiasmant, conseillé par Gilou & évoqué par S. (Alice est montée sur la table de Jonathan Lethem, éd. de l’Olivier). Je ne sais plus pourquoi nous parlons d’A&A, l’ex-fanzine de Francis Valéry — ah si: M. avait demandé à lire les textes de Christian Oster que j’y avais publié fut un temps. É. passera en fin de repas.

Aujourd’hui, autre état. Un reste de crève, peut-être? Olivier écoute Echoes des Floyd avant que je ne parte — trop fort échos sentimentaux, trop de souvenirs, racines émotionnelles, je pars avec un peu de vague à l’âme. Tente de lire un peu, relève la tête lorsque je réalise que je commence à ne pas me sentir bien, froid, vertige. Impression de détachement — ces temps-ci je vois autour de moi le monde bouger, vivre, palpiter, alors qu’en moi je ne sens que le froid, comme un creux. Pff, stupide déprime. Fugitive, une phrase me passe en tête: je porte mon existence comme un manteau trop grand. Mon malaise s’accentue lorsqu’au coin d’une rue, près de deux poubelles, je vois un beau chat étendu, pose faussement relaxée — je me dis « oh non »: il ne respire plus. Figé dans la mort, fauché par une auto — un peu de sang a coulé au coin de sa bouche. Il est si beau — noir aux reflets chocolat, le poil mi long, un très beau matou (pourquoi m’imagine-je qu’il s’agit d’un mâle?). Je me relève un peu nauséeux, bouleversé. J’accélère soudain le pas, pressé d’atteindre le kebab, de retrouver cette si précieuse chaleur — celle de l’amitié.

Une calvitie luit doucement au fond de la salle: J-M le rockeur, sa première venue en ces lieux. F. et S. sont là aussi. Je m’installe, change de place. Toujours trop froid, un peu grognon. Z., puis R. Faire un CR? F. prend des notes. Climat, matériau de construction, Corse, avion biplace, poutine, Anthony Trollope, convention & Braderie, choix de vie, timidité, bureau borgésien… Je repars grelottant mais psychologiquement réchauffé. Fais un tour en ville, rassénéré — flûte, manqué mon rendez-vous. Tant pis, je trouve quand même le moyen de dépenser quelques sous. Bougies, encens, bouquins, cadeau: je ne devrais jamais aller en ville, ça me coûte cher.

#96

Admiration. Fini de lire The Onion Girl de Charles de Lint.

*soupir de ravissement*

Un roman superbe sur le rapport à la souffrance & les traumatismes de la petite enfance. Traversé par de lumineuses descriptions (ah, qu’il est beau ce désert! Chaque scène située dans le morceau de paysage créé par Cody me semblait vibrer de chaleur & de couleur, parfaitement exotique & familier à la fois), et sous-tendu par une nouvelle exploration, sans doute plus complète que jamais auparavant, du mànidò-akì — le Pays des Rêves, l’Autre Côté, ce domaine infini que nous touchons un peu lors de nos songes & où s’incarnent les légendes.

Charles de Lint noue ensemble dans The Onion Girl quantité de fils qu’il avait laissé pendre librement dans ses très nombreuses nouvelles sur Newford — ses personnages favoris se croisent, interagissent, des éléments du passé ressurgissent, s’expliquent, chacun évolue. Nul doute que ce roman puisse se lire de manière isolée — mais en ayant connaissance des nouvelles, c’est encore plus satisfaisant, plusieurs épaisseurs subtiles l’enrichissant.

And by the way: un éditeur français s’intéresse enfin de façon sérieuse à l’idée de traduire chez nous l’oeuvre de Charles de Lint. Cool, il serait temps.

#95

C’est dingue: encore une nouvelle inconnue & oubliée de Maurice Leblanc sur Arsène Lupin. Et la source en est particulièrement étonnante, car… en anglais!

En effet, un éminent « lupinien » de mes amis (monsieur Philippe Radé) vient de mettre la main sur The Bridge that Broke, enquête inconnue d’Arsène Lupin — seulement parue dans le recueil anglo-saxon de L’Agence Barnett (qui comprend ainsi neuf nouvelles, contre huit dans toutes les éditions françaises).

Et pour être introuvable en VF, cette nouvelle de Leblanc se trouve facilement en anglais, puisqu’elle fut rééditée l’an passé dans l’antho The Oxford Book of Detective Stories (réunie par Patricia Craig).

En retrouvera-t-on un jour le texte d’origine? Les archives Leblanc n’ont que trop peu été explorées, paraît-il — coupable négligence des héritiers.

En tout cas, je viens de lire ce Bridge that Broke et c’est authentiquement un petit bonheur lupinesque — où Jim Barnett fait une fois encore enrager ce sacré Béchoux! Et ma biographie de Lupin devra ainsi être légèrement révisée/complétée — si je trouve un de ces quatre un éditeur pour une nouvelle version de mon essai sur le gentleman-cambrioleur.

Décidément, l’intégrale du Masque ne l’aura pas été bien longtemps, intégrale! Bien que cette édition très soignée nous ait déjà permis de (re)découvrir quelques chouettes petits textes oubliés & que l’on pensait perdus, d’autres font encore leur réapparition… Ainsi, le même précieux Radé m’avait-il copié il y a quelques mois un conte de Leblanc, La toison d’or, pouvant très naturellement passer pour un récit inconnu sur Lupin. Paru autrefois dans un obscur canard normand & jamais réédité.

Et l’on sait (?) qu’un roman inédit, oui, carrément tout un roman, dort encore dans les archives de la famille Leblanc: l’ultime témoignage sur Arsène rédigé par Maurice, Le Mariage d’Arsène Lupin. Datant de la même époque que Les Milliards d’Arsène Lupin, de toute évidence, mais demeuré inconnu car inédit — Leblanc étant mort juste au moment de la parution des Milliards. Lira-t-on un jour ce Mariage? Rien n’est certain, car la famille hésite encore à le livrer au public — le texte étant visiblement tout aussi médiocre, voir pire, que celui des Milliards: deux oeuvres trop tardives d’un auteur qui ne maîtrisait plus totalement son outil, et qui n’eut jamais l’occasion de retravailler ses textes. Pourtant, cela demeurerait un document intéressant pour le « fan » que je suis…

#94

Toujours grosse crève & énorme fatigue, la barbe.

Au point que…

Hier soir lorsque je me suis couché, comme chaque fois, ma chatte Nina a bondit sur mon lit afin de se rouler contre moi. Mais au bout d’un moment, elle a soudain décidé de redescendre du lit, en râlant qu’elle ne voulait pas que je l’appelle Billy. Et moi de m’endormir en me demandant pourquoi elle me disait ça…

Hum, c’est grave docteur?

#93

Flûte de zut: j’ai été invité pour le15 décembre à l’émission de France Culture « Mauvais genres », afin d’y causer de Tolkien, d’Holdstock et… de Cartographie du merveilleux. Et je ne peux pas y aller! Tout à fait impossible: boulot monstre à la librairie, forcément, à cette saison… 🙁

Un autre lien sur un portrait/entretien avec Philip Pullman, que me signale mon oncle Jean: The Lost Children. Où m’sieur Pullman dit plein de mal d’A.A. Milne, Ernest Shepard & C.S. Lewis! En râlant contre l’image d’une « innocence » de l’enfance créée notamment par ces auteurs classiques, ainsi que contre la censure américaine, les postures de la littérature générale, etc. Controversable & opiniâtre, un papier très intéressant!

« The fuss arises because we believe this is something that children ought not to know about and be protected from. There is no realistic view of children which encompasses the fact that they don’t know very much about the world and the fact that they’re beset by all kinds of temptations and they’re no better or worse than us. »