Je confiais il y a peu à ma copine Sylvie Denis que lors de la sortie de son recueil en Folio-SF, Jardins virtuels, il y a maintenant pas mal d’années, j’avais été presque aussi heureux/fier que s’il s’était agit d’un de mes propres bouquins. Je suis ainsi avec les livres, parce que mon entourage est notablement constitué d’écrivains, certaines parutions me « touchent » presque intimement. Un nouveau Calvo, par exemple — je viens juste d’acheter Toxoplama et ai hâte de le lire. Ou bien cette bio de Philip K. Dick en bédé, que viens juste de sortir mon excellent camarade Laurent Queyssi et qu’il m’avait fait lire en avant-première sur mon iPad. Ou ainsi encore d’un nouveau Xavier Mauméjean, par exemple.
Eh bien, c’est que c’est un ami, mais plus encore, j’ai écrit plusieurs essais avec lui — les bio de Holmes et de Poirot, que la collection de poche « Hélios » vient de juste rééditer avec ma bio solo de Lupin. Et lorsque Mauméjean, mon excellent camarade Xavier, sort un nouveau roman (dernier en date : La Société des faux visages) je suis curieux, très curieux. Curieux de savoir quelle « machine » il a fabriqué et de voir comment elle fonctionne. D’autant que la veine qu’il explore depuis maintenant trois romans n’est guère éloignée de ce qui motiva nos biographies. Les commentateurs germano-pratins, jamais à cours d’inculture, ont récemment forgé l’étiquette d’exofiction pour les plus ou moins bio romancées, les vies réinventées, ce genre de choses — pour la fiction, quoi ! Alors avançons que Mauméjean est le roi de l’exofiction, et pas depuis peu. Avec Alma il semble avoir de plus trouvé son éditeur idéal, des petits formats élégants, sobres à la française, et cette fois il propose un titre fort mystérieux, une énigme très étrange, une histoire bien folle. C’est étonnant combien ces « exofictions » mauméjeanesques fonctionnent bien pour moi, alors qu’elles se situent en dehors de mes propres sentiers lus et battus. Je ne saurai dire exactement pourquoi, je ne me prétend pas « critique », il y a cette documentation subtilement glissée (touchant du doigt presque son versant essayiste), il y a cette sécheresse de style (moi qui aime le lyrisme), il y a cet étonnant intellectualisme de concept allié à une tendresse pour ses protagonistes (cette fois Houdini, Freud et Jung), cet imaginaire de l’étrange, du freak, du tordu, curieusement plus souvent chaud que sombre. Drôle de type, Mauméjean. Je l’aime bien. Et idéal, cet éditeur l’est vraiment pour lui : rouge, brun, violet, voici déjà trois jolis petits volumes qu’il aura aligné chez eux, on a envie d’en avoir d’autres. Le brun, c’était son précédent, ce Kafka à Paris si léger et étonnant, comme une sorte d’aventure de Spirou (Franz Kafka) et Fantasio (Max Brod) dans le Paris de la fin d’été 1911. Avec beaucoup d’humour, fait d’absurde et de tendre ironie. Avec une belle langue charnue. Avec de jolies tranches de psychogéographie (il n’y a pas pour rien, en tête de roman, une citation de Walter Benjamin). Avec de nombreuses rencontres et un usage formidablement vivant de la documentation historique.
Et le rouge c’était son premier, American Gothic, oserai-je le qualifier de majeur ? Cela demeure mon impression, en tout cas : un roman qui parvient à dédoubler la légende d’Henry Darger en la teintant de Oz, qui accumule les simples (?) documents tout en parvenant à créer un puissant effet de suspense. Pour moi, une fiction virtuose, un merveilleux vertigineux, dupliquant à sa manière la froide jubilation d’un Steven Millhauser et la brûlure d’un Jonathan Carroll…
Bon, la suite monsieur Mauméjean ?