#365

Il y a des journées comme ça où le monde semble subitement en total accord avec vous-même. Et en ce beau jour éclatant de neige l’harmonie fut de mon côté.

D’abord il y a eu Pat qui m’apportait des exemplaires de notre BD — bon d’accord, l’impression est carrément trop « grasse » & un peu criarde, il y a des tas de défauts agaçants (l’éditeur est un débutant, du genre pas doué…), ce n’est pas franchement une réussite de laquelle être super-fier……… Mais c’est tout de même ma première BD… Émotion.

Et puis un copain m’a signalé qu’on citait mon Dico dans le Libé du jour — bon, d’accord, juste un entrefilet mais c’est déjà ça.

Et puis j’ai (enfin) reçu un coup de fil d’excuses de l’Abbaye de Daoulas, me promettant qu’ils allaient m’envoyer le catalogue & me payer, ouf.

Et puis Chrystelle me prend un long article pour un prochain Faeries, chouette, & elle va tacher de réparer l’erreur informatique qui tronqua de sa fin mon papier du dernier numéro (sur Shepard, manquaient 5000 signes!).

Et puis Gilou va me payer les fiches de lecture en retard & m’a envoyé d’autres bouquins.

Et puis un autre copain encore m’a appelé, coup de fil rassurant/passionnant, prometteur de plein de bonnes choses — un vrai coin de ciel bleu.

Last but not least, j’ai bien écrit encore aujourd’hui — c’est important & très plaisant. Sentiment de plénitude.

…demain retour au bagne, dommage…

#364

Pour ma part je l’aime, la neige.

Douce surprise en sortant du blockhaus commercial, ce soir, que ce rideau léger qui tombait sur une ville déjà très largement en-ouatée. Je descendis l’escalier de la bibliothèque en savourant le « crounch crounch » de la neige sous mes pas. Dans l’allée, les yeuses voyaient leurs sombres ramures éclaircies comme une chevelure poivre-et-sel. Sur l’avenue, la sotte circulation automobile n’était pas encore parvenue à réduire le blanc tapis en sloch brunâtre. De l’autre côté de la gare, le jardin des Petites Soeurs semblait fantomatique, nimbé d’une minuscule danse rosée, toutes les branches surlignées d’un bel éclat blanc. À l’angle d’une rue, des rires d’enfant éclatèrent: bien sûr, la neige appartient à leur mythologie.

Cette nuit est totalement lumineuse, le paysage des toits familiers dort sous la couverture d’un gris-rosé auquel répond exactement le ciel. Lyon est transfiguré, au moins le temps d’un passage nocturne — demain nous verrons bien ce qu’il en restera.

Et je pense bien entendu au tableau de Gustave Caillebotte. Oui: j’aime cette neige, si rare chez nous & si esthétique pour le moment.

#363

« Demeurer égal à soi-même ». Quelle ironie. Car je me trouve un peu trop « égal à moi-même », ces temps derniers. C’est-à-dire un peu trop immobile, un peu trop nonchalant, un peu trop autiste aussi.

Ainsi, en lectures: il semblerait que je ne parvienne (presque) plus à lire que dans une optique d’enrichissement de ma propre pratique de l’écriture. Donc plus de romans (sauf s’ils sont policiers & que je pense y trouver telle approche, tel détail, telle construction, qui pourrait m’apporter un petit quelque chose en plus pour mes propres polars), pas mal de nouvelles (avec surtout un regard sur la construction & le style), et surtout de la « documentation » — beaux livres d’art, d’architecture ou de tourisme, par exemple.

Quant au reste de l’existence… Du fond de mon désert personnel, je me laisse parfois, involontairement, frissonner sous des bourrasques glaciales. Et je sais bien quel est le désir qui me fait me tendre — mais sais aussi qu’il est inatteignable.

#362

« People always say you should be yourself, like yourself is this definite thing, like a toaster, or something. Like you can know what it is, even. But every so often, I’ll have like a moment, where being myself, and my life right where I am is, like, enough. » – Angela Chase (episode 13: Pressure)

À la fin du générique, Angela s’efface tout au bout du chiaroscuro d’un couloir de collège.

C’est l’image que j’ai toujours en tête lorsque je pense à elle — ça, et les ténèbres enneigées de « So-Called Angels », l’unique fois où la magie particulière de la urban fantasy souffla sur une série télévisuelle (si l’on excepte quelques trop fugitives scènes de Buffy). My So-Called Life c’est un peu les Twin Peaks sans le malsain de Lynch, c’est du Charles de Lint versant (plus ou moins) réaliste…

Angela, mais aussi Rayanne, Brian, Rickie, Jordan ou Sharon, font étrangement partie intégrante de mon paysage mental depuis longtemps. « Étrangement », car il ne s’agit « que » d’une série pour ados, après tout. Que?

J’ai vu et revu les épisodes (dix-neuf seulement) lorsque Canal Jimmy les diffusait. Puis j’ai attendu, en vain, qu’ils repassent afin de pouvoir les magnétoscoper. Les DVD sont enfin sortis & immense est mon plaisir de redécouverte. My So-Called Life (en français Angela 15 ans) conserve la force littéraire d’un grand roman & la beauté plastique d’un grand film. Comment s’étonner que cela n’ait pas marché sur une grande chaîne américaine?

(« Angela 15 ans » est rediffusé à partir de cette semaine, du lundi au vendredi vers 17h15 sur MCM)

#361

Lu en songeant malicieusement à mon ami William:

« Ne nions pas, en effet, les sentiments prétentieux et les enthousiasmes déclamatoires, on peut pleurer de bonne foi tout en arrondissant gracieusement le coude pour tirer son mouchoir, faire une pièce de vers sur un bonheur ou un malheur quelconque et le faire sentir aussi bien que ceux qui n’en font pas, et il n’est pas encore absolument prouvé qu’il soit impossible d’aimer la femme que l’on appelle sa déité ou son bel ange d’amour. »

(Gustave Flaubert in Par les champs et par les grèves)