#2505

N’ayant pourtant point dégusté de grands crus, vu que j’ai séché le dîner de gala pour cause d’épaule froissée et de fatigue généralisée, j’ai malgré tout vu double lors du salon Lire en Poche de Gradignan – Loïc Henry et Léo Henry, lequel est l’evil twin de l’autre ? À part ça il faisait un soleil radieux et le lieu est toujours aussi beau, cette médiathèque moderniste flottant à l’horizontal sur de doux vallonnements verts, mais les ventes ne m’ont semblé guère nombreuses. Ce pot en terrasse pris en compagnie de Dominique Douay, Fabrice Mundzik et Mérédith Debaque, dans la lumière rasante de fin de journée, fut un joli moment de grâce. Aujourd’hui cela risque d’être une autre chanson niveau temps, vu ce qu’annonce la météo. L’automne est là. Tant pis, dîner avec les copains ce soir, c’est toujours aussi agréable.

#2501

La mémoire des goûts, comme celle des odeurs, est souvent bien plus forte et persistante que la mémoire visuelle, me semble-t-il. Plus subtile, également. Et j’en ai fait l’expérience délicieuse cette après-midi, quand je me promenais dans le Jardin botanique. On trouve dans celui-ci une zone d’espèces de petites îles surélevées, où se trouvent reconstitués des exemples de milieux naturels de la région : prairie humide, lande humide, lande sèche, forêt résineuse etc. En m’approchant de l’une d’entre elles, une puissante réminiscence me fit presque monter les larmes aux yeux : cette odeur de sable et de pins, c’est celle de mon enfance, de la propriété familiale en Bretagne, à Saint Brévin. Une douce senteur qui me paraît dire « maison », confort, souvenirs. Et puis, plus merveilleux encore, je vis que ce petit sous-bois était planté de buissons d’arbousier. Et en m’approchant j’avais noté au sol une tache d’un rouge vif : mais oui, une arbouse, bien mûre ! Je n’en avais plus jamais mangé depuis mon adolescence. Et tout soudain, ce goût : je m’en souvenais, le reconnaissais ! Merveille. Cette saveur… Oh, une autre arbouse était mûre, je la cueilli (bien que je supposant que ce soit interdit), et elle confirma à mes papilles gustatives cette texture familière et ce formidable goût d’enfance, presque bouleversants. Ma madeleine proustienne est une arbouse.

#2500

L’ibiscus jaune ne cesse de fleurir, à profusion, mais jusqu’à présent je n’avais pas profité des fleurs de l’hibiscus au feuillage sombre, le fourbe n’ayant éclot que parcimonieusement et durant mon absence londonienne. Enfin, cette fois il se montre et en lieu et place du rouge attendu il dévoile un surprenant mélange de rose et de jaune. Il fait chaud, sans que ce soit étouffant, la maison étant conçue pour le climat. La petite chatte est plus heureuse que jamais, maintenant que je la laisse aller se promener sur les toits tout son saoul, après discussion avec Mamie-la-menace, ma vieille voisine peu contente de ne plus avoir de volées de moineaux dans son jardin mais qui, tout de même, a admis qu’aimant les chats, les passages de Mandou ne l’embêtaient pas — comme si je pouvais empêcher le petit animal de se promener, de toute manière.

#2499

J’avais évoqué l’étrange sorte d’impression de dissociation, de décalage, que je ressentais dans les premiers mois de mon installation à Bordeaux. Eh bien c’est fini, maintenant mon réel et le sentiment que je m’en fais semblent bien réconciliés, je marche dans les rues blondes et j’y suis chez moi, c’est ma normalité, mon environnement. La réalité s’est stabilisée. Non que je sois blasé, et je doute de jamais l’être réellement — après 28 années dans une ville que je n’ai jamais aimé, où au mieux j’admirais sans me sentir chez moi, et envers laquelle le plus souvent je ressentais indifférence ou rejet du moche, me retrouver en terre aimée, en ville de choix plutôt que de hasard, ça se savoure et s’apprécie sur le long terme. À Lyon je me suis toujours senti quelque part un peu en situation d’exil, pas dans l’inconfort (sauf les deux dernières années) mais dans l’ailleurs, un petit peu comme le provincial qui a une bonne raison d’être à Paris. Alors ici, enfin, lorsque je sors je ne suis plus dans l’état de jubilation avancée, mais toujours avec une douce excitation, une satisfaction longue et calme.

#2498

Tiré du sommeil cette nuit par le son d’une trompe marine, j’ai flotté un moment, l’océan clapotait contre ma sous-pente et léchait presque le vasistas. Jusqu’à ce que je réalise que cette rumeur était celle d’un train, portée par la brise, tout comme la corne nocturne.