#218

J’ai enfin reçu Étoiles Vives n°9 — le dernier volume d’une petite anthologie périodique, que je dirigeais depuis son 7e tome. Et le premier dont j’avais véritablement sélectionné, seul, la totalité du contenu.

Hélas, l’éditeur (ou plutôt: le nouvel éditeur, puisque la boîte a été reprise en main) a décidé de mettre un terme à cette antho. Dommage. Ça m’attriste: j’aimais beaucoup m’occuper de ce support-là, & je demeure persuadé qu’il était fort utile au sein du milieu éditorial SF&F français. J’en veux pour preuve le nombre effarant de nouvelles que j’avais accepté pour le défunt projet d’Escales 2002 (kill Vivendi die die die) & pour la suite des Étoiles Vives (car le volume 10 était déjà bouclé!), qui n’ont toujours pas trouvés preneurs ailleurs… les débouchés pour les nouvelles ne sont pas si nombreux que ça, & en particulier les débouchés pour de la science-fiction, en fin de compte.

Anybody out there pour (me) financer le lancement d’un autre support?!? :-S

Well, sinon j’ai aussi reçu le nouveau Bifrost, une petite revue que j’aime vraiment bien & qui propose notamment cette fois deux pavés passionnants: un long entretien avec le dirlit & traducteur Jacques Chambon (des souvenirs à la fois touchants & pertinents pour l’amateur de littératures de l’imaginaire), & un copieux article de réflexion par Francis Berthelot sur la notion de « genre » littéraire, sur la bipolarité littérature savante/littérature profane, & sur le rejet mutuel des littératures réalistes & de l’imaginaire. Une approche forcément (trop) shématique, vu la place qui lui est impartie, mais c’est le brouillon d’une réflexion plus large, encore trop peu menée jusqu’à présent — en fait, c’est même l’esquisse d’un essai que Berthelot écrira peut-être un de ces jours pour la collection « Folio-SF ». Deux essais (dans la lignée de la série qui a vu sortir mon propre Cartographie du merveilleux & verra paraître le mois prochain le guide de Patrick Marcel sur les fantastiques) sont envisagés depuis un moment sur ces questions-là, l’un par Berthelot donc, qui scruterait la littérature françaises depuis ses origines, & un autre par moi-même, plutôt axé sur la littérature anglo-saxonne récente pratiquant la « fusion » des genres. J’espère que ça pourra se faire un jour…

Anyway, cette étude & cet entretien font du 26e Bifrost une lecture intelligente & nécessaire. AMHA.

#217

Des bleus à l’âme. Fantasmes morbides… La nuit suivant ces belles élections, j’ai rêvé que je partais précipitamment de chez moi, en compagnie de mon petit camarade Olivier & de nos deux chattes. Nous partions en bagnole avec deux amis (et leur chat, aussi! Lequel grondait dans sa caisse dans le coffre!), direction la Suisse, nous nous arrêtions quelque temps chez Pascal Ducommun (c’était un rêve assez détaillé, voui) puis remontions à travers l’Europe, le long de la frontière française que nous nous gardions bien de franchir, jusqu’à Bruxelles où nous avions décidé de nous installer…

#216

J’ai interrompu ces derniers jours mes lectures courantes, afin de me plonger dans quelques ouvrages ô combien désuets.

Il fallait en effet que je travaille sur un article (un « Petit maître de la fantasy » pour la revue Faeries), et je m’étais gardé un bouquin à lire pour cet article — Anthony Hope, l’auteur du Prisonnier de Zenda. J’ai donc lu le recueil de nouvelles The Heart of Princess Osra, de manière à me replonger dans le style de Hope & par conséquent dans mon sujet. Hope y conte des épisodes situés au XVIIIe siècle, de la vie de la princesse Osra, dont l’excessive beauté fut la perte de plus d’un homme. Hope s’y amuse à batirt un passé crédible pour le pays qu’il avait imaginé dans le Prisonnier de Zenda (situé à la fin XIXe), à savoir la Ruritanie. On apprend qu’à tel endroit se dressait le White Palace — détruit lors des troubles populaires de 1848, et désormais remplacé par un jardin public. Ou que là où fut plus tard dressé le château de Tarlenheim, se tenait une forteresse ancienne… Les contes eux-mêmes sont assez outrageusement désuets, futiles & reflétant une morale qui nous est désormais étrangère, mais ils se laissent encore lire avec un certain plaisir — et leur tonalité n’est pas si éloigné, somme toute, de certains des contes de fée d’Orson Scott Card, par exemple.

Dans la foulée, et dans le même but, j’ai lu deux nouvelles d’Avram Davidson, du recueil The Adventures of Doctor Eszterhazy, situées elles dans le petit royaume de Scythia-Pannonia-Transbalkania. Davidson s’était amusé à inventer un pays semblable à la Ruritanie, et à y mettre en scène un enquêteur aussi savant que magicien, le Docteur Eszterhazy. Des nouvelles tordues & bizarres, mais plaisantes. Avram Davidson est un des grands excentriques de la littérature de l’imaginaire anglo-saxonne moderne — avec par exemple Howard Waldrop. Son style & son imagination demandent toujours un temps d’acclimatation, mais valent bien ce menu effort de la part du lecteur…

Ah, et puis, tant qu’à lire du Davidson, j’ai ouvert un recueil récent, The Other Nineteenth Century (où une nouvelle oubliée d’Eszterhazy a été tardivement insérée) — et y ai déniché « The singular incident of the dog on the beach »: trois pages d’un petit délire de Davidson sur Watson & Holmes.

Et puis enfin, alors que j’approfondissais ainsi ma science ruritanienne, j’ai reçu au courrier (pour une raison que je ne m’explique pas) la réédition en poche d’un classique du roman policier: L’Affaire Lerouge d’Émile Gaboriau (chez Lliana Lévy). Le tout premier roman policier, en fait! L’inventeur du genre, avant même The Moonstone de Wilkie Collins… Ayant depuis belle lurette envie de lire ce roman, je m’y suis donc plongé tout de suite. Avec une délectation amusée: ah, ce français du XIXe! Quel délice!

#215

Je ne parle pas ici de toutes les bandes dessinées que je lis — de par mon job (libraire de bédé), j’en lis des tonnes, et donc une vaste majorité de merdouillettes ou de bonnes grosses daubes. Je ne parle donc en cette virtuelle page que des ouvrages qui m’ont réellement touché, ceux qui me parlent totalement — et que, bien souvent, je me décide à acheter.

C’est le cas de Jérôme d’Alphagraph par Nylso (publié par une toute petite boîte poitevine nommée Flblb). Les aventures à la fois légères & profondes d’un p’tit gars qui, partant du monastère de son maître spirituel, décide que sa voie sera celle d’un libraire. Et de se faire derechef embaucher comme stagiaire dans une librairie de la ville.

L’univers mis en scène est oriental, mais les thématiques ô combien occidentales — et le ton plutôt zen! Le petit bonhomme doute, hésite, s’amuse, se fait exploiter, se tire, fait des découvertes… J’adore tout autant le ton faussement naïf, que le dessin — ah, le dessin de Nylso! Pour un regard distrait, ce peut sembler être de petits gribouillis rapides, mais dés que l’on se plonge en ces pages, les gratouillis de Nylso s’avèrent être aussi faussement naïfs que ses textes. L’effet d’émiettement & de jeté ne sont que ça: un effet, abritant une grande maitrise du trait, une minutie remarquable — qui est particulièrement éclatante lors des grands paysages, des décors. Il y a du Herriman (Crazy Kat) chez Nylso — cette sorte d’épure trompeusement désinvolte. Mais il y a surtout… du Nylso, je suppose!

Je connaissais déjà ce dessinateur — mais fort peu, trop peu: sa petite maison d’édition, Le Simo, n’a jamais été distribuée ailleurs que dans quelques salons & de rarissimes librairies « pointues », il est donc terriblement difficile de mettre la main sur ses bouquins. Cela fait longtemps que je le regrette! Je ne pige pas par quel manque d’ambition ou par quel mauvais sort Nylso n’a pas déjà perçé, n’est pas déjà un peu plus visible…

Enfin bref: Jérôme d’Alphagraph est distribué par le Comptoir des Indépendants, on peut donc le dénicher sans trop de peine en boutiques. Et c’est un joli petit bonheur.