#224

Geo Alec Effinger est mort.

Il était de ces auteurs, sans doute trop rares (& en tout cas trop peu commerciaux pour être sur le devant de la scène), qui ne se soucient nullement des « canons » de la science-fiction pour oeuvrer dans ce genre, mais qui au contraire n’en font qu’à leur tête, si j’ose dire — qui écrivent à la couleur de leur esprit, pour utiliser une expression qui m’est chère. De ces auteurs qui font, à mes yeux, la vraie richesse de la SF.

Je l’avais autrefois découvert dans l’antho Univers avec « Deux tristesses », hallucinant hommage à Winnie l’ourson & au Vent dans les saules, via une fiction sauvagement poignante… Je n’ai jamais oublié cette nouvelle…

Tiens, juste pour marquer le coup, je vais recopier ici la fiche de lecture que j’avais fait un jour pour l’un de ses romans — sans doute son plus singulier, son plus étonnant & inclassable, & qui en tant que tel n’a donc jamais été traduit, a sombré dans l’oubli: Death in Florence.

Le Dr. Waters a un grand projet pour l’humanité: une utopie aux dimensions du monde. Il a débuté par une petite communauté, quelque part aux USA, puis ayant obtenu des résultats sidérants d’amplitude, il a convaincu les gouvernants américains de donner leur indépendance à une partie de trois états, pour la création d’Utopia 2. Maintenant, c’est au tour d’Utopia 3 de débuter son existence : de la Pologne à l’Italie, en une colossale diagonale, une bonne part de la vieille Europe a été volontairement évacuée afin de permettre à Utopia 3 d’exister.

Seul point d’entrée dans la nouvelle utopie: une « loge » près d’une forêt, quelque part en Alsace. Là se rendent Norman Moore, un jeune consultant nord-américain de peu de caractère et Eileen Brant, américaine elle aussi, ne sachant pas quoi faire de sa vie; au sein d’un groupe de nouveaux « utopiates », les premiers candidats acceptés par le Dr. Waters pour participer en taille réelle à l’élaboration d’Utopia 3. À ces candidats, s’ajoute fortuitement Bo Staefler, un Européen d’origine indéfini, volontiers nomade, certainement escroc et en tout cas désœuvré. Bo est accompagné partout par celui qu’il n’appelle que « the Arab kid », un môme silencieux qui lui sert d’homme à tout faire, quasiment d’esclave (?).

Utopia 3, c’est le centre de l’Europe déserté. Après une vague formation, plutôt du genre boy-scout, les candidats sont lâchés dans cette Europe vide, libre à eux de faire ce qu’ils veulent. Le but: instaurer en eux, et par conséquent dans Utopia 3, le règne de la bonté et de l’amour.

Au gré de leurs pérégrinations souvent mélancoliques et généralement hagardes, chacun se choisit une ville selon son cœur: Florence/Firenze pour Eileen, Venise pour Bo et l’Arab kid, Prague pour Norman. Lentement, chacun s’installe dans cette vie étrange, tandis que des messages peuvent se lire de plus en plus souvent sur les murs ou les statues des villes choisies par nos « héros »: messages alarmistes signés Sandor Courane (qui accuse le Dr. Waters de vouloir se tailler en Europe un empire fasciste, à la faveur du rachat progressif des « options » des utopiates déjà logés sur place) et propagande signée par le Dr. Bertram Waters (qui cherche effectivement à acheter ces options, pour le bien de tous évidemment).

Norman ne sait pas à quel saint se vouer, Bo s’en fiche et transforme la place St Marc en mini-golf géant tandis que l’Arab kid va à la plage du lido, Eileen vit dans un palais et s’imagine grimper les échelons du bonheur humain jusqu’au statut royal. Tombée enceinte, Eileen va concentrer sur elle, bien malgré sa volonté, l’attention de tous les lointains médias comme de la lutte par messages interposés de Waters et Courane.

Ce roman à coup sûr est l’un des plus étranges qui m’ait jamais été donné l’occasion de lire. Le paysage d’Europe déserte dépeint par Effinger est comme un fantasme, très intéressant mais pas réellement explicité/crédibilisé, ses trois personnages se meuvent essentiellement comme des archétypes (le nom de Sandor Courane lui-même est celui d’un archétype humain souvent utilisé par l’auteur dans ses différentes œuvres), les enjeux du récit ne sont jamais clairs, et finalement la défaite de Waters, qu’on nous présente comme la mort à Florence d’un idéal gauchi, demeure très ambiguë. Entre « utopie intime » (réalisation personnelle) et « utopie sociale » (à l’échelle de tout l’Occident), les réflexions d’Effinger au sujet de la tentation utopique demeurent elles aussi assez floues et métaphoriques.

Le tout est extrêmement séduisant, souvent teinté d’un humour tordu (la présence de l’Arab kid, des détails incongrus de l’intrigue, les intermèdes entre les chapitres où l’auteur interpelle le lecteur comme si l’on se trouvait face à une sorte de documentaire), parfois un peu inquiétant (les test incompréhensibles, le personnel à la fois apathique et agressif de la loge et des relais d’Utopia 3). J’ai eu l’impression qu’il y avait plus de choses sous la surface de ce récit que je ne savais en saisir — faux-semblant ou réelle intention de l’auteur? Une chose est certaine: je repense encore, assez souvent, à Death in Florence

#223

Il y a les livres que je lis — déjà nombreux — et il y a ceux — plus nombreux encore — que je « picore »: recueils de nouvelles ou, plus souvent, recueils d’articles, qui se prêtent bien à une lecture pointilliste, au gré d’une envie d’un soir, d’une évasion ponctuelle…

Ainsi lis-je depuis déjà un bon bout de temps, autant pour le plaisir qu’afin de documentation, deux journaux de voyage sur Londres: In Search of London de H.V. Morton (apparemment un monsieur considéré en Angleterre comme un classique du « travelogue »), dans le texte de 1941 retouché en 1951 (une édition actuelle, chez Methuen, sous une fort belle maquette de couverture qui fut la première chose à m’attirer dans ce livre); et The Face of London de Harold P. Clunn, dans le texte de 1950 retouché en 1957 (il s’agit d’une édition d’époque, que j’ai acheté chez un bouquiniste lors de mon dernier séjour là-bas).

Morton est un véritable promeneur, il flâne dans Londres en contant mille anecdotes, tant historiques que contemporaines de l’écriture (l’après-Blitz), c’est savoureux & superbement écrit. Clunn propose un guide touristique plus classique, à la prose dense & portée sur le commentaire urbanistique/architectural. Le premier est un vrai bonheur de lecture, de la littérature tout autant qu’un guide de voyage; le second est écrit à la truelle, purement informatif.

Mais dans les deux cas, je savoure avec plaisir un décalage assez étrange — car bien des traits présentés là n’appartiennent plus qu’au passé, Londres a changé, évolué, il me faut souvent un effort de mémoire pour rétablir la capitale britannique telle que je la connais, par rapport aux descriptions offertes. Ce sont deux voyages dans le passé — vers l’après-Blitz, lorsque Londres ne s’est pas encore relevé ni des traumatismes & destructions de la guerre, des privations de l’après-guerre. Le tout début de In Search of London est saisissant, dans son portrait d’une City réduite à l’état de gravas où poussent les fleurs sauvages… (j’ai d’ailleurs vu, depuis, que Michael Moorcock en faisait une citation, au début de son Mother London).

Ces deux lectures me replongent dans ma ville fétiche, bien entendu, elles alimentent & entretiennent ma passion , mais elles me servent également de documentation, ai-je dit — à savoir que j’y recherche tel ou tel détail sur des quartiers ou des rues dont j’ai besoin dans les nouvelles auxquelles je travaille (qui, elles-mêmes situées dans une époque décalée — uchronique — se satisfont donc particulièrement bien de l’aspect « rétro » de mes guides), et que j’y trouve aussi des anecdotes & détails qui nourrissent ma fiction.

Il y a quelques soirs, j’ai pris Something to Declare de Julian Barnes. Un recueil d’articles: des chroniques de bouquins, pour la plupart orientées vers la France (la seconde moitié du recueil est consacrée à Flaubert & son entourage). C’est léger, plaisant, la prose de Barnes divague tranquillement autour de ses sujets. J’ai été particulièrement amusé de constater que Julian Barnes semble atteint de la même maladie que moi: il est aussi fasciné, passionné, par la France que je peux l’être moi-même par la Grande-Bretagne. Et, de fait, ce qu’il dit en intro sur la francophilie peut aisément être retourné pour décrire mon anglophilie:

Knowing a second country means choosing what you want from it, finding anti-theses to your normal, english, urban life; discarding the sense of responsibility you feel about your own country, giving yourself a rest from the bilious emotions stirred by your own public representatives. (…) The cultural period I am constantly drawn back to is roughly 1850-1925 (…): a wondrous stretch not just for French culture but also for French cultural hospitality.

#222

Je tenais hier un stand au Salon du Livre Jeunesse de Villeurbanne. L’occasion de faire un tout petit peu connaissance des dessinateurs invités sur mon stand — ah, Hervé Tanquerelle! Tant de talent & de beauté en un seul mec, comment est-ce seulement possible?

L’occasion aussi, profitant d’un début de matinée encore calme, de fureter un peu sur les autres stands — j’aime beaucoup les grands albums illustrés pour la jeunesse, je l’ai déjà dit dans un article sur le sujet, dans un numéro de Faeries… Il y a un double plaisir de lecture, pour le texte & pour les illustrations, un rapport entre les deux qui est unique, très différent tant de la bédé que du roman. Et l’amateur de graphismes est à la fête. Sans parler du fait que beaucoup d’albums tendent vers le merveilleux, ce qui ne peut qu’également me séduire, bien entendu.

J’ai donc « craqué », ai enrichi ma petite collec de Plus tard par Gaëtan Dorémus (aux éditions du Rouergue), aux jolies illus faussement naïves, au trait frêle, à la perspective totalement aplatie, et aux couleurs décalées — une esthétique très « fifties »…

De Le chant des génies par Emre Ohrun, sur un texte de Nacer Khémir (chez Actes Sud Junior): un conte dé fée à la manière arabe, joliment troussé & illustré par des manières de gravures, sombres & impressionnantes…

Et de Ami-ami par Stéphane Girel, sur un texte de Rascal (chez Pastel): le plus traditionnel des trois, somme toute, une fable amusante sur l’amitié & l’égoïsme — traité en grandes planches de peinture à la « matière » apparente & à la simplicité humoristique…

Le tout avec en prime de chouettes dédicaces… Mon copain Philippe-Henri Turin venait aussi de sortir une belle nouveauté à l’École des Loisirs, et j’ai hésité devant quelques François Roca & Fred Bernard (quel talent! C’est renversant!), ainsi que devant un Isabelle Chatelard (mais elle n’était pas là) — mais optai finalement pour un peu de raison, mon porte-monnaie n’étant pas d’accord…

De quoi ne pas penser, durant cinq minutes, à la situation politique?! 🙁

Quoique sans jamais oublier qu’il faut voter pour Chirac dimanche prochain.

#221

Nous rêvons d’autres passés, nous avons imaginé 1000 futurs. Aujourd’hui nous avons peur de l’avenir. Les auteurs de Science Fiction, et ceux qui les lisent, s’élèvent ensemble contre l’option annoncée de l’Extrême Droite et du Fascisme en France.

Ouverture le 22 avril 2002 de Auteurs Sans Fascisme, pétition littéraire sous forme de poèmes, nouvelles, fables, peintures, logos, et billets d’humeur par ceux qui font encore pour quelque temps l’imaginaire… avant que la réalité ne les rende obsolètes. Ensemble contre le Front National et la peur, à visages découverts.

Initiative accueillie et soutenue par Oxymore, éditeur engagé.

Avec les artistes signataires :

Léa Silhol, Lionel Belmon, Jess Kaan, Alain Pozzuoli, Fabrice Colin, Léo Henry, Claude Mammier, Denis Labbé, Jérôme Tzakiri, Serena Gentilhomme, Natacha Giordano, David Calvo, Nathalie Dau, Sylvie Miller, Alexandre Malagoli, Fabrice Linnsky, Patrick Marcel, Sire Cédric, René Beaulieu, Claire Panier-Alix, Alexandre Mauméjean, Jean Millemann… et bien d’autres… et ceux qui les rejoignent tous les jours…

#220

Chacun ses manifs: Léa Silhol des éditions de l’Oxymore a mis sur pied le site web Auteurs Sans fascisme, où l’on lira diverses contributions d’écrivains empoignant le sujet brûlant. Je n’ai pas ce talent, mais ai lu avec… bon, « plaisir » n’est pas le terme adéquat, et « intérêt » me semble trop faible, bref, j’ai… lu, notamment, les contributions de Fabrice Colin & de David Calvo, toujours aussi doués.