#5035

Les coquelicots, ce sont les voyous des rues, velus, hirsutes et d’une violente beauté qui surgit dans des recoins où on ne l’attend pas. J’aime la saison de leur surgissement. C’est aussi le temps où ma « période d’écriture », l’été , s’approche à grands pas. Je parlais hier d’obsession, en travaillant avec un ami : écrire, c’est tenir une obsession, voir son sujet partout, tout rapporter à lui. Cela me faisait déjà ça lorsque j’écrivais des essais, mais même avec ma présente activité de fiction, le phénomène subsiste, seulement un peu différent : depuis plus d’un an je lis surtout en français, afin de « goûter » la langue et ne plus me laisser trop influencer par les anglicismes, pour observer comment font les autres… Finalement, la majorité de mes lectures sont devenues « documentaires », au point que ce biais d’appréciation peut me faire aimer un roman juste pour une scène, quand ce n’est pas seulement une phrase qui me fait « décoller » — ce fut le cas pour le dernier passage que j’ai rédigé. Une image, une amorce de scène, une manière de faire, une atmosphère, un point de vue… Ainsi relisant un bout de Georges Perec, je me suis dit que j’allais essayer d’écrire une « tentative d’épuisement », le temps d’un segment de mon roman choral ; ainsi débutant un polar, une scène d’intérieur de commissariat s’est-elle imposée — j’en avais déjà faite une, dans une nouvelle des Confidences, mais du point de vue du public, et hélas vécue ; cette fois, ce sera réellement polar, quotidien du flic. Douces obsessions qui soutiennent, agitent le bocal et laissent rêver.

#5026

Que de silence sur cette page… Une petite pause hors réseaux, suivie de brèves et impromptues vacances à Rome… Quelques notes au fil des jours…

Rome du dimanche matin, le son n’est pas tant celui des cloches que le cri des mouettes, nombreuses au-dessus de la ville. L’influence de la mer toute proche est nettement perceptible, la météo plus imprévisible encore qu’à Bordeaux. J’écoute le vent et les oiseaux, avec une rumeur automobile en guise de vagues.

Tel est le principe des fictions dont Bodichiev est le protagoniste : demander autant que possible au réel de me fournir le matériau. Ainsi suis-je à Rome quelques jours avec non seulement l’envie de me changer un peu les idées, mais aussi (surtout ?) afin de profiter d’une situation assez exceptionnelle — je loge dans un palais du Vatican — pour extraire le jus d’une nouvelle. Trois tomes sont déjà prêts (le prochain arrive d’ailleurs en fin de semaine) mais je songe au suivant, que je veux être un recueil de voyages de mon détective. L’intro et une nouvelle sont déjà rédigées, une autre enquête bien entamée (mais j’aimerai bien retourner un jour à Bruxelles pour lui trouver quelques encrages dans le réel), et voici donc ces « Ponts de Rome », qui débute à Lisbonne et que je vais tâcher de poursuivre ces jours-ci. Andiamo.

Temps maussade ce matin, ça se lèvera plus tard – l’excuse idéale pour reposer mes pieds déjà fort usés par la marche intensive et me livrer à l’autre plaisir d’un tel séjour, écrire à la table de ma chambre, broder dans un carnet tout neuf une nouvelle petite histoire que vous ne lirez que dans deux ou trois ans. C’est une part de l’excitation de cette retraite romaine, pouvoir ainsi écrire sans souci ni interruption. Au-dehors retentissent les voix rauques des mouettes.

Opulente de perspectives, de bâtiments, de foules, portée sur le gigantisme des monuments, cette ville laisse pourtant aussi percer ses os, la carcasse partout apparente.

Un peu de lassitude en cet avant-dernier jour de quasi solitude romaine. Une belle promenade ce matin autour du palais Farnèse et une grosse cession d’écriture – je discerne le bout de ce petit texte, rédigé en partie dans un carnet et en partie en notes d’iPhone, la mise au propre permettra de « lisser » tout cela. Pas une fiction très ambitieuse mais un fragment de Bodichiev plaisant, j’espère.

Amusant comme en Italie sont différentes les couleurs de la littérature : ce qu’en France l’on tend de plus en plus à surnommer « la blanche » est simplement « narrativa » (et quid de la littérature qui n’est pas de récit, d’histoire a raconter, alors ?) ; mais notre « noire » est « il gialo » — du jaune de la collection populaire qui sort toujours en kiosques ; et j’ai souri au qualificatif de « narrativa rosa » des romans… à l’eau de rose, mais en France jamais une librairie n’oserait la colorer aussi frontalement. Eh oui, on ne se refait pas et j‘ai baguenaudé dans quelques librairies. Vu avec surprise que Linus sort toujours, dans une maquette absolument inchangée depuis les années soixante-dix, comme si chez nous Charlie Mensuel existait toujours. D’ailleurs, les kiosques sont emplis des fumetti de chez Bonelli, ça me fascine — Diabolik paraît toujours ! Et la revue Utopia propose encore la science-fiction.

Nouvelle plus ou moins terminée, ne reste qu’une petite scène à ajouter puis plus tard sera le temps de la mise au propre sur ordi / réécriture. Comme souvent avec mes petites « nouvelles touristiques » j’ai écouté et regardé autour de moi, capté quelques anecdotes, profité de hasards et simplement relié les points. Encore quelques fumetti et un bout de parcours, et s’achèvera mon séjour romain.

Adieu joli carnet romain : entre deux boulots ovins, j’ai mis au propre sur ordi ma nouvelle « Les Ponts de Rome », presque 40 000 signes. Bodichiev y passe des petits pavés blancs de Lisbonne aux petits pavés noirs de Rome.

#5022

Se réveiller à trois heures du matin avec soudain en tête une petite scène, ruminer un moment puis l’écrire – check. Voulant que ce roman fasse une sorte de portrait beaucoup plus complet de mon univers d’uchronie que ne le permettent les fenêtres étroites que sont les nouvelles, je ne cesse de me dire « Oh je n’ai jamais fait de scène » de ceci ou de cela, « je n’ai jamais spécifiquement dit si les gens fument, s’ils portent des chapeaux, s’il y a des jetons de Taxiphone, ou des joueurs d’orgue dans les rues piétonnes »… La vie quotidienne quoi, que je m’efforce donc de glisser dans ce roman policier (quand même) par petites touches… Bosser sur l’effet de réel, de profondeur, en somme.