Les arbres chuchotent sous la grande clarté lunaire qui vernit toute chose. Molle et froide, la nuit roule des nuées bleuâtres au-dessus de la crue immobile des tuiles. Le sol de la terrasse se couvre de grumeaux d’humidité luisante, comme des écailles tombées du sommeil de l’arrière-ville. Un tintement lointain et bref met en relief le grommellement sourd du boulevard, rumeur d’un moment qui serait toutes les nuits dimanche.
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#2862
La pluie c’est comme le ciel dont elle se décroche, il faudrait l’utiliser au pluriel. L’autre jour je fus médusé, alors que je venais de faire quelques pas dans la rue pour aller chercher ma poubelle et celle de Mademoiselle Rose, sur un trottoir parfaitement sec. Traversant la maison, je m’avise presque aussitôt de sortir dans le jardin — et floc floc, mes semelles constatent que la terrasse est trempée, je manque même de glisser en allant jusqu’au composteur. Il venait de pleuvoir, là seulement, comme un fond d’arrosoir dont on se débarrasse. Bordeaux ville des pluies.
#2859
Presque tous les dimanche matin, c’est-à-dire lorsqu’il ne pleut pas, je réponds à l’appel des deux marchés : les halles des Capu et la brocante de saint Mich. Selon les fois et les autobus, j’arrive par le long arc et le brasier bleu des quais, ou bien par la cohue du trottoir trop étroit avant le carrefour qui ronfle et fume. Et curieusement, en six ans je ne me suis toujours pas lassé. Également curieux que m’amuse tant cette plongée dans des foules, pour un vieux mec qui n’apprécie guère cela dans toutes autres occasions.
Eh bien là, semaine après semaine, chaque fois c’est semblable et différent : dimanche dernier les stands rares grelotaient sous un ciel glacial et des coups de vents, et je ne rapportai qu’un mince volume de Rimbaud — souhaité depuis longtemps, tout de même : enfin les textes, seulement les textes, sans toutes ces fichues notes où des profs croient bon de livrer « explications » et commentaires, fichus parasites, laissez donc Rimbaud parler. Aquarium ardent et aube de juin batailleuse : laissez-nous en trouver le sens, ou pas, c’est Rimbaud que l’on dénature à coups de notes de bas de page.
Ce matin, sur le bitume vernis d’humidité se pressaient les stands en grand nombre, sans parler des dames à brushing et des messieurs à poil blanc qui tractaient pour le candidat du clan présidentiel, et j’ai rapporté une poignée de Colette, Carco et Dabit, un Renée Dunan polardo-coquin ainsi que quatre jolies revues Pif des années 60. Papier humide, trouvailles au hasard, matin doux.
#2856
En m’installant à Bordeaux, j’ai quitté une grande région de mon existence : 6 ans déjà que Lyon m’est étrangère et la capitale girondine plus mienne que jamais.
#2853
Faut-il donc l’avouer ? Le goût sucré de Bordeaux pour moi, de manière intime, ce n’est pas le cannelé : peut-être n’était-il pas encore si présent, dans le mitan des années quatre-vingt qui me vit effectuer mes études ? La pieuvre Baillardran n’avait-elle pas alors encore poussé tous ses tentacules ? Ou bien, plus sûrement, mes finances d’étudiant crevard me firent-elles éviter sans même y songer friandise si coûteuse ? Toujours est-il que je ne découvris le charme du cannelé qu’un peu plus tard et que, dans mes souvenirs, c’est une viennoiserie bien plus ordinaire — non pas cette chocolatine dont je découvris avec ébahissement que ces sauvages de Lyonnais la nommaient « pain au chocolat » —, juste le pain au raisin, vous savez, cet escargot, qui fit durant trois années mon alimentation principale et dont pourtant je ne me suis pas écœuré, une dame dans le hall minable de l’IUT en vendait d’énormes pour vil prix, et ce goût m’est resté, délice encore, souvenir et gourmandise.