#5151

Dans mon court roman Menace sur l’Empire, troisième des Bodichiev, j’avais commis un sacrilège en cassant une statue londonienne que j’aime beaucoup… Ah, quand retournerai-je à Londres ?

Chapitre III
Mardi 7 août, 03 : 47, Torrington Square

Avec un claquement sourd, la statue du philosophe tamil Thiruva’l’luvar se fend en deux, dans la diagonale du buste. Le calme visage de pierre bleue roule dans l’herbe, en fumant légèrement. Un renard s’enfuit dans l’ombre de l’université, laissant échapper, en staccato régulier, quelques yak yak secs pour tout reproche. La bruine forme un brouillard rougeâtre dans le halo des réverbères. La destruction de la statue sera mise au crédit d’un regrettable vandalisme, échappant ainsi au décompte des événements étranges.

#5142

« C’est là le genre de fausse raison qui… » Proférée d’une voix lasse, cette phrase ne fut pas achevée. Celle qui venait ainsi de parler à voix haute, seule dans la grande pièce pénombreuse, se passa une main sur le visage, comme pour éponger un peu de sa fatigue. Avec un soupir et quelques pas, elle s’assit, un coude appuyé sur le coin de la table. Il lui restait tellement à faire. D’un geste machinal, elle tira sur les deux pointes de son gilet, les yeux baissés.
« Je suis désolée mais il est trop tard pour que je continue à faire le docteur Watson pour vous », murmura-t-elle en songeant à monsieur Bodichiev.

#5111

Actuellement je relis le manuscrit d’un livre, un essai, à la fois fascinant et difficile, dense et souvent lumineux, que les Moutons électriques doivent sortir dans un an — un texte d’un bel esprit que j’attendais depuis fort longtemps, qu’il fait vraiment du bien de lire. Et qui m’interroge aussi sur ma propre écriture, sur ces petites fictions d’uchronie que je m’entête à produire pour si peu de lecteurs pourtant. Pourquoi ? Parce que le veux et le peux. On me dit souvent « Mais repose-toi », par exemple en ce moment qu’une tendinite me fait boiter. Mais quoi, ce qui est fait ne sera plus à faire, et la peine de la disparition d’un grand monsieur comme François Corteggiani, si terriblement inattendue, me conforte dans cette volonté de boucler mon cycle dès maintenant, sans plus tarder, tant l’on peut disparaître aisément. De m’activer parce qu’après tout c’est simplement possible : une réunion de chantier demain matin suivie par trois jours de festival Hypermondes, et voir du monde, et dîner avec des amis, et construire de belles choses.

#5108

Week-end immobile, tendinite oblige. Comme me le disait mon hôte, les oiseaux sont de retour à Champignac après l’éclipse d’août. Pas seulement la pie qui ricane au-dessus de ma tête dans le mélèze, ça j’en ai un amusant trio dans mon quartier, mais tous les volatiles piaillant et gazouillant. Pour occuper le temps lent je tapote une nouvelle de Bodichiev à Bordeaux – bientôt 12 000 signes et il ne s’est toujours strictement rien passé niveau intrigue, tss. Je m’amuse à évoquer le Bordeaux en habits de suie des années 1980 plutôt que la ville blonde actuelle. Allusions aussi à une Algérie restée française dans cet univers. Jamais trouvé l’occasion d’aborder la question d’un colonialisme certainement très prégnant dans un tel cadre historique, vais un peu essayer.

16 776 caractères et le drame débute pour de bon. Bodichiev est convoqué par la police. J’interromps pourtant mon travail pour observer un écureuil qui, trompé par mon immobilité, s’approche tout tranquille, furète au sol, grimpe dans le magnolia avant de filer par un bras tendu du mélèze. J’ignorais que les écureuils fassent tant de bruit, clics et gloussements, le petit animal grommelle longuement dans les branches.