#5103

Eh bien ce sera un texte un peu long. Sans images commentées. J’ai un talon fêlé ou je ne sais quoi qui m’empêche de marcher et n’ai donc pas le courage de prendre en photo mes lectures (chercher les bouquins, les descendre, les ranger à nouveau, tout ça). Ah oui, parce qu’en cette fin d’été je prévoyais d’évoquer un peu ce que j’ai lu ces derniers mois — une époque en soi, pour moi, en particulier parce que je m’étais résolu à ne presque lire qu’en français, afin tout à la fois de me forcer à changer de braquet (métaphore bicyclette), à élargir ma curiosité, à m’éviter les anglicismes dans l’écriture que me reprochait mon relecteur sans pitié (Michel Pagel), et plus globalement à cultiver des influences et inspirations. Je voulais en effet tenter de construire un roman « à la modernistes », et pour ce faire je souhaitais explorer du style, de l’écriture française. Des lectures exploratrices et boulimiques qui allèrent donc sur les territoires du modernisme : les romans en dialogues de Claude Mauriac, les trois premiers « Hommes de bonne volonté » de Jules Romains, beaucoup de Pierre MacOrlan, relire du Carco, Dabit ou Salmon, lire ou relire Calet et Fargue mes piétons favoris, mais aussi regarder du côté de Gracq et de Beucler, pour la poésie urbaine Jacques Réda et pour la poésie rurale Jaccottet et Roud… En polar, toujours approfondir le champ de ces auteurs injustement effacés par la gomme du « noir » : Noël Vindry, Louis Thomas, Jacques Decrest, Raymond Las Vergnas, Claude Aveline, les beaux volumes du CLP… Toujours plonger dans le flot Simenon… Des lectures très inactuelles, peu de contemporains : quelques Modiano bien sûr ; le nouveau Xavier Mauméjean entre histoire, aventures, légèreté et poésie grave ; le Curtis de Nicolas Texier, si ample et fluide et âpre ; le Bateau-brume de Philippe Le Guillou, un peu précieux mais bouleversant ; le remarquable et drôle Lectueur de Jean-Pierre Ohl… En traduction le polardeux italien Valerio Varesi, très simenonesque et doucement atmosphérique… En anglais malgré tout des poèmes d’Etel Adnan et des polars de Dorothy Sayers… Une vieillerie jeunesse prise pour le bon état de sa reliure rouge et or et pour la langue de son début (Trois collégiens en vacances de A. Laporte, 1877)… Une cure des Michel de Georges Bayard en « Bibliothèque verte », qui s’avèrent d’excellents polars classiques… Qu’oublie-je ? Plein de livres certainement, mais l’été s’achève et je suis un peu las. J’écris toujours.

#5074

« Flâner dans une bibliothèque, ouvrir un livre au hasard, déboucher au tournant d’une page sur une phrase qui m’enchante ; relire un auteur qui a été le compagnon de la jeunesse ; avoir la joie de le trouver neuf, et intacte mon émotion… »

Ces quelques lignes de Maurois résument un peu mon état actuel de picorage dans des livres, me fixant peu — quoique tout de même j’ai lu avec plaisir le prochain Mauméjean, curieusement tendre et rugueux à la fois, et déjà deux Varesi, le nouveau Simenon italien. Mais sinon, tarabusté par le fait que j’écrive moi-même, ou que lorsque je n’écris pas j’y réfléchisse, je décante, puisqu’un livre est « le durcissement d’un moment de la pensée » (Maurois encore), je passe d’un bouquin à un autre sans trop savoir ce que je veux, nervosité pénible qui est le contraire de s’enfoncer avec confort dans un plaisir de lecture. Follain, Modiano, Fargue, Perec, Gracq, Cocteau, Maurois, je ne me décide pas.

#5058

Dans mes lectures du moment (j’avais écrit « actuelles », mais justement elles ne le sont guère), surtout constituées de romans et documents du Paris d’entre-deux-guerres et jusqu’aux années cinquante, Salmon, Fargue, Beucler, MacOrlan, Colette, Hardellet… ce qui me frappe le plus en définitive c’est cet espace urbain plus libre : une guinguette abandonnée, une ancienne carrière, des jardins, des « terrains vagues » (j’adore ce terme), la ville est encore respirante, évidée de lieux creux, de recoins désaffectés, tandis que les rares fois où je me rends encore à Paris de nos jours je suis effaré par sa concentration, le moindre lopin occupé, entassé, sur-construit.

#5056

« Des trains qui ont des longueurs d’instants de cafard »… Je lis ou relis beaucoup de Léon Paul Fargue en ce moment, l’un de mes poètes favoris. Il ne cesse de me renverser par ses comparaisons et métaphores lunaires, inattendues, souvent cocasses, cette langue d’une admirable souplesse. Et je m’amuse de son obsession pour les trains, les gares, les rails, qui rejoint si bien mon quotidien, même si ce soir pour une fois j’ai choisi de faire sonner une galette de musique mélancolique plutôt que de me contenter du chant de la voie ferrée. « Un quartier de locomotives et de poètes », souhaitait Fargue. « Jaillis des rails luisants comme un halage de larmes. »

#5044

Lecture avec jubilation de ce remarquable essai afin d’essayer de mieux comprendre, d’étudier, les types de structures narratives que je mets en place dans le gros roman choral sur lequel je trime actuellement. Rien de révolutionnaire donc, puisque je m’inspire beaucoup de ce qui se fit dans les années 1920… Apprit au passage que le projet que Georges Perec fit aboutir avec La Vie mise d’emploi (que je relis ; enfin, disons que j’y picore de nouveau), cet étrange roman d’escalier, fut à l’origine un souhait de Blaise Cendrars, qui ne le mena pas à bien.