Je pensais qu’il s’agissait d’une affectation: ces écrivains qui disaient préférer écrire à la main plutôt que sur l’ordinateur, pensez donc!
Et puis à force de devoir moi-même écrire à la main — généralement dans des carnets, avec un stylo, chaque fois (trop rare) que je suis en voyage, ou bien le midi (presque chaque jour) lorsque je tente d’échapper un instant à la pression abrutissante du centre commercial — je me suis mis… Petit à petit, d’abord contraint, puis avec un plaisir de plus en plus net… Eh bien oui: je me suis mis à apprécier l’écriture manuelle…
Oh, certes, j’ai une écriture épouvantable — je doute que grand monde puisse relire mes notes à part moi-même. Mais qu’importe la caligraphie: une des choses que j’apprécie le plus dans l’écriture manuelle c’est la vitesse — une vitesse décriture qui me permet de presque rejoindre la vitesse de ma pensée. La bille du stylo glisse à toute allure sur le papier, les lettres s’étirent, se déforment, s’esquissent à peine, qu’importe: les mots sont là, les phrases coulent, ma nouvelle s’écrit sans les heurts du clavier, sans l’inconfort de la chaise (je peux écrire n’importe où, vautré dans mon fauteuil favori aussi bien que de travers dans un train), sans le blanc scintillement de l’écran. Juste le fil de la pensée & les pauses de la réflexion. Confort. Il y a une sorte de volupté à laisser filer le stylo sur une page de carnet — et je les choisis avec soin, mes carnets! De préférence chez Muji (qui n’a hélas plus de boutique à Lyon, il me faut profiter de mes quelques tours à Londres pour faire des provisions), mais en tout cas esthétiques & maniables. Fétichisme du carnet? Eh! Le dessinateur a bien son carnet de croquis, pourquoi l’écrivain n’aurait-il pas son carnet de notes?
Et ensuite l’étape de la mise au propre sur l’ordi devient, du coup, une autre partie de plaisir, une autre expérience d’écriture — à la fois très simple (il suffit presque de recopier) & très constructive (je redécouvre des passages de mes propres textes avec un peu de recul, je les retravaille « naturellement » en les retapant, des manques se révèlent & des corrections s’imposent). Autre sensualité, autre fétichisme, celui du texte immaculé se déroulant sur l’écran plat de l’iMac.
Et puis l’exercice hautement jouissif des retouches, des détails, une virgule ici, un mot ici plutôt qu’un autre, une phrase que l’on retourne, une autre que l’on abrège, le minitieux tinkering littéraire — encore une autre forme de plaisir d’écrire. Trois étapes, chacune créative, chacune libératrice & émotive.