Il y avait jusqu’à peu deux silhouettes familières dans les rues de mon quartier, deux figurants aux allures de Laurel et Hardy arpentant les artères sans jamais faire la manche, marchant et prenant le bus, montant et descendant, tous les jours, toute la journée. Laurel, un petit bonhomme voûté au nez pointu sous sa casquette, ne causait pas, laissant parler pour deux le gaillard Hardy, yeux cernés de cardiaque sous une touffe de cheveux blancs jaunâtres, d’une voix roulante et peu compréhensible dans son sabir d’espagnol et de français. Je suppose que Hardy est mort le premier, comme toujours, laissant Laurel poursuivre seul cette curieuse existence ambulante. Il cause maintenant, un peu, et à un arrêt de bus l’autre fois m’a demandé si j’étais écrivain ou éditeur, se souvenant d’un bref échange que j’avais eu avec son défunt camarade – pour simplifier j’ai revendiqué le métier d’éditeur. Non loin un monsieur du type vieil intello de province leva un regard intéressé en déclarant être écrivain – « Vous publiez quoi ? » m’interroge alors l’homme. Science-fiction et fantasy fais-je en sachant que d’ordinaire cela suffit à refroidir les adeptes des mémoires rurales. « Ah, moi ce sont les voyages mais il est difficile de trouver un éditeur. » Je n’ai pu m’empêcher de lui dire qu’hélas il y a plus de gens qui veulent écrire que de gens qui veulent lire… « Et beaucoup plus d’écrivains que d’éditeurs », fit-il philosophe comme le bus arrivait. J’ai songé qu’avec la marée montante de l’auto-édition ce n’était plus exactement l’équation malheureusement.