#2674

On est peu de choses mon bon monsieur. L’autre matin comme je poireautais près d’une heure dans la foule d’une gare Montparnasse plus rébarbative que jamais vu les travaux, toute cette foule, tous ces mouvements, tous ces visages, me mirent en mémoire quelqu’un à qui je n’avais pas repensé depuis fort longtemps — mais je sais pourquoi, un universitaire suisse m’ayant questionné à son sujet il y a peu. Maurice G. Dantec. Je ne l’ai croisé qu’une seule fois, littéralement dans un dîner parisien, et cet écrivain alors débutant ne m’avait pas fait grand effet, je l’avais trouvé immature, pensant en noir et blanc tranchés, bref un mec assez sot. Pourtant il demeure connu, célèbre, quand tant de personnes tellement plus bonnes et humainement talentueuses disparaissent aussitôt à leur mort. Oui je sais, j’étais sans doute un peu morbide ce matin-là, la fatigue aidant. Puis je vis une vieille dame caresser, deux fois, la joue d’un garçon de 15 ou 16 ans à l’air boudeur de cet âge, et cette tendresse me fit revenir un autre souvenir, de la même soirée : la main de notre hôtesse tendrement posée sur mon épaule, quand elle passa derrière moi, et moi de poser la mienne par-dessus et d’être étonné de la découvrir si rêche, si ridée — je n’ai jamais oublié cela car cette dame décéda quelques semaines plus tard, d’une crise cardiaque. Et là j’eus un bref instant d’angoisse, je ne me souvenais plus de son nom, je cherchais un moment dans ma tête, enfin quoi, Annick, elle se prénommait Annick… Annick Béguin, voilà, une vieille libraire parisienne, qui organisait alors le prix Cosmos 2000. Dans le haut-parleur une voix féminine crachota le numéro de quai de mon train, mettant un terme à ces ruminations, mais vraiment, nous devenons bien peu, à peine un souvenir.

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