De curieux fruits poussent dans le tout neuf quartier d’à côté, sorte de grise et haute dystopie urbaine que ne dépareillent pas ces baies toxiques. Dimanche en dépit de mon problème au talon, et au défi de la tempête qui continuait à souffler et grommeler, une copine me persuada de mettre le nez dehors pour une petite exploration de cette zone moche, avec d’abord une grimpée jusqu’à un « rooftop » venteux et pisciné pour instagrameurs, puis jusqu’au nouveau pont, un tronçon d’autoroute posé en travers du fleuve. Cupidité immobilière et médiocrité architecturale se donnent la main pour hâter ces lieux et la crise les obligent à ne pouvoir finir certaines de ces sottes bâtisses, qui tendent leur ferraille au-dessus de murs en parpaings comme dans un paysage sicilien.
Archives de catégorie : Bx
#6100
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Ce matin, comme je partais faire des courses en ville avant de passer à la librairie du Basilic, j’ai échangé quelques mots avec l’homme que je surnomme Laurel. Son Hardy est mort depuis déjà un moment, et du vivant de ce dernier il ne disait presque rien, laissant l’autre baragouiner jovialement dans un sabir d’espagnol et de français. Laurel est un tout petit homme au nez pointu et aux beaux yeux marron sous sa casquette grise. Me voyant arriver à l’arrêt de bus c’est ainsi qu’il m’interpella, s’amusant d’une voix douce de notre supposée ressemblance : casquette et canne. Nous échangeâmes comme il se doit sur le temps, frais mais clair, de ce bleu et doré qui dit l’hiver. Puis de m’expliquer, de son souffle modeste, « Je sais pas quoi faire d’ma peau alors je vais aller boire un café aux Capucins ». Ne pas savoir quoi faire de sa peau : le petit homme sillonne sans relâche ces quartiers sud de Bordeaux, le pas lent, la canne tranquille, sans autre but que d’occuper le vide de cette existence. Les ginkgos se couvrent d’or et les érables d’écarlate, Laurel marche toujours, sans Hardy, simple figurant des rues.
#6089
Un très long moment ce matin, le glas a sonné à la cloche géante de la porte médiévale que l’on nomme la Grosse cloche, un monument que je ne cesse d’admirer à toutes heures et sous toutes lumières, qui cette fois prenait un aspect de solennelle violence – pour marquer les 80 ans de la libération de Bordeaux. Tout le quartier résonnait de cette voix grave, le choc de l’airain dans le jour clair d’une fin d’été.
#6057
Il y avait jusqu’à peu deux silhouettes familières dans les rues de mon quartier, deux figurants aux allures de Laurel et Hardy arpentant les artères sans jamais faire la manche, marchant et prenant le bus, montant et descendant, tous les jours, toute la journée. Laurel, un petit bonhomme voûté au nez pointu sous sa casquette, ne causait pas, laissant parler pour deux le gaillard Hardy, yeux cernés de cardiaque sous une touffe de cheveux blancs jaunâtres, d’une voix roulante et peu compréhensible dans son sabir d’espagnol et de français. Je suppose que Hardy est mort le premier, comme toujours, laissant Laurel poursuivre seul cette curieuse existence ambulante. Il cause maintenant, un peu, et à un arrêt de bus l’autre fois m’a demandé si j’étais écrivain ou éditeur, se souvenant d’un bref échange que j’avais eu avec son défunt camarade – pour simplifier j’ai revendiqué le métier d’éditeur. Non loin un monsieur du type vieil intello de province leva un regard intéressé en déclarant être écrivain – « Vous publiez quoi ? » m’interroge alors l’homme. Science-fiction et fantasy fais-je en sachant que d’ordinaire cela suffit à refroidir les adeptes des mémoires rurales. « Ah, moi ce sont les voyages mais il est difficile de trouver un éditeur. » Je n’ai pu m’empêcher de lui dire qu’hélas il y a plus de gens qui veulent écrire que de gens qui veulent lire… « Et beaucoup plus d’écrivains que d’éditeurs », fit-il philosophe comme le bus arrivait. J’ai songé qu’avec la marée montante de l’auto-édition ce n’était plus exactement l’équation malheureusement.