#2462

Je ne fus pas raisonnable. Pourtant j’ai un boulot monstre. Sorti pour chercher une boulangerie meilleure et moins chère que celle pas loin de chez moi, je me suis retrouvé à me laisser entraîner par les rues, jusqu’à arriver à l’abbatiale Sainte-Croix. Oh, hum, de là il n’y avait donc guère de chemin pour aller à la basilique Saint-Michel, n’est-ce pas? Et non, pas pour me rendre à la messe mais pour répondre à l’appel tentateur du marché aux puces qui, chaque dimanche, s’étale sur les quais…

Alors là, fatalement, non seulement j’ai croisé un PM jovial quoique encore perplexifié par l’affaire des netsuke en série ; mais encore j’ai trouvé des livres, ça alors. Deux beaux albums jeunesse parus chez Garnier en 1978, où un certain Lennart Rudström conte en un mélange de fiction et de biographie le quotidien du grand peintre Carl Larsson.

Longtemps en France, les expositions et les musées étaient strictement franco-français, ça change heureusement. Je n’avais donc fait la connaissance de Carl Larsson que grâce à un petit livre chez Taschenn, avant d’en voir quelques tableaux à Venise et à Londres. J’espère bien aller visiter à Paris, le mois prochain, l’expo qui lui est enfin consacrée.

Mon autre trouvaille fut une très belle reliure cartonnée des récits et du théâtre d’Albert Camus, parue en 1958 à la NRF. Depuis le temps qu’il faut que je lise Camus, tout de même — outre sa réputation, il y a le tropisme du Rêve de Gloire de RCW et mon amitié pour son petit-fils, David Camus. Et puis ce qui m’a particulièrement attiré, avouons-le, ce sont les nombreuses aquarelles qui l’illustrent. Dans le goût de l’époque, celui des couvertures peintes du Livre de Poche que j’aime tant. Des illustrateurs inspirés, d’autres moins, et puis tout de même trois aquarelles d’André Masson et trois autres d’un favori des savanturiers, Tibor Csernus. En attendant le bus pour rentrer, j’ai commencé à lire et que c’est beau, Camus parlant de villes et de voyages, superbe.

#2461

Alors stagiaire à la librairie de Francis Valéry, je descendais vers les quais pour aller faire quelques photocopies chez le reprographe — celui-là même chez qui je n’allais pas tarder à créer mon propre fanzine, Yellow Submarine. Mais passant devant la gare, j’eus l’impression que des flots de musique verte en sortaient. Oui, verte. J’entrais, il s’agissait d’un concert gratuit de Minimum Vital, groupe bordelais de prog. Depuis, trente années se sont écoulées et j’ai continué par intermittences à suivre ces flots verts et bondissants, mêlant Renaissance, Orient, une pointe de cuivre et un chouïa de Magma. Hier soir, Minimum Vital en trio donnait un concert non loin de chez moi, dans le cadre superbe d’une chapelle. Juste au bord d’un fragment de campagne avec fermes, ruisseau, prairies et zoiseaux, que le tram ne va pas tarder à rejoindre. Ce fut bel et bon.

#2460

Les deux premiers jours, Carmilla, la chatte noire, a résolument refusé de mettre une seule patte dehors. Elle avait déjà considéré avec un mélange de crainte et de méfiance l’escalier, lors de notre installation, et maintenant c’était au tour de ce terrible extérieur de lui inspirer une têtue réticence. La plus jeune, Mandou, fonça aussitôt dehors, trouva le moyen un soir de se glisser sur le toit, protesta lorsque nous finîmes d’installer la palissade de bambou — l’empêchant par conséquent de bondir sur le muret de la voisine pour aller explorer le jardin voisin — bref manifesta le plus grand enthousiasme pour cette nouvelle extension du domaine de ses expériences sensibles et de son espace de vie. Calmement, la grosse mémère grise, Jabule, explora avec circonspection puis adopta sans restriction.

Ce matin je n’avais encore qu’entrouverte la porte de la cuisine, vu la fraîcheur. Mandou, sortie par la porte du salon, considéra cette porte entrebâillée, se leva sur ses pattes arrières et, s’appuyant des pattes avant sur le battant, ouvrit en grand la porte offensante, avant de s’éloigner sur la terrasse. Quant à Carmilla, elle campe maintenant dans le jardin, au beau milieu du bouquet de myosotis, tache d’ombre percée seulement de deux lueurs jaunes clignant de satisfaction. Hier soir j’ai du aller la chercher afin de pouvoir fermer pour la nuit, et elle exprima son mécontentement d’une voix grêle.

#2459

Retour au calme hier soir, c’est-à-dire à la solitude, et est-ce en rapport mais l’écoute d’un CD de musique classique russe m’a légèrement mis le bourdon. Un peu de jazz éthiopien m’a remis d’aplomb, ainsi que la lecture du Larry Niven récemment méga-compilé chez Mnémos, L’Anneau-monde que je n’avais pas relu depuis mon adolescence, bien rigolo. De l’autre côté de la porte-fenêtre, j’ai maintenant un cossu jardin, installé ces derniers jours mais dont je ne profiterai guère aujourd’hui à en juger par le ciel blanc et bas. Les premiers repas sur la terrasse et les premiers pas félins à l’extérieur furent délicieux.

Gabriel Garcia Marquez vient de s’éteindre à un âge respectable, je n’ai lu que Cent ans de solitude (comme une majorité de personnes je suppose), en français d’abord, en espagnol ensuite, puis depuis de nouveau en français car j’ai perdu toute maitrise du castillan faute de pratique… Ah si, j’avais également lu l’histoire d’Erendira et de sa grand-mère diabolique, en espagnol itou.

#2458

Ma vie est ainsi faite que j’alterne entre des périodes de travail relativement détendu, des heures nombreuses mais calmes plus quelques promenades de fin de journée — et des périodes de travail intensif, le nez dans le guidon, la pression sur les épaules (parfois un chat aussi). Le deuxième cas de figure occupa ces derniers jours, pour le rituel désormais tri-annuel que je nomme « l’assemblage », à savoir les travaux de mise en page et de bouclage d’une livraison de la revue Fiction. Car pour être désormais coédité par les trois éditeurs du collectif « Indés de l’imaginaire », cet auguste périodique repose toujours sur mes épaules sus-évoquées pour ce qui est de la « direction de publication » — soit en clair, la maquette et les finitions diverses. Les deux chevilles ouvrières de la revue, Jean-Jacques et Julien, me rejoignirent donc en ma nouvelle demeure, et c’est en trio que nous trimâmes sur cette tâche, intense et concentrée. Le soir, Julien que je logeais cédait à la même envie que moi d’aller se détendre les jambes par une marche urbaine. Et d’apprécier comme moi aussi, la fraîcheur du fond de l’air comme la douceur de la blonde architecture. Enfin, blonde quand elle est nettoyée, sinon dans des nuances de beige tirant de plus en plus vers le gris, voir même dans le noir de mes années étudiantes pour certaines demeures encore délaissées en leur habit de suie.

Hier matin, le numéro étant bouclé, nous fîmes relâche et, comme si « arrache-pied » n’avait pas suffisamment défini ces derniers jours, nous allâmes user nos semelles de par la ville, ses rues, ses portes, ses quais… et sa méga-librairie. Une halte dans un pub pour une authentique nourriture britannique acheva de me requinquer. Rentré en mes pénates, je venais de terminer diverses corrections et retouches sur des couvertures, quand le téléphone portable sonna… Un ami de très longue date était de passage inopiné et pouvais-je le voir ? Ni une ni deux, je descendis à la gare et passais la fin de la journée avec lui, à discuter de livres numériques et de bande dessinée sous un soleil caressant. Dans un moment, je vais repartir, pour Toulouse, afin d’aider à tenir le stand apparemment immense des Indés de l’imaginaire au salon TGS SPringBreak, et la semaine prochaine retour annoncé d’un épisode de rythme mesuré, avec visite parentale pour faire le jardin — nouvelle étape de mon installation.