« Life’s aim, if it has one, is simply to be always looking for temptations. There are not nearly enough of them. I sometimes pass a whole day without coming across a single one. It is quite dreadful. It makes one so nervous about the future. »
(Oscar Wilde)
Archives de l’auteur : A.-F. Ruaud
#1372
London jan 08 / 4
Amateur comme je le suis de la nature-en-pleine-ville, je n’ai guère profité cette fois de cet aspect de Londres, en dehors d’une nocturne traversée de Hyde Park. Mais j’envisage déjà d’autres séjours londoniens… et puis, le côté champêtre de cette occasion, ce fut une descente en bâteau de la Tamise, depuis Westminster (où, au préalable, je pris moult clichés de l’ancien Scotland Yard) jusqu’à Greenwich. Bien qu’il s’agisse d’un bus de la ville, un des chauffeurs improvise un amusant commentaire au micro, avec un accent transformant chaque i en oï et dans une culture purement télé-filmique. Telle vedette habite ici, tel feuilleton a été tourné là.
L’épave du pauvre Cutty Sark, récente victime d’un incendie, se camoufle sous le linceul blanc d’un grand échafaudage. La vive lumière hivernale d’un ciel glacialement bleu fait luir les façades blanches de l’école navale. Seule déception de cette petite escapade: un médiocre fish-and-chips dans une gargote locale, et un prétendu cidre imbuvablement sucré. Au retour, par métro automatique aérien, halte au sein de la Mecque démesurée et déshumanisée de Canary Wharf. On touche là à un certain futur, celui des cités géantes aux habitants-fourmis, grouillant dans des couloirs trop éclairés. Le capitalisme réalise les grands fantasmes de la SF — dans ce qu’elle a de pire. Je commence à prendre sérieusement en grippe cette culture de l’argent neuf, du luxe tapageur, des boutiques ouvertes tard la nuit et tout le dimanche. L’architecture est splendide, il m’intéresse de voir comment évolue physiquement ce quartier que j’ai vu « pousser », mais l’horreur sociale sur laquelle tout cela pousse m’horripile. En chemin vers la Tour, l’East End révèle combien il demeure encore le royaume de la pauvreté, même si les alentours de la station Limehouse sont boboifiés — tout un symbole, cela, Limehouse devenu adresse chic. Partout ailleurs, sur les galeries extérieures des immeubles de brique sale, du linge claque au vent. Pourquoi les pauvres font-ils toujours sécher leur linge dehors?
#1371
London jan 08 / 3
Depuis longtemps déjà, j’admirais la vieille boutique toute en longueur de chez James Smith & Sons, sur New Oxford Street. La première fois que je l’avais remarquée (une fouille dans ces journaux le mettrait sans doute à jour), ce devait être lorsqu’une campagne de publicité très astucieuse leur avait fait placer, discrètement, aux coins de leur vitrine, la mention selon laquelle monsieur John Steed se fournissait chez eux. Un argument fort plausible: à considérer en devanture ces alignements serrés de parapluies, de cannes-siège et de badines, c’est bien l’Angleterre de « Chapeau melon et bottes de cuir » qui vient à l’esprit. Nul doute aussi que Bertie Wooster et Gussie Fink-Nottle se fournissaient ici.
Vieille admiration, donc, et puis, mon beau parapluie gris d’Amsterdam donnant hélas des signes de fin de vie approchante, je conçus le projet de n’en racheter un que lorsqu’il me serait possible de me rendre chez James Smith & Sons. Ce que j’ai fait cette fois, par conséquent. Et James Smith & Sons ne m’ont pas déçu.
Le vieux gentleman qui me servit avait cette distinction toute britannique, avec un léger plissement amusé au coin de l’oeil, de celui qui se trouve dans son archétype et le sait fort bien. La diction, l’humour, la raideur, tout chez cet homme était un délice d’englishness. Et le rituel! Recevant de mes mains le parapluie de mon choix, il m’indiqua qu’il s’agissait de « châtaignier » (en français dans le texte), me fit tester sur le parapluie lui-même puis sur une canne réglable la lonueur idéale pour le manche, avant que l’embout métalique ne soit installé à la pointe de ce summum de l’art pépinesque.
Il n’a guère plut durant notre séjour, après la matinée la Tate, je n’ai donc testé ma fierté de parapluie qu’un bref quart d’heure, aux alentours du Natural History Museum et du V&A, mais qu’importe: me voici équipé pour de nombreuses années, indeed sir.
#1370
#1369
London jan 08 / 2
Expo Millais à la Tate Britain. Aussi vaste que fascinante. En réalité, je ne savais pas du tout si ce pré-raphaélite au réalisme de détail minutieux, pouvait réellement m’intéresser, me passionner. Je ne connaissais de lui que cinq ou six toiles.
Parcourir ainsi toute sa carrière s’avère un cheminement assez étonnant dans l’art et l’histoire anglaise. Pour commercial qu’il eut été (au point de quasiment s’achever sur une publicité pour du savon !), le parcours de Millais, John Everett de ses prénoms, recèle un nombre impressionnant de pièces d’une grande beauté. Ce qui est sans doute d’une grande banalité à affirmer, mais dont dans mon ignorance du sujet je n’étais pas tout à fait persuadé auparavant. Fascination esthétique et historique furent au rendez-vous.
Pour le reste de cette matinée pluvieuse, redécouverte des collections de la Tate — l’art britannique dans toute sa beauté, si peu souvent acheté et exposé en France. Les Turner bien entendu: avec une proportion inhabituellement importantes de « Begginings », les esquisses, purs jeux de lumière nébuleuse, une tonalité quasi non figurative dûe à un choix de David Hockney, qui a supervisé une partie de cet accrochage. Mais aussi les artistes modernes: Ben Nicholson, par exemple, ou John Piper dont je n’avais jamais rien vu « en vrai ».
