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Lu: Blind Lake de Robert Charles Wilson.

Il s’agit d’une sorte de thématique obligée, chez Wilson: la communauté scientifique enclavée, de préférence retenue par les forces militaires. Et cette fois encore, un roman de Wilson se déploie dans cet étroit contexte. Avec comme communauté scientifique, celle de Blind Lake, à la fois ville (pour les failles et le personnel civil), base de recherche et colossale machine.

Blind Lake est la deuxième installation de ce type aux États-Unis (et au monde): une sorte de télescope géant — sans le moindre appareillage optique. Car les hommes sont tombés par hasard sur une méthode nouvelle d’observer les étoiles lointaines — une sorte de super-ordinateur quantique couplé à des éléments organiques. On appelle ça un OB:EC — et la plupart des gens, même scientifiques chargés de son entretien, ignorent comment cela peut bien fonctionner…. En effet, la découverte de la puissance d’observation des OB/EC fut découverte fortuitement. À l’origine, il s’agissait simplement de renforcer des télescope orbitaux, qu’une erreur matériel faisait tomber peu à peu en panne. Les ordinateurs quantique/organiques avaient été « branchés » sur les données des télescopes afin d’en trier le plus longtemps possible les données optiques du « bruit » de plus en plus important provoqué par la panne.

Au début, les OB/EC jouèrent leur rôle, parvenant à tirer des images nettes du fatras d’informations en provenances des télescopes défaillants. Mais lorsqu’on découvrit que lesdits télescopes étaient bel et bien morts, définitivement — les OB/EC continuèrent à donner des informations! Assez mystérieusement, les ordinateurs quantiques avaient ainsi « appris » à aller chercher l’information lointaine, et se passaient désormais de l’appui des télescopes défunts.

Plus encore: les OB/EC permirent d’observer précisément une planète bien précise, d’en explorer faune et flore, d’en fouiller visuellement el moindre recoin. Cette première planète observée ne recelait qu’une vie océanique très simple. Mais lorsque l’on mis en place un autre apprentissage pour un autre OB/EC, à Blind Lake, se fut une planète bien plus passionnante que l’on se mit à étudier: une planète aride mais peuplée par des créatures visiblement intelligentes, des sortes d’immenses homards bipèdes qui vivaient dans une immense cités de pyramides.

Pour autant, on ne sait toujours pas réellement comment fonctionnent les OB/EC — et ainsi que l’a déclaré un employé de la première base scientifique (Crossbank) au journaliste Chris, « cela peut s’arrêter demain ».

Lorsque débute l’action du roman, un trio de journalistes (la vétérane Elaine, le jeune mais désillusionné Chris, et l’auteur d’un essai best-seller mi-mystique mi-scientifique) débarque à Blind Lake, avec enfin l’autorisation d’enquêter sur tous les aspects de la base scientifique, pour un petit magazine new-yorkais. Mais peu de temps après, la base se retrouve bouclée — interdiction d ‘entrer, interdiction de sortir. Ce qui a provoqué ce blocus? Mystère total, personne ne les ait! Pas même le chef de la sécurité de la base, seul haut gradé de la hiérarchie à être en poste à ce moment précis — tout le reste de la haute hiérarchie se trouvant justement en conférence à l’extérieur.

Ray, virtuellement le chef de la base durant le blocus, est un maniaque, un tyran et un incompétent, qui ne s’est imposé qu’à force d’hypocrisies et de politique opportuniste (alors qu’il est fort sceptique quant à l’usage des OB/EC). Son ancienne épouse, Marguerite, l’a quitté il y a plusieurs mois — elle vit dans le village de la base, avec leur fille Tess, une gamine de onze ans qui n’est pas bien dans sa peau, sujette à des « absences » (des sortes de longs moments de contemplation) aussi bien qu’à des sortes d’hallucinations (il lui semble que l’accompagne souvent la présence invisible de ce double qu’elle appelle « Mirror Girl », une observatrice insistante qui lui pose souvent des questions et veut imposer sa manière de voir, à la grande peur de la petite fille).

L’auteur pose tranquillement ses personnages, particulièrement le trio Marguerite/Chris/Tess, très attachant et parfaitement brossé, avec une finesse psychologique qu’on ne lui connaissait pas encore (Wilson ne cesse décidément de s’améliorer, d’évoluer vers toujours plus de subtilité — y compris au niveau stylistique,d ‘ailleurs, avec ici de très beaux passages descriptifs). La tension monte au fur et à mesure que s’éternise le blocus, incompréhensible et oppressant. On explore également la vie du « Sujet », l’extraterrestre sujet d’observation de la base, omniprésent par le biais des écrans placés partout, dans les lieux publiques aussi bien que chez Marguerite, par exemple — et qui décide un jour de subitement abandonner son habituelle routine pour quitter la cité et s’enfoncer dans le désert.

Et peu à peu se développent (au sens où une fleur se développerai, c’est-à-dire comme une éclosion lente) le mystère de cette communication unilatérale entre Blind Lake et une planète immensément lointaine, & le mystère des OB/EC, ces ordinateurs incompréhensibles au bord des facultés « sapiens »…

Que dire sans spolier plus avant? Que c’est encore une fois une superbe réussite de Wilson, avec le petit « plus » d’une fin non pas noire et dramatique comme souvent chez cet auteur, mais cette fois raisonnablement ouverte & optimiste. Suivre pas à pas, livre après livre, la carrière d’un tel auteur s’avère une véritable délectation tant il a de ressources, une véritable intelligence & une évolution toujours séduisante. Pour moi, Wilson est typiquement le genre d’auteur que j’aime lire en science-fiction — loin des space operas infantiles & du techno-jargon, des oeuvres ancrées dans la réalité & dans l’humain, tout en « décollant ». Quelque part à mi-chemin d’une SF classique à la Clifford Simak & la « speculative fiction » des années 70, à la Silverberg/Brunner.

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