#169

Journée à St Etienne, pour une petit festival de jeux de rôles qui avait décidé d’inviter une poignée d’écrivains de SF/fantasy. Peut-être en parlerai-je demain soir, si j’ai la pêche. Toujours est-il que mon copain Ugo Bellagamba y tenait un stand pour les éditions Nestiveqnen, et que j’ai ainsi vu leurs nouvelles productions — à sortir d’ici peu. Pouvoir critique a le culot réjouissant de s’affirmer antho de politique fiction — un sous-genre largement discrédité depuis la vague des années 1970. Bravo! Et Jean Millemann (l’anthologiste) a réuni une belle brochette de talents, qui me donne envie de lire tout ça sans trop tarder: des copains que j’aime tels que Johan Heliot, Jonas Lenn, David Calvo… Oh, il faudrait que je cite tout le sommaire, en fait. Plaisir plus particulier à voir l’ami Laurent Queyssi publier là sa deuxième nouvelle, et idem pour mon trop rare Bruno B. Bordier.

Les nouvelles nuits est la quatrième antho de la collec « Nouvelle Donne », cette fois sur le thème des mille-et-une-nuits (j’avais une nouvelle dans l’une de leurs trois anthos sur les chevaliers de la Table Ronde). J’ai lu dans le train, en rentrant à Lyon, quelques-uns des textes ici réunis: celui d’Ugo Bellagamba of course (relu, en fait — un conte ravissant), celui de son copain Fabrice Anfosso (que je ne connaissais pas, et qui livre une excellente nouvelle de fantasy, vraiment une superbe réussite), celui d’une certaine Geneviève Parot (au style parfait & à l’intrigue captivante — mais hélas cette nouvelle s’achève en queue de poisson, comme si l’autrice avait débuté là un roman qu’elle avait du précipitamment abréger afin de rentrer dans le cadre) et, cela m’embête de le dire, mais aussi celui de l’ami Matthieu Baumier (dont le style m’a semblé laisser à désirer — écarts de ton, sauts de niveau de langage, incongruités diverses m’ont vite écarté de son propos, malheureusement).

Sinon, je réalise que je n’ai pas parlé ici d’une de mes (toujours nombreuses) lectures du moment: le recueil The Collection de Peter Ackroyd. Ah, le culot d’un tel titre! Bien à l’image de cet auteur, impertinent, perfide, amusé & amusant. Y sont réunis une grande sélection de ses articles, billets d’humeur, chroniques, critiques, notes diverses (et même quelques nouvelles)… Je pioche un peu au hasard dans cette somme, toujours ravi, toujours enrichi. Par exemple, lu ce soir un essai sur le rêve californien et un autre sur la Norvège. Ravageurs, je ris tout seul devant tant de verve.

Et Ackroyd de se permettre la coquetterie suprême: citer un autre auteur, au moins aussi vachard que lui! Je ne résiste donc pas à l’envie de vous redonner sa citation de Nathanael West sur Hollywood:

« It is hard to laugh at the need for beauty and romance, no matter how tasteless, even horrible, the results of that are. But it is easy to sigh. Few things are sadder than the truly monstrous. »

#167

Voici donc: fin du journal londonien, retour à la morne vie quotidienne, pas trop riante ces derniers temps niveau pro… Mon horloge interne fonce à nouveau à toute vitesse…

Pincement au coeur: vais-je parvenir cette année à retourner à Londres une deuxième fois? Pas sûr.

Rêvé il y a quelques nuits (nuit de mercredi à jeudi dernier) que j’étais à Londres (of course), me rendais à un marché (sous une grande halle vitrée, genre Spitafields Market), où Béchir (le boss du resto de kebab où la Gang se réunie une fois par semaine) tenait un très beau stand de plantes, d’aquariums & de petits animaux génétiquement modifiés. J’hésitais devant un ravissant minotaure aquatique (don’t ask!) mais ne me décidais pas — ce n’est pas bien éthique ces modifications génétiques, tout de même… Et disais au revoir à Béchir, à demain pour le kebab!

Lectures? Tout à la fois & en n’avançant guère: L’éducation sentimentale de Flaubert; La Taupe de John Le Carré (une VF pour une fois — un roman à la fois touchant & drôle, formidablement bien vu, vraiment un plaisir. Et quoiqu’il s’agisse d’une traduction, hé bé chapeau, ça ne me choque pas: je ne lis pas l’anglais à travers le français, pour une fois); Hatchett and Lycett de Nigel Williams (prochain roman d’un auteur anglais que j’aime beaucoup, ici les épreuves d’un thriller à la fois amusant & prenant).

Lu/feuilleté/admiré deux beaux livres achetés lors de mon séjour outre-Manche: New London Architecture de Kenneth Powell (comme son titre l’indique: un guide superbement illustré des réalisations architecturales les plus intéressantes du Londres récent); et Photographers’ London 1839-1994 de Mike Seaborne (publié par le Museum of London), gros, très gros recueil de photos sur Londres, beaucoup de merveilles.

Ah, et puis parcouru Les problèmes théoriques de la traduction par Georges Mounin (Gallimard Tel) — très intelligent & remarquablement intelligible.

#166

(…)

L’Hungerford Bridge s’achève subitement, avant même d’atteindre la gare. Il faut descendre par un escalier en ferraille, précaire. Il me semble me souvenir qu’auparavant la passerelle atteignait la gare elle-même, ou peut-être la station de métro? Anyway, je profite de cette interruption involontaire du trajet pour aller admirer par-dessous les structures de la nouvelle passerelle, de l’autre côté du pont de chemin de fer. Elle me semble quasiment terminée. Ce mélange de poutrelles provisoires & de haubans flambant neufs, d’échafaudages multicolores & de montants en acier gris pétant, forme un ensemble esthétiquement surprenant, mais séduisant. J’aurai bien aimé en prendre quelques clichés, mais mon appareil commence à ne plus avoir de jus – quel idiot je suis, j’aurais du recharger les piles cette nuit. Je ne parviens finalement à prendre qu’une seule photo…

Embankment. C’est l’occasion d’aller voir « The Adelphi » — le grand bâtiment des années 1930, qui a remplacé la célèbre création des frères Adam (une grand immeuble sur plusieurs niveaux, qui descendait autrefois jusqu’au bord de la Tamise). Trois rues portent leur nom, d’ailleurs, tout autour de l’Adelphi: Adam Street, John Adam Street & Robert Street.

Tous les guides expliquent que la destruction de l’Adelphi fut le pire acte de vandalisme commis à Londres au XXe siècle. Hem… Il faut bien reconnaître que le colossal mammouth blanc qui l’a remplacé n’a rien de très gracieux. On est très loin du néo-palladisme de l’Adelphi d’origine: celui des années 1930 est une sorte de forteresse art-déco, une véritable monstruosité lourde & verticale. Longtemps que je voulais me rendre compte par moi-même: d’accord, ce n’est pas formidable. Quoique en accord avec son environnement: deux autres monstres du même type l’encadrent, dont le luxueux Savoy Hotel…

High Street Kensington: j’ai pris le métro afin de me rendre sur les lieux d’un petit « repérage ». Juste quelques détails à noter pour une nouvelle que je prépare. Au passage, je suis assez surpris de découvrir une cabine téléphonique non pas rouge, malgré son design habituel, mais peinte en noir.

Je continue ensuite à remonter Kensington Church Street, ou plutôt l’une des petites artères qui lui sont parallèles. Je savoure cette balade paisible au sein des blanches demeures, que la lumière déclinante du ciel teinte d’un bleu tremblant. Direction Notting Hill Gate. La journée est presque achevée, mon séjour également.

Je ne réalise pas vraiment qu’il va bientôt me falloir quitter ma tranquille retraite londonienne, renoncer à la paix de l’âme & à la beauté ambiante, retrouver le terrible stress & la déprime de ma vie ordinaire trop pressée. La ville est bleue, juste percée de temps à autre par la chaude lumière d’une fenêtre allumée. Je refuse de penser à mon quotidien maussade. Les rues de Londres me sont si douces.

Mercredi 6 février 2002

Ciel bleu, lumière à la fois crue & fragile du soleil matinal, grand froid. Tout à l’heure à la télévision, la météo expliquait qu’il allait geler dans l’après-midi. Ultime promenade avant mon départ, j’ai le soleil dans les yeux, ses rayons font briller les branches dénudées des arbres, semble faire reluire le moindre détail de la rue. Itinéraire familier jusqu’au British Museum, où je n’ai pas oublié que se déroule une exposition sur Agatha Christie & l’égyptologie.

J’ai eu le plus grand mal à descendre ma valise jusqu’à la réception, tout à l’heure, tellement elle est pleine. Je crois qu’elle n’avait jamais été aussi remplie — et pourtant, je lui en ai déjà fait subir! J’ai même déplié des soufflets dont je n’avais jamais vraiment remarqué la présence. Il faut dire que j’ai (en particulier) beaucoup fait les soldes, cette année. Suis-je snob! Les soldes à Londres, moi qui ne les fait presque jamais chez moi.

La consigne de Waterloo étant close, suite au 11 septembre, j’ai du plaider ma cause auprès de madame Valoti, afin de laisser ma valise à la réception: je ne me sentais pas du tout capable de la descendre jusqu’à la salle des petits-déjeuners, où les personnes sur le départ ont d’ordinaire le droit de déposer provisoirement leurs bagages.

Au British Museum, je me régale de la remarquable expo sur Agatha Christie & les fouilles archéologiques de Mésopotamie. Quelle réjouissante richesse en documents, et en particulier en films d’époque! Quantité de photos d’Agatha Christie, également. Je trouve assez bouleversant de pouvoir ainsi contempler le vrai visage d’une telle célébrité — et de la voir bouger, parler, dans un film… Sont aussi présentées des éditions originales de ses romans, bien entendu, et divers objets trouvés lors des recherches archéologiques de son mari.

Time to be back, now. Le temps file; je ne suis pas parvenu à faire tout ce que je voulais faire — une semaine c’est encore trop court, curieusement. Le vent est revenu, les nuages avec lui.

« Mesdames et messieurs, nous arrivons dans quelques instants en gare de Lyon Part-Dieu.

Veuillez vérifier que vous n’avez rien oublié à votre place. »

#165

(…)

Un nouvel oeuf pousse sur la rive sud de Londres — enfin cet immense espace vide entre Tower Bridge et la Hayes Gallery va-t-il être utilisé. Il y a comme ça des choses assez ahurissantes dans cette ville, de larges espaces inutilisés durant des années & des années, tandis que de l’autre côté de la Tamise, dans la City, s’est la lutte pour l’espace vital & la course à la construction en hauteur.

Ce nouvel oeuf, finalement, vu de près il ressemble plutôt à un… gland! Une création de Sir Norman Foster & Associates; là sera donc bientôt le nouveau siège du GLA (Great London Authority), autrefois dissous par Maggy & qui a définitivement abandonné l’immense hôtel de ville qui s’élève face à la House of Lords, reconvertie en aquarium minable, galerie Dali & tutti quanti.

Bon, vais-je oser le dire? Une bite sur un quai, c’est assez normal après tout… :-S

D’autres bâtiments s’érigent dans le même périmètre. Mais comment ces structures sont-elles construites? Dans deux des cas il s’agit de minces tours carrées, très hautes, en béton sans la moindre ouverture visible. Dans deux autres cas il s’agit de grandes ailes horizontales uniquement constituées par des poutrelles en fer. Je ne parviens pas à imaginer le résultat final.

Stupéfaction: la passerelle du millénaire… est toujours close! Ce pont a ouvert le 10 juin 2000, a fermé presque aussitôt du fait de sa trop grande amplitude d’oscillation — et nous sommes en février 2002, je pensais vraiment que cette fois-ci, je pourrais l’emprunter, ce fameux Millenium Bridge. Encore déçu. Quel gâchis! Et quel dommage: il est superbe, vraiment, d’une élégance, d’une épure, d’une légèreté de structure… Les petits panneaux d’information nous informent qu’un test a été effectué avec succès en décembre 200 pour les nouvelles suspensions. Alors, pourquoi n’y a-t-il toujours qu’une poignée d’ouvriers à déambuler sur ce pont?

Je pénètre dans l’extraordinaire Tate Modern: rien que pour le bâtiment, c’est une réalisation exceptionnelle. J’ai d’ailleurs lu dans un guide, non, c’était dans le Time Out de cette semaine, que les réticences que j’entretiens vis-à-vis de ce musée sont en fait largement partagées par tout le monde. À savoir la pauvreté des collections & leur classement thématique plutôt que chronologique — et comme moi ils mettent en revanche en avant la beauté grandiose des lieux, et la qualité de la librairie (ça oui: d’une richesse…). Je passe de salle en salle, sans but, reste un long moment à admirer l’aménagement de la « salle des turbines », puis je ressors — que de beauté! C’est presque trop. Ce bâtiment est si colossal, d’une telle ampleur, d’une telle présence… J’ai bien du mal à trouver un angle sous lequel le photographier, d’ailleurs: il déborde totalement du cadre. À la fois monotone (ces immenses façades de brique) & infiniment séduisant. J’en ai plein les yeux, mais l’oeil unique de la caméra, lui, est trop étroit. Comment rendre compte d’une telle masse, aussi intense?

Dans une des librairies du Tate Modern, j’ai largement feuilleté un ouvrage expliquant la manière dont l’ancienne usine électrique a été reconvertie en musée. Des travaux d’une audace & d’une ampleur assez admirables. J’y ai également appris qu’une tranche des travaux n’a toujours pas été réalisée — désormais, je risque d’attendre ça avec impatience: la transformation de l’immense cheminée en point panoramique, tout là-haut. Quelle vision de Londres nous aurions! Déjà que les longues fenêtres de chaque côté de la cheminée (les salles de lecture) offrent des vues splendide sur le front de Tamise…

J’ai hésité un moment à aller voir l’expo de Warhol. Mouais. Ça a toujours été de l’art-naque. Pourquoi lui donner encore une validité aujourd’hui? Je me réserve pour l’expo Klee à la Hayward Gallery

Quel étrange climat que celui de Londres: ce matin il faisait gris & froid, ensuite le ciel a viré au bleu brillant, temps très doux, et lorsque je ressors du Tate Modern, je réalise qu’il vient de pleuvoir. En quelques instants les nuages disparaissent de nouveau, un grand arc-en-ciel se forme au dessus de St Paul. Les morceaux de ciel bleu prennent de l’ampleur.

Dans la cafétéria, contre le National Film Theatre, un jeune homme brun, cheveux en pétard, mange seul au comptoir contre la vitrine. Son visage fin se découpe avec précision sur le fond bleu foncé du mur, un rayon de soleil le baignant à moitié. Parfaite vision de fragile beauté, volée au passage.

« It penetrates so deeply and so gently into me, color possesses me, I don’t have to pursue it, it possesses me always. Color and I are one, I am a painter. » (Paul Klee, 16 avril 1914)

Hayward Gallery, expo « Paul Klee: The Nature of Creation ». Plaisir des yeux, intense; je reste songeur. Tant de petites parcelles de lumière, de couleur & d’humour — oui, d’humour — au sein de ce musée qui n’est que vastes murs blancs et épais montants ou escaliers de béton brut, gris, sombre…

En parlant de brutalité: Hungerford Bridge. Toujours la même vieille passerelle provisoire — provisoire depuis si longtemps… Je lisais l’autre jour dans un journal que l’ensemble des fonds n’était toujours pas réuni pour la réalisation du Jubilee Bridge, la nouvelle passerelle piétonne double qui devrait remplacer cet infect échafaudage le long de la voie de chemin de fer. Et pourtant: les travaux ont l’air largement avancés, de mon côté un tablier est déjà posé, de l’autre côté ce semble être carrément toute la structure portante, les longs mats, ainsi que le tablier. Alors? Encore une passerelle qui demeurera inachevée durant des années, comme le Millenium Bridge? Étonnantes errances de l’entreprise privée a tout crin…

(à suivre)