#247

Noté le lundi 3 juin 2002:

Quelque soit le temps qui puisse s’écouler entre deux de mes visites londoniennes, il semble inévitable que mon premier jour dans la capitale britannique soit essentiellement consacré à une sorte de « ré-acclimatation » en douceur. Je n’avais pas envie de prendre des notes au dictaphone aujourd’hui – je ne sais d’ailleurs pas jusqu’à quel point je vais en prendre cette fois, une approche un peu plus impressionniste encore semble s’imposer pour de longues vacances. Whatever : on verra bien. Toujours est-il que je me suis promené un peu au petit bonheur. Le week-end de Bank Holliday étant prolongé de deux jours pour le Jubilee de la reine, les rues de Londres sont étonnamment vides, même pour un lundi. Par moments, j’ai le sentiment un rien étrange (quoique fort plaisant) d’avoir été projeté dans un épisode des « Avengers »…

Ce vide n’est pas déplaisant, de fait. Pouvoir traverser certaines grandes artères sans la moindre difficulté, par exemple… J’ai un peu l’impression d’une liberté accrue, d’une ville qui m’est livrée sans retenue.

Petite balade dans Bloomsbury, donc ; passage par Forbidden Planet ; sur Charing Cross le dépeuplement en librairies, catastrophe annoncée depuis longtemps, se poursuit fort tristement : un soldeur ferme ses portes, et Any Amount of Books (qui s’est réinstallé un peu plus loin) va bientôt se voir remplacé par un café chic – il y a un article à ce sujet placardé sur la vitrine d’Henry Pordes.

Repérages, aussi : je me rends à Warwick Avenue, sur les pas de mon détective Bodichiev, afin de ne pas trop dire de sottises dans la nouvelle à laquelle je bosse actuellement. Il s’agit de nouvelles policières (au sein d’une uchronie) dont le principal sujet, dirai-je, est l’ambiance urbaine – je fais donc en sorte de ne parler que de villes & de quartiers que je connais bien, je trouve très amusant d’ancrer une fiction (une science fiction, même) dans la réalité la plus tangible. Je prend d’ailleurs notes & photos, afin de garder en mémoire divers points & vues, à « ressortir » le cas échéant. Au risque de paraître un peu prétentieux, je dirai que chaque expédition londonienne enrichie mon imaginaire & mon inspiration — ne serait-ce que de menus détails.

L’image mentale que je m’étais formé de Warwick Avenue s’avère notablement différente de la réalité – je vais devoir légèrement amender mon texte. J’en profite pour remonter un moment un bras du canal que je n’avais encore jamais emprunté puis, rebroussant chemin avant de partir trop loin en banlieue, j’essaye le troisième bras d’eau desservant le bassin de Little Venice, celui qui se rend vers Paddington. Mais là, impossible : tout le quartier est en travaux. De quoi me faire regretter de n’être pas allé de ce côté auparavant : ce devait encore récemment être un « bel » exemple de friche industrielle en pleine ville. Trop tard, hélas. J’ai trop tardé à faire cette découverte-là, les promoteurs sont arrivés. Je change de rive pour quand même tenter ma chance jusqu’au bassin de Paddington, mais les constructions sont si intensives que ce dernier n’est plus accessible du tout pour le moment, si ce n’est par la passerelle du St Mary Hospital, qui jouxte le canal en plein coeur des colosses de verre & de béton en cours d’érection.

Y’a pas à dire, les environs vont être impressionnants, d’ici peu. Les pieds au bord de l’eau, les nouveaux géants aux lignes futuristes écrasent les quelques rares entrepôts encore debout, vestiges d’une industrialisation dépassée. Dérisoire & dilapidée, une maigre rangée de bâtisses en brique & enduit écaillé s’élève encore face aux prochaines tours de bureau, mais pour combien de temps encore ? Je contourne le quartier par un pont de chemin de fer, afin d’aller découvrir le St Mary Hospital de l’intérieur – ce que j’en ai vu, depuis la passerelle du canal, m’intrigue. Au passage, j’erre un moment dans la gare de Paddington. Impression de flotter, électron libre, sous les grandes voûtes anciennes. Une foule afférée circule sur les quais, tandis que je flâne le nez levé vers l’immense verrière qui recouvre la station. Ni but ni souci, je papillonne d’une statue à une autre, d’un stand à un autre : avantage d’être touriste, même le moindre kiosque à bouffe acquiert une dimension exotique. Je m’achète une soupe aux épinards ( !) et ressort sur Praed Street, avant de tourner dans St Mary Hospital.

Visiter un hôpital en buvant une soupe aux épinards, n’est-ce pas là une conception foncièrement originale du tourisme ? Si vaste est cet établissement hospitalier qu’il occupe plusieurs pâtés de maisons – des rues autrefois publiques y sont enclosent, les architectures & les destinations de bâtiments forment un bel enchevêtrement, une cacophonie parfois rénovée parfois fatiguée. Le tout forme un passionnant mélange de grandiose et de délabré, de moderne et de vétuste, d’espaces privés et d’endroits publics. Un lieu urbain un peu à part du reste de la ville, bien qu’en son cœur.

Je remonte sur Oxford Street en flânant, me faire quelques envies. Il est assez tard, mais certains grands magasins ne ferment qu’à 20 ou 21h. Dîner dans une pizzeria, et… dodo ! J’ai à peine le temps de feuilleter un bouquin que mes paupières marquent la fin de la journée.

Auparavant, j’ai tout de même vaguement regardé la retransmission sur BBC1 du concert de Buckingham. Queen réduit à deux pépés qui font chanter des petits jeunes (je reconnais avec un rien d’effarement l’un des vainqueurs du « Pop Star » local, manquant cruellement de voix le pauvre garçon) ; Ruby Wax qui plaisante avec Kermit la grenouille quant au fait de piquer les joyaux de la Reine ; les jeunes princes tout sourire quoiqu’un peu rouges face au décolleté superfétatoire d’une chanteuse noire…

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