#375

Oh! quel silence sur cette page.

Mais si repeindre une cuisine aux couleurs de Mondrian, dompter des chaises rétives & tenter de réinventer notre intérieur (changer l’appart faute de changer d’appart) s’avère être assez « fun », avouons cependant qu’il s’agit d’activités fort peu littéraires & ne se prêtant que mal à du blog.

Avouons aussi qu’après toutes ces activités physiques, venant en sus de mon boulot de libraire-in-blockhaus, je n’ai guère eu de courage ces derniers jours quant aux mails ou aux blogs…

Alors, faute de grandes choses nouvelles à dire, ou de temps tout de suite pour parler des quelques (belles) BD récemment lues, bref: deux infos. Tout d’abord, le fanzine de mon camarade Samaël (dessinateur du frontispice du dernier YS), Rhinocéros contre éléphant, a reçu, gloire des gloires, le prix du meilleur fanzine à Angoulème. Bravissimo.

Tiens, mon « cousin de Californie », Bruno B. Bordier, a ouvert un weblog sans me le dire, le petit cachotier. Ça s’intitule Wanderola.

Enfin, saviez-vous que samedi dernier, le web fut l’objet d’une grave attaque terorriste? Une grande partie du web (20 %?) se retrouva ralentie ou carrément bloquée… Article ici.

#374

Je pensais qu’il s’agissait d’une affectation: ces écrivains qui disaient préférer écrire à la main plutôt que sur l’ordinateur, pensez donc!

Et puis à force de devoir moi-même écrire à la main — généralement dans des carnets, avec un stylo, chaque fois (trop rare) que je suis en voyage, ou bien le midi (presque chaque jour) lorsque je tente d’échapper un instant à la pression abrutissante du centre commercial — je me suis mis… Petit à petit, d’abord contraint, puis avec un plaisir de plus en plus net… Eh bien oui: je me suis mis à apprécier l’écriture manuelle…

Oh, certes, j’ai une écriture épouvantable — je doute que grand monde puisse relire mes notes à part moi-même. Mais qu’importe la caligraphie: une des choses que j’apprécie le plus dans l’écriture manuelle c’est la vitesse — une vitesse décriture qui me permet de presque rejoindre la vitesse de ma pensée. La bille du stylo glisse à toute allure sur le papier, les lettres s’étirent, se déforment, s’esquissent à peine, qu’importe: les mots sont là, les phrases coulent, ma nouvelle s’écrit sans les heurts du clavier, sans l’inconfort de la chaise (je peux écrire n’importe où, vautré dans mon fauteuil favori aussi bien que de travers dans un train), sans le blanc scintillement de l’écran. Juste le fil de la pensée & les pauses de la réflexion. Confort. Il y a une sorte de volupté à laisser filer le stylo sur une page de carnet — et je les choisis avec soin, mes carnets! De préférence chez Muji (qui n’a hélas plus de boutique à Lyon, il me faut profiter de mes quelques tours à Londres pour faire des provisions), mais en tout cas esthétiques & maniables. Fétichisme du carnet? Eh! Le dessinateur a bien son carnet de croquis, pourquoi l’écrivain n’aurait-il pas son carnet de notes?

Et ensuite l’étape de la mise au propre sur l’ordi devient, du coup, une autre partie de plaisir, une autre expérience d’écriture — à la fois très simple (il suffit presque de recopier) & très constructive (je redécouvre des passages de mes propres textes avec un peu de recul, je les retravaille « naturellement » en les retapant, des manques se révèlent & des corrections s’imposent). Autre sensualité, autre fétichisme, celui du texte immaculé se déroulant sur l’écran plat de l’iMac.

Et puis l’exercice hautement jouissif des retouches, des détails, une virgule ici, un mot ici plutôt qu’un autre, une phrase que l’on retourne, une autre que l’on abrège, le minitieux tinkering littéraire — encore une autre forme de plaisir d’écrire. Trois étapes, chacune créative, chacune libératrice & émotive.

#373

Dimanche au fil des rails.

L’église pousse sa flèche moussue par-dessus l’entassement des toits serrés, pentes & pointes de tuiles rosées auxquelles se mêlent, soulignant la chaude couleur de leurs voisines par leur sombre minéralité, quelques toitures d’ardoise. Un triangle nu, tout juste orné par un croisillon de lignes blanches et beiges, semble porter le clocher & met en valeur sa simplicité rustique. La petite ville s’adosse au confort de deux collines basses, où le vert acide des prairies (nettement découpées par les haies) alterne avec la fourrure brune & hirsute des bois.

Au-dessus des têtes filent, s’emmêlent, se confondent & se tissent des câbles électriques, au point que tout au bout du quai on peut avoir l’impression qu’un tel fouillis — isolateurs, poteaux, feux de signalisation, caténaires & broches — acquiert des qualités abstraites. Ces mailles grises dessinent une sorte de sculpture ultra-moderne sur le fond de nuages bas & striés, ce semblent être les seuls éléments contemporains dans un décor désuet, provincialement endormi. Derrière moi, la grande voûte de la gare pose sur les quais déserts la grâce vieillotte de son V inversé de poutrelles & de tuiles. Mais ce ne sera pas encore cette fois que je découvrirai plus avant St-Germain-des-Fossés. Le train arrive enfin.

Et c’est un voyage passéiste qui se poursuit : des compartiments ! Ils ont beau être neufs, décorés d’une triste & froide combinaison de vert & de gris, ils m’inspirent pourtant des réminiscences de romans anciens. Le voyage en compartiments de train me paraît appartenir à une idée passée du confort, à des récits d’Agatha Christie ou de A.E.W. Mason.

Le premier compartiment a les rideaux tirés : ne pas déranger ? Amour adultère, vieille fille revêche ou crime dissimulé ? Du deuxième, j’aperçois en une fugitive vision d’or & de nylon deux paires de jambes féminines, beau galbe. Le troisième est déjà bien plein, heureusement voici le quatrième, seulement deux messieurs. Je m’assois près de la fenêtre.

Juste le temps d’apercevoir un tout petit peu plus du calme dominical de St-Germain-des-Fossés, maisonnettes anciennes, halles en bois noir & murs de briques, qu’un rideau d’arbres dénudés, comme un brouillard de branches & de brindilles jaillissant tout droit, s’élève pour camoufler le reste de la bourgade. Et j’ai à peine noté quelques lignes que le train ralentit à nouveau, sur la droite un hérissement d’immeubles seventies blancs & oranges comme des Barbapapas, sur la gauche la pergola jaune de la gare de Vichy.

Mais ce n’est pas encore là que je dois descendre, & ensuite me lasse la monotonie des champs labourés, des haies chenues, des poteaux grêles, sous de cieux chargés de pluie, le cul anthracite & les entrailles blanches. Campagne blafarde d’un côté, tout juste soulignée sur l’horizon par une longue déchirure lumineuse des nuées ; et de l’autre, le moutonnement bleuté, indistinct, des monts d’Auvergne. Tout semble gorgé d’eau : la terre lourde & noire ; les nuages qui se plissent, se crevassent, dessinent tour à tour une plaine laiteuse & un lichen indécis ; les prés qui jettent des éclats argentés entre deux sillons verts ; les fossés où frémit à peine un métal mat.

Riom Chatel-Guyon. L’anonymat rassurant des gares toutes identiques dans le gris de leur quai, la rouille des wagons de marchandise qui s’y alignent & la blancheur des carreaux de leurs passages souterrains. Une exception, un détail coquet : une petite maison de l’autre côté des voies, symétrique & décorée comme le chalet en guimauve d’Hansel & Gretel.

Clermont-Ferrand. Que cette gare est laide. Rien du charme désuet de ses modestes voisines, juste quelques barres de beurre au profil perplexe, auxquelles une petite tour carrée ne parvient à donner ni un aspect Art-Déco ni une touche méridionale. De longues minutes de non-temps s’y écoulent, changement de locomotive, séparation du train en trois tronçons. Pourquoi cette obsession de l’horaire précise, chez les cheminots, alors que jamais ils ne le respectent ? À l’horloge de la tour les aiguilles ont dépassé le temps du départ, juste indiqué au micro. Brinquebalant avec nonchalance, le train s’ébranle enfin — tristes talus, rues molles, banlieue rosâtre.

Pas de halte cette fois aux Martres-de-Verre. Nom ô combien poétique, surtout lorsque l’on ignore le sens du mot « martres » — il ne s’agit hélas point de belettes translucides, mais de cimetières. L’arrondi d’une montagne pelée, jaune paille, protège le long bourg.

Gare suivante ? Pas vu le nom : s’agit-il d’Aigueperse ? Il y a-t-il réellement une ville ou bien cet arrêt n’avait-il vu le jour, autrefois, que pour la petite usine qui, non loin des voies, fait grimper vers le ciel une belle cheminée blanche & rose ? Il y a bien des maisons, mais elles se trouvent loin, formant comme une strate minérale auprès du sommet d’une large montagne entièrement couverte de forêts.

Au sein des roches vertes & des arbres bruns, nous suivons un moment un cours d’eau, le quittons, le retrouvons, il roule des flots opaques & tumultueux, surveillé depuis le haut d’une colline par la tour ruinée d’une citadelle. Encore une bourgade anonyme. Le cours d’eau se fait par endroits caillasse, à d’autres il prend un gris lumineux ou un vert bouteille, tout sombre & tout fripé. Les arbres sur son bord sont au choix des fantômes blancs & hirsutes ou des freluquets griffus, que mangent le lierre. Une autre citadelle perchée, dont la pierre rousse se confond avec celle de son rocher, en proue brisée & anguleuse au-dessus de l’eau miroitante.

Décharges de ferrailles & jardins potagers : « Issoire, prochain arrêt Issoire. »

#372

« Il n’avait jamais vu la mer, il la regardait en ouvrant ses deux yeux, et il dit se parlant à lui-même: « C’est curieux tout de même, ça donne tout de même un aperçu de ce qui existe », appréciation que j’ai trouvée profonde et aussi émue par le sentiment de la chose même que toutes les expressions lyriques que j’ai entendu faire à bien des dames. »

(Flaubert, Par les champs et par les grèves)

#371

De quoi fut faite ma fin d’année, du côté des lectures?

Essentiellement de gros bouquins d’art — pas seulement feuilletés, mais réellement lus: ayant achevé le catalogue sur Manet, Monet et la gare St Lazare, je me suis plongé dans la Provence des peintres, ai suivit les chemins vers l’abstraction avec Mondrian, suis allé voir du côté du Made in USA… (tous des catalogues publiés par la Réunion des Musées Nationaux)

Et puis, en me rendant chez ma soeur pour Noël, j’ai lu tout de même un roman — La vérité sur l’Affaire Savolta d’Eduardo Mendoza, trouble drame politico-financier dans la Barcelone de l’après-1917. Noir & fascinant, et d’une construction intéressante.

Récemment, j’ai dévoré Azazel de Boris Akounine — longtemps que j’avais envie de lire cet auteur géorgien de polars, mais leur édition en grand format est si laide! Heureusement, voici venir quelques 10/18 (assurément, si je lisais des traductions cette collection-là me suffirait!) Et le plaisir de lire fut au rendez-vous: délicieusement rétro, perso bien campé, va-et-vient entre Moscou & Londres, style délicieux (belle traduction, donc) il y avait bien longtemps que je n’avais autant apprécié un « rétro-polar »… Il me tarde de lire d’autres opus de ce monsieur Grigori Chalvovitch Tchkartichlivi (que n’utilise-t-il pas son véritable patronyme, hallucinant d’exotisme?!).

Quant à mon ami Gilles Dumay, il me fit lire pour Denoël (fiches de lecture, as usual) l’étonnant The Impossible Bird de Patrick O’Leary — abondamment cité ici durant ma lecture. Un roman excitant & provocant, mais pourtant quelque peu décevant en définitive… Je posterai ici ma fiche de lecture, donc inutile de me lancer tout de suite. D’autant que je ne sais pas encore tout à fait définir ma déception.

Et si le Boris Akounine me plongea dans une ambiance russe qui sied particulièrement bien à mes propres travaux d’écriture (mon détective privé est anglo-russe), les deux ouvrages suivants proposés en lecture par Denoël rejoignent le cadre san-franciscain de la nouvelle à laquelle je travaille en ce moment: des polars/SF de Richard Paul Russo. Le peu que j’en ai lu pour le moment semble puissant & passionnant.