#2455

J’avais déjà cette vertigineuse impression de rupture lorsque j’étais môme : d’un coup, sans transition, l’on passait de jours sans fin à jouer dans le parc de la maison de Saint-Brévin, à aller à la plage, à laisser courir nos doigts sur l’écorce des pins, à cueillir des asperges sauvages, à lire des Philippe Ébly ou des Fantômette à l’ombre frêle des mimosas… aux jours d’école, le retour à la maussade normalité. Un jour, la vie quotidienne signifiait chants d’oiseaux de l’autre côté du volet (et sûrement ces oiseaux ne chantaient qu’ici), et un autre jour, le lendemain, tout cela n’appartenait qu’au passé. À chaque vacances la même rupture — et oh le bonheur, le soulagement, de revenir à Saint-Brévin la fois suivante, sortir de la voiture en arrivant, être sous les pins, fouler le sol sablonneux à l’herbe rêche, chercher du regard les petites fleurs jaune et noir dont je m’étais presque persuadé qu’elles ne poussaient que là.

Un peu plus tard, j’eus cette sensation de rupture à chaque convention. À l’époque, la convention nationale de science-fiction représentait l’un des sommets de mon année, avec la Braderie de Lille. Deux moments magiques, bien à moi, avec des copains et copines en vois-tu en voilà, seulement quelques jours qui lorsque l’on s’y trouvent semblent constituer une évidence, une réalité stable, et qui pourtant sans transition n’appartiennent plus qu’au passé, le cœur un peu lourd dans le train du retour, les oreilles tintant encore de toutes ces voix.

Partir de Lyon me fit le même effet. Un jour il s’agissait de mon quotidien, aux sillons creusés profonds, si familier, devenu presque un peu étouffant, rassurant cependant, « chez moi ». Et  soudain : Lyon lointain, tout entier dans le passé. Avec pourtant cette fois bel et bien une sensation de transition — le long voyage dans le noir de la nuit, à bord de la camionnette, Julien au volant, les chattes silencieuses à l’arrière, l’impression d’un long tunnel nocturne, traverser des solitudes naturelles, et l’épais brouillard du plateau de Millevaches. De l’autre côté : une nouvelle maison, tout le réseau des habitudes et des relations à recréer, et derrière moi, vingt-huit années de vie lyonnaise, maintenant devenues un « pays étranger » comme le disait L. P. Hartley du passé.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *