#5121

Un ami vient de m’offrir ce beau livre, essai passionnant sur les albums jeunesse qui se prolonge jusqu’à 1986 afin de couvrir Crapule! et le Sourire qui mord, mais concerne en fait essentiellement les « longues seventies » (1968-1981).

Une période qui est celle de ma jeunesse et tous ces auteurs je les connais, les ai lus et admirés, Nicole Claveloux en tête. Je me souviens de notre prof de dessin en 4e nous affirmant qu’Etienne Delessert était le plus grand des artistes du moment. En tant qu’enfant de Cergy-Pontoise, j’ai l’impression que je baignais tout naturellement dans cette esthétique, que mon environnement était saturé par l’art et le look de l’époque, comme plus jamais depuis. Vasarelly et Folon étaient partout, il y avait des fresques, des couleurs vives (quand la couleur reviendra-t-elle enfin dans notre environnement urbain ?), des sculptures ; les sols, les papiers peints, les livres, les publicités, les bâtiments… vibraient à l’unisson des mêmes courbes et teintes. Avec mon petit groupe de copains (dont le fils aîné d’Annie Ernaux), les rares fois où nous allions à Paris c’était pour retrouver les mêmes architectures, en éclosion dans la capitale : le centre Pompidou, le Forum des Halles et son jardin venaient de percer le tissu de la ville et ils nous fascinaient. Ayant vaguement envisagé de faire un journal au collège, nous fûmes invités à l’inauguration des fresques des quais de la gare de Cergy-Préfecture (maintenant détruites) et au labo de musique de Beaubourg.

« Cette génération a absorbé les codes de la communication graphique la plus débridée et en maîtrise l’énergie qu’elle peut à loisir amplifier ou adoucir en fonction des projets. Elle ne craint pas la concurrence de la multiplication des images dans la société qui lui est contemporaine puisqu’elle embrasse ce mouvement ».

#5103

Eh bien ce sera un texte un peu long. Sans images commentées. J’ai un talon fêlé ou je ne sais quoi qui m’empêche de marcher et n’ai donc pas le courage de prendre en photo mes lectures (chercher les bouquins, les descendre, les ranger à nouveau, tout ça). Ah oui, parce qu’en cette fin d’été je prévoyais d’évoquer un peu ce que j’ai lu ces derniers mois — une époque en soi, pour moi, en particulier parce que je m’étais résolu à ne presque lire qu’en français, afin tout à la fois de me forcer à changer de braquet (métaphore bicyclette), à élargir ma curiosité, à m’éviter les anglicismes dans l’écriture que me reprochait mon relecteur sans pitié (Michel Pagel), et plus globalement à cultiver des influences et inspirations. Je voulais en effet tenter de construire un roman « à la modernistes », et pour ce faire je souhaitais explorer du style, de l’écriture française. Des lectures exploratrices et boulimiques qui allèrent donc sur les territoires du modernisme : les romans en dialogues de Claude Mauriac, les trois premiers « Hommes de bonne volonté » de Jules Romains, beaucoup de Pierre MacOrlan, relire du Carco, Dabit ou Salmon, lire ou relire Calet et Fargue mes piétons favoris, mais aussi regarder du côté de Gracq et de Beucler, pour la poésie urbaine Jacques Réda et pour la poésie rurale Jaccottet et Roud… En polar, toujours approfondir le champ de ces auteurs injustement effacés par la gomme du « noir » : Noël Vindry, Louis Thomas, Jacques Decrest, Raymond Las Vergnas, Claude Aveline, les beaux volumes du CLP… Toujours plonger dans le flot Simenon… Des lectures très inactuelles, peu de contemporains : quelques Modiano bien sûr ; le nouveau Xavier Mauméjean entre histoire, aventures, légèreté et poésie grave ; le Curtis de Nicolas Texier, si ample et fluide et âpre ; le Bateau-brume de Philippe Le Guillou, un peu précieux mais bouleversant ; le remarquable et drôle Lectueur de Jean-Pierre Ohl… En traduction le polardeux italien Valerio Varesi, très simenonesque et doucement atmosphérique… En anglais malgré tout des poèmes d’Etel Adnan et des polars de Dorothy Sayers… Une vieillerie jeunesse prise pour le bon état de sa reliure rouge et or et pour la langue de son début (Trois collégiens en vacances de A. Laporte, 1877)… Une cure des Michel de Georges Bayard en « Bibliothèque verte », qui s’avèrent d’excellents polars classiques… Qu’oublie-je ? Plein de livres certainement, mais l’été s’achève et je suis un peu las. J’écris toujours.

#5074

« Flâner dans une bibliothèque, ouvrir un livre au hasard, déboucher au tournant d’une page sur une phrase qui m’enchante ; relire un auteur qui a été le compagnon de la jeunesse ; avoir la joie de le trouver neuf, et intacte mon émotion… »

Ces quelques lignes de Maurois résument un peu mon état actuel de picorage dans des livres, me fixant peu — quoique tout de même j’ai lu avec plaisir le prochain Mauméjean, curieusement tendre et rugueux à la fois, et déjà deux Varesi, le nouveau Simenon italien. Mais sinon, tarabusté par le fait que j’écrive moi-même, ou que lorsque je n’écris pas j’y réfléchisse, je décante, puisqu’un livre est « le durcissement d’un moment de la pensée » (Maurois encore), je passe d’un bouquin à un autre sans trop savoir ce que je veux, nervosité pénible qui est le contraire de s’enfoncer avec confort dans un plaisir de lecture. Follain, Modiano, Fargue, Perec, Gracq, Cocteau, Maurois, je ne me décide pas.

#5058

Dans mes lectures du moment (j’avais écrit « actuelles », mais justement elles ne le sont guère), surtout constituées de romans et documents du Paris d’entre-deux-guerres et jusqu’aux années cinquante, Salmon, Fargue, Beucler, MacOrlan, Colette, Hardellet… ce qui me frappe le plus en définitive c’est cet espace urbain plus libre : une guinguette abandonnée, une ancienne carrière, des jardins, des « terrains vagues » (j’adore ce terme), la ville est encore respirante, évidée de lieux creux, de recoins désaffectés, tandis que les rares fois où je me rends encore à Paris de nos jours je suis effaré par sa concentration, le moindre lopin occupé, entassé, sur-construit.

#5056

« Des trains qui ont des longueurs d’instants de cafard »… Je lis ou relis beaucoup de Léon Paul Fargue en ce moment, l’un de mes poètes favoris. Il ne cesse de me renverser par ses comparaisons et métaphores lunaires, inattendues, souvent cocasses, cette langue d’une admirable souplesse. Et je m’amuse de son obsession pour les trains, les gares, les rails, qui rejoint si bien mon quotidien, même si ce soir pour une fois j’ai choisi de faire sonner une galette de musique mélancolique plutôt que de me contenter du chant de la voie ferrée. « Un quartier de locomotives et de poètes », souhaitait Fargue. « Jaillis des rails luisants comme un halage de larmes. »