#508

Week-end stéphanois (2)

Cumulant intérêts artistique & historiques, l’expo s’achève plutôt dans cette seconde option — avec notamment des affiches de Mai 1968. Le tout me frappant en fin de parcours par sa fraîcheur (je n’ai pas ressentit cette impression d’arnaque intellectuelle qui me semble exsuder de la plus grande partie du « contemporain »), mais aussi par… sa naïveté. Des utopies politiques généreuses, de belles idées sur le pouvoir de la jeunesse, beaucoup d’espoir & de joyeuse turbulence — alors que notre époque semble souvent vouée au cynisme.

Reprenant le tram dans le sens inverse, pour retourner au centre de Sainté, je le quitte pourtant assez vite. Mon oeil s’est trouvé happé par de l’industriel en déréliction — l’ancienne manufacture d’armes, semble-t-il promise à démolition, ce qui paraît un gâchis architectural. De là, je me livre à mon activité citadine favorite — ce que les situationnistes nommaient « la dérive ».

En dépit des efforts d’un maigre soleil, ces rues déshéritées ne sauraient jamais se faire riantes. Les seules fleurs sont celles qui pendent aux murs, sur les lambeaux de papier peint révélés lors de la destruction d’un taudis ou d’un autre. Les percées de verdure ne sont qu’herbes folles & buissons revêches sur les gravas. Fichu bourgeois, j’ai peine à imaginer que des vies se déroulent derrière la lèpre de ces murs souillés de suie, au-delà des volets disjoints & des couloirs enténébrés. Ma bonne humeur me sauve, mais comme il serait facile de déprimer dans un cadre aussi ingrat.

Il semblerait que le seul sursaut de Sainté date des années 1970, je ne vois rien de plus récent. La gare orange s’accroche (dérisoire tentative de modernité déjà obsolète) sur les piles en briques salies, à leur pied des mômes en uniforme frissonnent sous un ciel bas, gris, menaçant d’averse. Les voitures vrombissent sur le macadam verni de pluie, éclaboussent, s’enfuient le dos rond. La rare grâce d’une demeure Art nouveau, toute en courbes qu’on croiraient taillées dans le pain d’épice, ne rachète pas l’hétéroclite médiocrité d’une ville de bric & de broc, sans charme autre que celui de l’entassement. L’hôtel de ville fait bien des efforts, soulevant ses jupons pour abriter des arcades marchandes & se hissant sur son immense escalier, mais c’est bien tout, car même une jolie halle se trouve gâchée par les murailles disgracieuses qui bouchent son rez-de-chaussée. Du jardin des beaux-arts n’existe plus q’un vilain parking & la ruine d’une double volée d’escalier, autrefois grandiose. Beaux-arts eux-mêmes dilapidés, certainement tout à fait majestueux d’antan, avec cet air de palais bourgeois qui domine la ville de ses volutes de briques & de l’élan de ses verrières — mais que tout cela est donc fatigué, usé, grandement en manque de rénovations. Plus loin, le musée des « arts et industries » semble acculé contre la colline, son beau visage lisse indigné devant la ville vulgaire.

Portait négatif? Pas vraiment, pourtant: j’aime tant les villes que même celle-ci, ni vraiment laide ni du tout belle, juste pauvre & trop diverse, finit par m’amuser & me séduire, à sa manière. Et puis toujours je me laisse charmer par le rythme des artères urbaines, par les surprises architecturales, par le secret des porches, par la richesse des librairies, par les forêts de sapins qui envahissent les trottoirs, par les écharpes nouées par des plaisantins autour du cou de toutes les statues — sans parler de la vaste blondeur du loft de mon ami Fab, ou des hauts plafonds de chez Annie, un appart’ plein de petites merveilles du design seventies

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