#504

Lu aussi: A Scattering of Jades, par Alexander C. Irvine.

Les tumultueuses aventures d’Aaron Burr ont un peu été passées par les pertes & profits de l’histoire des États-Unis, mais même cet épisode… rocambolesque, a des aspects complètement occultes. C’est du moins la thèse développée par Alex Irvine dans ce roman, qui part du postulat selon lequel la tentative (avortée) du politicien Aaron Burr (tout à fait historique, mais quasiment inconnu en France: Gore Vidal lui avait consacré une formidable biographie) pour se tailler un empire en Amérique, avait une fondation surnaturelle. Burr avait découvert des textes aztèques sur une mystérieuse relique, le « chacmool », capable de conférer à celui qui la réveillerait des pouvoirs colossaux. Burr et son allié milliardaire Blennerhassett employaient notamment un jeune homme, Riley Steen, pour rechercher le chacmool. Un jeune homme qui lors de cette quête se découvrit de petits pouvoirs magiques.

Lorsque les conspirateurs furent emprisonnés et/ou ruinés, leur complot découvert par Washington, Steen parvint à récupérer dans l’île de Blennerhassett quelques artefacts et documents. Et il jura de poursuivre la quête pour le chacmool.

Des années plus tard, c’est ce même Steen qui se trouve à l’origine du grand incendie de New York (en 1835): il avait besoin de « jouer avec le feu », littéralement, afin de brûler & capturer une petite fille, Jane, née pile à une date fatidique pour l’ordonnancement de son plan…

À partir de ce moment-là, le roman va suivre plusieurs personnages: Steen bien entendu (avec une sorte de long rappel de ce qu’il a vécu/manigancé entre la défaite de Burr et l’incendie de new York — une pratique narrative qui ‘ma semblé pour le moins maladroite, car du coup on a l’impression que l’auteur a omis de rédiger une bonne partie de son roman! On nous fait soudain référence à des événements… que l’on n’a pas vu), mais aussi Archie Prescott (le père de la petite Jane, qui est persuadé que sa fille est morte, avec sa femme, dans le grand incendie), le nègre Stephen Bishop (esclave du propriétaire d’un gigantesque réseau de caves), et quelques autres plus épisodiques, tels une petite frappe new-yorkaise aux ordres de Steen, ou un zombie assez marrant, décidé à nuire à Steen qui l’a autrefois noyé.

C’est Stephen, l’esclave noir, qui va découvrir le chacmool: une momie aztèque qui était demeurée cachée au fin fond d’une de ces cavernes que son boss, le Dr Crogan (je n’ai pas vérifié, mais je suis persuadé qu’il s’agit d’une figure historique), transforme peu à peu en véritable luna-park, avec hôtel, sanatorium et visites guidées… Sur la trace des vibrations mystiques du chacmool, Steen arrive à temps pour racheter la momie — qu’il refile à P.T. Barnum pour son musée de curiosités américaines. Peut-être n’ai-je pas bien suivi, mais j’avoue n’avoir pas compris quel était son intérêt d’ainsi se séparer de la précieuse momie, même momentanément? Enfin bref, c’est donc Barnum qui transporte la momie jusqu’à New York, mais Steen organise une récupération nocturne du chacmool, avec l’aide de petits voyous membres de forces d’une organisation étrange, la Tammany Society, qui est à l’origine de la plupart des complots et magouilles des gouvernements américains — mais qui à l’origine devait justement organiser la surveillance du chacmool, et au-delà du dieu aztèque dont le chacmool n’est qu’un avatar.

Prévenu par un clochard fumant de fièvre (agent du dieu rival de celui du chacmool), Archie débarque sur les lieux du cambriolage, juste au moment où le chacmool reprend vie, tue le veilleur de nuit, prend un aspect hésitant entre une sorte de jaguar et un homme noir, et s’enfuit finalement, échappant à Steen. Ce dernier, décidé bien entendu à poursuivre ses plans de domination magique du monde, décide d’enlever Jane — devenue une petite mendiante, couverte de cicatrices, incapable de convaincre son père qu’elle est bien Jane vivante! Steen se barre à St Louis avec la petite Jane, convaincu qu’ainsi le chacmool devra le rejoindre. C’est le cas, mais sur leur sillage suivent également un ancien associé de Steen, noyé par celui-ci et depuis voué sous forme de zombie au Lapin, le dieu de la Lune (rival du dieu du chacmool, Tlaloc); ainsi que Archie. Ce pauvre Archie a conservé une parure du chacmool, récupéré lors de la lutte dans le musée de barnum, et depuis il se trouve possédé à la fois par les esprits du Lapin (dieu de la lune) et de Tlaloc (dieu de la pluie, entre autres — c’est très complexe, tous ces éléments magiques, et pas forcément très bien mis à plat pour la compréhension du lecteur, sans parler du fait que tous ces noms aztèques illisibles ne facilitent pas la mémorisation), il a donc compris que Jane est bien vivante, et qu’il doit la retrouver. S’ensuit un long périple à travers le sud des USA, très beau, très intéressant, plein de péripéties (bateau à aube qui explose, train à crémaillère qui déraille, etc).

Et pendant ce temps le chacmool a été à St louis crever les yeux de ce présomptueux de Steen qui comptait le manipuler, fou de mortel! Il tue aussi les petites frappes à la solde de Steen, et enlève à son tour Jane, pour la conduire dans les caves dont il est originaire, avec la complicité de Stephen auquel son dieu promet un au-delà mirifique (apparemment, les Enfers aztèques étaient un splendide pays d’éternel automne).

Bon, à la fin les gentils gagnent, hein, bien entendu: les deux dieux en sont pour leurs frais, leurs pouvoirs respectifs s’annulant l’un l’autre du fait d’une inversion des rôles de Jane et de son père; ce pauvre Stephen perd son paradis promis mais reste en vie; Steen meurt bêtement.

D’un bout à l’autre, j’ai cru lire un vieux Tim Powers: même énergie assez noire, même excellent sens de l’aventure, même documentation historique mise au profit d’une fantasy… Demeurent cependant quelques faiblesses dans la construction ou l’exposition, et un aspect par moment un peu trop hétéroclite des sources (j’ai adoré l’errance à la Mark Twain d’Archie et certains des décors incroyables mis en scène — tout particulièrement la région des canaux, et le train tiré par câble qui permettait alors de franchir une crête montagneuse — mais n’est-ce pas un peu long, un peu au détriment du rythme du reste de l’intrigue?). C’est un très chouette roman, pas de doute, et son style est très beau, mais outre le défaut habituel du steampunk (peu de pertinence du propos), A Scattering of Jades me semble s’agiter beaucoup pour pas grand-chose au final…

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