#335

Surprise en ouvrant les yeux ce matin : le ciel bleu, le grand beau temps. Je dois rêver. Me soulevant sur un coude, je regarde par-dessus l’épaule d’Olivier encore endormi : mais si, c’est bien du ciel bleu-très-bleu que j’aperçois là. Je replonge un moment — et pourtant, lorsque je me réveille pour de bon un peu plus tard, le ciel bleu est toujours bleu, triomphal. Quelle chance : justement c’était la journée où nous avions prévu de (re)faire une longue balade sur le long de la Tamise.

Métro jusqu’à Richmond : ç’avait déjà été le point de départ de ma promenade la dernière fois. Mais ce que j’avais fait sous la pluie et dans un paysage largement inondé, je vais pouvoir le refaire cette fois sous un doux soleil.

Joli contraste avec nos randos urbaines : cette fois nous sommes bel & bien à la campagne. Qu’en dire ? Le chemin suit les courbes de la Tamise, sous les arbres. Le soleil joue dans les feuilles, le bruit de l’eau nous accompagne, les ouvertures sur Kew Gardens nous offrent des perspectives ravissantes. Et comme nous commençons sérieusement à être en manque de musique, nous jouons au juke-box — « Tu as quoi en tête, toi ? » Olivier fredonne des extraits de divers morceaux de Caravan. Le cadre campagnard britannique semble particulièrement s’y prêter.

Lent & bel après-midi. De l’autre côté du pont de Chiswick, nous empruntons la promenade de Strand-on-the Green afin de déjeuner au pub Bell and Crown. Derrière la baie vitrée, nous manquons de prendre des coups de soleil. Dehors, les nuages reviennent peu à peu. Le contraste entre leur noirceur et le bleu du ciel diffracte la lumière, laisse percer des lances lumineuses, joue en reflets huileux sur la Tamise. De l’opulence bourgeoise des quais de Chiswick, nous passons aux champêtres pelouses des Duke’s Meadows. Fourbus, nous nous étendons un moment sur le muret en pierre. Une sieste en plein air, à la mi-novembre ? À Londres ? Mais oui, mais oui. 🙂

Je crains de n’avoir pas les mots qui conviendraient pour l’évocation de la tendre douceur de cette balade… La sérénité, la complicité, la senteur des feuilles sur le sol, la grâce des roseaux au bord de l’eau, le mystère des bancs enfouis dans la végétation, des longues marches vertes des Duke’s Meadows, des îlots couverts de saules, des petits bateaux échoués dans la vase, des pavés glissants, des mouettes alignées sur le rivage, du silence aérien…

La contemplation de la beauté me donne l’impression de participer à celle-ci. Et s’il arrive que la beauté humaine menace de m’arracher des larmes tant ma solitude & la beauté des autres me bouleversent, la beauté naturelle m’emplit en revanche d’une respiration libérée, d’une exaltation sereine.

Au retour, des collégiens montent dans le wagon. Olivier observe le manège d’un groupe de jeunes filles, tandis que j’admire le garçon assis en face de nous. Tadzio in the tube, nez à la grecque & grands yeux verts, les cheveux d’un blond cendré arrangés en une coupe sévère. Qu’il a l’air sérieux, ce jeune inconnu de Ravenscourt Park.

Le lendemain, jour du départ, nous effectueront une dernière boucle sur la Tamise : la rive sud de long en large — de la gare de Waterloo au Musée du Design & retour. Un dernier musée afin de la boucle soit bouclée. Sidérante & splendide exposition sur l’aluminium. Beauté & intelligence.

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