#412

Mauvais rêve

Olivier me disait à l’instant avoir fait cette nuit un cauchemar, durant lequel son prof de philo antique agonisait durant un cours. Pour ma part, j’habitais cette nuit à Bordeaux, tout seul (tandis que je m’y trouvais quelques nuits auparavant en compagnie de plusieurs bloggeurs: Olivier, Jean & Guillaume!).

Bordeaux, donc. Et je m’y trouvais fort malheureux: tout le monde porte désormais une sorte de bracelet à sa cheville, un anneau lumineux multicolore qui pulse & change constamment, comme une sorte d’effet spécial personnel attaché autour de la cheville, plutôt dans des tons de bleu & de blanc mêlés, brillant, assez out of this world

Et moi je n’en ai pas! Alors qu’en revanche des tubes de la même matière passent un peu partout dans mon appart bordelais, en particulier au sol, ainsi qu’un peu sur les murs. Ils éclairent les pièces d’une lumière crue, blessant presque les yeux — en filets bleu, jaune, rouge, blanc, sur lesquels s’écoule une mince pellicule liquide, une sorte d’eau froide au toucher. Tendant deux doigts vers une des parois brillantes, je les mouille avant d’approcher ce liquide de mes lèvres. Il y dépose une brûlure passagère, étrangement agréable mais seulement fugitive.

Je sors dans la rue: heureusement tout le monde ne porte pas son bracelet bien en évidence. Il y a ceux que l’on devine juste sous l’ourlet du pantalon, ceux qui sont camouflés — et ceux qui, ostentatoires, s’exhibent en brillant sur une jambe de jean ou sur une mince cheville. Le fait que je ne possède pas de bracelet passe donc inaperçu — en fait, je semble passer moi-même inaperçu: je croise Olivier & il ne me regarde même pas! Il est avec un groupe d’amis, ils portent tous leur bracelet bien visible. Mais Olivier ne me voit pas!

J’en conçois un immense chagrin & au bord des sanglots je décide de rentrer chez moi — mais me retrouve sur le chemin de la gare, car il faut que j’aille chercher Roland (Wagner) au train. Ma peine se transforme en angoisse: à quelle heure? J’ai oublié l’horaire du train! Et je n’ai pas de montre, je n’arrive pas à trouver une horloge!

Heureusement, Roland est là, qui m’attend dans le hall, souriant. Lui non plus, n’a pas de bracelet: chez moi, il m’explique qu’on a pas besoin, tout en examinant avec intérêt les tubes lumineux qui courent dans l’appartement. « Tu sais, on peut utiliser ça », m’explique-t-il en commençant à peler un tube d’une sorte de mince fibre. Il tire ainsi un fil bleu, puis un fil rouge, et les enroule autour d’une cigarette. Serré, brillant. Lorsqu’il l’allume, une flamme bleuâtre commence à brûler. Roland tire sur son joint lumineux & crachotant avec un plaisir visible. « C’est épatant, tu sais? » me dit-il en me tendant son étrange cigarette, des plis de malice aux coins des yeux.

#411

La lente flèche de la beauté.

« Le genre de beauté le plus noble est celui qui ne ravit pas d’un seul coup, qui ne livre pas d’assauts orageux et grisants (ce genre-là provoque facilement le dégoût), mais qui lentement s’insinue, qu’on emporte avec soi presque à son insu et qu’un jour, en rêve, on redécouvre, mais qui enfin, après nous avoir longtemps tenu modestement au coeur, prend de nous possession complète, remplit nos yeux de larmes, notre coeur de désir. — Que désirons-nous donc à l’aspect de la beauté? C’est d’être beaux: nous nous figurons que beaucoup de bonheur y est attaché — mais c’est une erreur. »

(Nietzsche, « Humain, trop humain »)

#409

« Une fois ce fond (ou ce sommet) atteint, heureusement une main baptismale nous attrape alors que nous basculons pour entamer une remontée vers d’autres surfaces. Des horizons blanchis et des paysages nouveaux.La musique sait alors construire des cités où battent le cœur d’autres hommes, dessiner des jardins où poussent des agrumes et des soleils sucrés. Par les cordes d’une guitare et le son organique de quelques instruments de bois, la terre se reforme lentement, la chaleur s’humanise. Le cœur d’un rythme lourd et poignant propose alors de monter sur les sommets où il faudra cette fois sans doute en découdre avec le reste d’une œuvre qui creuse ses reliefs, tend des pièges didactiques mais se construit lentement tout autour de nous… »

(un beau paragraphe de Nicolas Sabatié, à lire sur l’e-zine popupmag, inspiré par l’effectivement sublime nouvel album de no-man, « Together We’re Stranger »)

#408

Fin de journée. C’est l’heure à laquelle la lumière s’allonge.

Le soleil donnant ses plus beaux feux emplit soudain le salon d’une gloire fauve & or, le blanc du mur se gorge tant de lumière qu’il se lisse, plus aucune aspérité ; l’encadrement de la porte vibre d’un safran chaleureux ; sur le parquet emplit d’ambre la fenêtre étire son reflet d’exagérée manière, comme dans une illustration de Bézian ou d’Andréas. Chaque détail de la bibliothèque semble devenir visible, net, ardent, détaché. Table & chaises se découpent en une franche blondeur.

Buvant l’instant, je ne bouge plus du tout. C’est presque malgré moi que je tente de retenir le privilège d’un moment. Je sens avec acuité chacun de mes muscles, mes mains, mes sourcils en broussaille, la mèche qui me chatouille le front, ma respiration devenue contrôlée, un plissement de ma bouche, une ride du front — et cependant pas d’inconfort, je ne peux/veux plus bouger/parler tandis qu’en moi se soulèvent et se rabaissent de grandes vagues, des vibrations ou des émotions, je ne sais plus, j’essaye de ne pas penser, juste les frissons de la musique & de la lumière.