#429

Contrairement à Douze Lunes, le weblog de mon oncle Jean, il est clair que je n’entre jamais ici dans des débats politiques non plus que dans le commentaire de l’actualité internationale. Cependant, une fois n’est pas coutume… Je vous suggère d’aller lire quelques textes ou entretiens des candidats démocrates à la présidence américaine — il y a encore de l’espoir en ce monde. Ainsi Howard Dean et Dennis Kucinich.

À part ça, et pour revenir à un sujet plus typique de ce blog, qu’ai-je lu ces temps derniers? Well, let me think about it… Tiens, par exemple il y a Faerie Hackers de Johan Heliot (chez Mnémos). Enfin un auteur français qui ose se frotter à cette fantasy urbaine que les Américains pratiquent couramment & que les éditeurs français ont jusqu’à présent évité comme s’il s’agissait d’une forme de peste… Pourtant, le mélange de notre univers (ici une grosse entreprise de jeux informatiques) & de celui des fées (via le palais de versaille, porte vers la Faërie) donne bien un roman jubilatoire, bourré de trouvailles amusantes & de scènes épiques. On pensera un peu au De bon présage de Gaiman & Pratchett, pour la fée rebelle exilée sur Terre, quoique l’humour ici soit plus léger, moins directement le sujet. Toujours est-il que Faerie Hackers est un roman d’aventure passionnant & pas bête pour un sous.

Lu aussi CyberPan d’un autre des jeunes as actuels de la « litt.im. », Fabrice Colin. Bouquin pour enfants, entre SF & légendes, chouette. Du même, je viens de commencer Dreamericana.

En polars, j’ai donné dans l’historique: La Ville noire de Nicolas Bouchard (réédité en J’ai Lu: je n’avais pas voulu l’acheter en grand format, étant donné mon peu de goût pour ces grands bouquins tout moches/tout chers qu’on nous fabrique en France), vraiment parfaitement bien troussé & qui de plus m’a amusé par sa situation géographique (j’ai habité, hélas, deux ans à Limoges). La Disparue du Père-Lachaise de Claude Izner (chez 10/18). Dans les deux cas, il s’agit d’intrigues policières situées, pour l’une en 1900, pour l’autre en 1890, donc en plein dans cette charnière XIXe/XXe qui me passionne. Et dans un même ordre d’esprit, je lis avec passion la collection complète de 48/14, la revue du musée d’Orsay — j’en ai certainement pour des mois à explorer ces seize numéros bourrés de reproductions, de commentaires & d’articles formidablement érudits. Je viens de lire par exemple le n°12, sur « néo-impressionisme et art social »; fascinant.

Et puis suite à sa rencontre à Nyons, je me suis remis à lire du Pierre Magnan. De fait, j’ignore pourquoi je n’en avais pas lu d’autre, après avoir pourtant apprécié avec plaisir La Folie Forcalquier il y a quelques années… Toujours est-il que voir « en vrai » ce grand monsieur m’a donné envie de me replonger dans son oeuvre. Et bien m’en a pris: il y a là tout ce que j’aime. Des intrigues policières prenantes & tordues à souhait, un rythme nonchalant & une écriture admirable. Ah, cette délicieuse misanthropie! Et ces phrases douillettement balancées, qui confèrent aux intrigues une quasi intemporalité tant on ne parle ni n’écrit plus ainsi. Quel style! J’adore ça, tomber dans un livre en français sur des mots que je ne connais pas, par exemple — et Magnan ne se prive pas d’utiliser un vocabulaire formidablement riche, plein tout à la fois de formules désuétes, de français soutenu & d’emprunts au franco-provençal.

« Au bout d’un chemin de terre long de un kilomètre, bien à l’abri, bien masqué par des bosquets de yeuses et de grandes craus désolées où seules se cachent les truffes (…) »

Je sais ce que sont des « yeuses » (des chênes verts), mais qu’est-ce que sont des « craus », par exemple? Je n’ai pas ça dans mes dicos — je regrette d’ailleurs de plus en plus de ne pas posséder de vrais gros vieux dictionnaires bien ventrus.

Enfin, quel bonheur que lire du Magnan: il effectue la parfaite hybridation de Jean Giono & Simenon! Après avoir dévoré Le Sang des Atrides & Le Tombeau d’Hélios, je suis maintenant dans Le Secret des Andrônes (tous chez Folio Policier — qui ont le double avantage de n’être pas chers & franchement beaux, maquette presque aussi élégante que celle des Poirot d’Agatha Christie actuels, ceux de la série « signature »: j’aime les beaux bouquins & un poche peut être très esthétique!).

#428

Chemin en Forez

La fois dernière que nous avions emprunté cette route, on devinait encore l’éclat blanc de petites plaques de neige, par endroits, dans l’herbe des fossés. Il ne saurait en être question cette fois: curieux festival que celui-ci qui, non content de ne monter son chapiteau qu’une année sur deux, en change chaque fois & les lieux & la date. Pour autant, bien que les festivités se déroulent dans un château à la campagne, nous avons rendez-vous à Roanne pour déjeuner.

Et quoique nous ayons prévu de manger à la brasserie que nous connaissions déjà, place de l’Hôtel de Ville, notre ami JJ et son fiston Alain se sont installés à la terrasse d’un nouvel établissement. Il faut reconnaître que son nom a de quoi séduire: « Baker Street ». Et puis nous amuse le fait que cette brasserie toute neuve étende ses auvents pourpres là où il y a peu encore ne se trouvaient que des boutiques abandonnées, au seuil d’un supermarché en déshérence. De cette improbable poche d’échec urbain en plein centre-ville (entre le colosse rococo jaune & brun de la mairie et la pierre banche & fraîche de la salle des fêtes), endroit idéal pour un festival désert qui y prenait des airs à la Mad Max, il ne reste plus donc que les parpaings ruinés d’une prétendues réhabilitation en bureaux. Finie la longue pergola seventies, nous mangeons à l’ombre rouge d’une toile qui fait bien de nous protéger des ardeurs d’un soleil écrasant. Moules au curry & mousse de chocolat blanc — on recommandera l’adresse!

Une parade science-fictive s’annonçait, en fait ce ne sera qu’un couple de Bogdanov: dérisoire des gadgets de la SF transformés en pantins d’aluminium sans même un public. Les endimanchés du mariage concomitant sont plus drôles.

Perdus nous serons ensuite: par les rues sans indications d’une banlieue flambante neuve (qui eut cru cela possible de Roanne l’endormie?) puis d’une voie de chemin de fer à la Loire tortueuse, par un pont inutilement traversé mais non regretté: qu’il était beau, tout en pierres rouges à l’appareil blanc! Une élégance un peu frustre de début d’ère industrielle — impression que renforce sa voisine, carrière de gore rouge.

De nouveau sur le bon chemin, celui qui ne cesse de monter & de descendre du plateau à la Loire, la terre écarlate se voit remplacée par les croupes verdoyantes de collines, couvertes qu’elles sont par la toison drue des forêts du Forez.

Notre destination se découvre soudain au détour d’un méandre du fleuve, si incongrue que je crois un instant qu’il ne s’agit que d’un décor: le Château de la Roche.

Nous nous garons dans un vague parking, creusé à flanc de colline. La route surplombe de très haut l’étrange mise en scène du festival, où l’on ne sait plus ce qui est permanent, de la longue toile blanche du salon libraire, de la haute armature hi-tech érigée sur la rive (construisent-ils un second château ?) et des tours médiévalisantes plantées dans l’eau verte, à la pierre trop propre pour paraître authentique & à l’entrée drapée de blanc comme un décor de théâtre. Seule la Loire semble réelle. Et encore: des traces dans la pierre de la berge d’en face, abrupte comme le bord d’un fjord, sont les traces qui attestent de l’inconstance du fleuve, crues & décrues des eaux.

Mais quelle idée de consacrer à une thématique urbaine (« Ville au bord du futur ») un festival placé dans un cadre qui ferait plutôt fantasy. Encore que l’intitulé nous ait fait rire: Roanne semble effectivement avoir été oubliée au bord du futur, sur le bas-côté de l’évolution urbaine.

Quelques visages connus, des bouquins, une expo moins séduisante que son écrin (encore que je craque volontiers sur des originaux de Schuiten). Table ronde sur la ville du futur — nos écrivains peu inspirés ne disent pas grand-chose d’autre que de l’ordinaire, tandis que l’architecte invité s’avère passionnant & passionné, d’une lumineuse pertinence. JJ & Fab farfouillent dans les bacs de vieux livres, Gizmo prend des couleurs.

Projeté sur la Loire au bout d’un bras, visiblement destiné à l’obtention d’un péage, le Château de la Roche s’impose comme une évidence en pierre ocre. Accoudé à la balustrade de la terrasse comme à la proue d’un navire (mais il s’agirait en fait d’une poupe, la Loire filant en sens inverse), je savoure la beauté du site.

Les pentes boisées qui plongent directement dans le flot vert (je pense à un loch écossais). La trouée lumineuse, jaune tendre, d’un pré qui au-delà de la prochaine boucle descend doucement jusqu’à l’onde. La plage toute en roches fendues, d’un rouge éteint. Les vibrations qui courent sur l’eau sombre & boueuse. Les deux gamins blonds qui sautillent sur la rive étroite — notre Alain qui tente de réussir quelques jolis ricochets, tandis que le Boris de Gilles ne pense qu’à faire de beaux éclaboussés.

#427

Deux nouvelles terminées cette semaine. La vie devrait être tout le temps ainsi: les journées comme autant de longues plages tranquilles durant lesquelles écrire, sans autre contrainte. Avec au-dehors la vague rumeur du trafic automobile, le tintement de l’alarme d’un véhicule de la voirie, les trilles d’un merle & enfin les tambours légers de la pluie.