L’intime. C’est quelque chose, un sentiment de proximité au point de faire presque partie de moi, qu’en dépit de mon amour pour la science-fiction et la fantasy, je n’ai jamais ressenti non pas pour mais par ces genres. Parce qu’en SF, l’intime et le purement psychologique ont longtemps été absents des stratégies narratives ; la SF c’était le grand spectacle, avec des personnages comme simple vecteurs. Bien sûr, Cristal qui songe, Des fleurs pour Algernon… mais ces romans-là n’arrivèrent pas à point ou ne me touchèrent pas si fort qu’ils me construisirent. Et puis encore, la SF était seulement hétéro, ce qui ne pouvait me parler intimement. La fantasy arriva un peu trop tard, pour moi. Le roman policier ? Ma proximité de ce genre fut « pantoufle » plutôt que construction intime : puzzles et divertissements, éléments de langage, même (les plaisanteries de Fantômette et les réparties d’Archie Goodwin), importants pour bâtir mon imaginaire mais pas pour m’expliquer le monde au niveau émotionnel. Finalement, lorsque je me retourne sur mon passé de lecteur, lorsque j’interroge mon ressenti de lectures, mes attachements intimes sont principalement avec deux galaxies de vies : Christopher Isherwood et Armistead Maupin. Du premier, j’ai tout lu et relu, jusqu’aux journaux, plusieurs biographies, des documentaires, des essais sur, et même étendu mon intérêt à tout son entourage — Upward, Spender, Auden, Day Lewis, et leurs œuvres, et leurs vies, jusqu’à Denny Fouts (l’homme entretenu…) ou Benjamin Britten, sans parler des films Cabaret et A Single Man. Isherwood et les siens, qui m’ont tant appris sur le sentiment homosexuel, que j’ai tant suivis qu’ils me semblent appartenir à ma vie d’une certaine manière. Du deuxième, j’ai également l’impression d’en connaître intimement tous les personnages, et jusqu’à leurs visages et leurs voix puisqu’ils furent incarnés sur le petit écran. Lues et relues les « Chroniques de San Francisco », et j’attends maintenant avec grand intérêt l’autobio annoncée de Maupin.
Ce rapport intimiste à certaines œuvres, je l’ai également avec une poignée d’albums qui me sont « culte », un rapport à quelques musiques singulières qui ne s’explique que par des conditions de découverte ou d’écoute dans ma jeunesse : The Hissing of Summer Lawns de Joni Mitchell, Ommadawn de Mike Oldfield, To Keep from Crying de Comus, Lord of the Ages de Magna Carta, Wind and Wuthering de Genesis, Thick as a Brick de Jethro Tull, le tout premier Supertramp (avec la vilaine rose en pochette)…