#561

LEN, la suite…

Examinant en deuxième lecture le 8 avril le projet de « loi sur la confiance dans l’économie numérique », le Sénat, en plein accord avec notre cher gouvernement, a confirmé toutes les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale en janvier dernier — à l’exception, tout de même, de l’obligation générale de surveillance des contenus par les hébergeurs… Pour cette dernière disposition, la nécessité de conformité à la Directive européenne et la probabilité de poursuites pour violation de la législation européenne a prévalu, de même peut-être que les menaces des intermédiaires techniques, qui avaient argué de l’aspect économiquement insupportable d’une telle disposition. Tout le reste est hélas confirmé, malgré les efforts de certains sénateurs, notamment ceux du groupe communiste. Compte-rendu complet: ici.

#560

Lu: Fitcher’s Bride de Gregory Frost.

Lors du décès de son épouse, Mr Charter est d’abord passé par une période d’intense abattement, puis il a commencé à fréquenter les cercles spirites et les clubs ésotériques de Boston, jusqu’au jour où il a rencontrer une femme, Lavinia, fanatique d’un prêcheur charismatique, le révérend Elias Fitcher. Devenue la nouvelle épouse de Charter, et possédant les seuls revenus du ménage, lavinia persuada son homme de déménager — pour aller habiter dans un coin perdu, où le révérend Fitcher a bâtit toute une ville, une utopie: Harbinger. Avec son épouse et ses trois filles (Vernelia, Amy et Kate), Mr Charter abandonna donc tout son passé et quitta Boston pour la sauvage région de Harbinger. Là, la famille se trouve chargée par le révérend de veiller sur la barrière qui ouvre symboliquement sur le passage vers Harbinger — la communauté utopique de Fitcher, nichée sur un vaste terrain quasiment isolé du reste de la région par les gouffres qui l’entourent. La famille Charter loge dans une jolie eptite maison, à l’écart du village, une maison dont les propriétaires originaux ont mystérieusement disparus. Et non moins mystérieusement, ils emblerait qu’un fantôme existe dans cette maison, une sorte de poltergheist qui frappe dans un des murs de la chambre des trois filles. C’est l’aînée, Vern, qui l’entend le mieux – elle dit même que l’esprit lui parle directement. Pour lui promettre un prochain mariage.

Pour pénétrer à Harbinger, seul un pont enjambe l’abîme sauvage. de l’autre côté, la communauté étend ses demeures, ses chapelles, ses moulins, ses forges, ses champs, etc. Le révérend lui-même vit dans la maison principale, une belle et grande demeure de style pionnier, que domine assez étrangement, à l’apex de l’escalier principal, une grande verrière de forme pyramidale. Le révérend Fitcher annonce la Fin du monde: Dieu lui promettait depuis longbtemps que la fin approchait, et c’était la raison des tournées de prêches du révérend sur la côte Est, mais voici soudain que Dieu lui a parlé, en lui donnant la date précise de la Fin: dans quelques mois, le 18 octobre prochain. Si la Fin approche, alors, il faut que le révérend ait une épouse à ses côtés, lui si bel homme, si charismatique, et qui pourtant est toujours célibataire! Il demande donc à Mr Charter la main de sa fille aînée, Vern.

Vernelia s’installe à Harbinger Hosue, et prend en charge la fabrication des bougies pour la communauté – puisque le couple qui les fabriquait s’est donné la mort. Car les suicides ne sont pas rares dans la communauté – on chuchote même, loin des oreilles du révérend, qu’un Ange de la Mort roderait, un sombre démon, qui décimerait les rangs des fidèles!

La nuit de leurs noces, Fitcher fait à Vern un étrange cadeau: un oeuf en porcelaine, qu’il lui fait jurer de toujours porter avec elle, quoi qu’il arrive. Puis durant la nuit, il la viole brutalement. Et ainsi presque chaque nuit, alors que Vern succombant à la fatigue ou à une torpeur inconnue, sombre tous les soirs dans une semi-inconscience. Est-ce vraiment son époux, le révérend, qui la tourmente ainsi, vient violer sa chair chaque nuit, ou bien un double, un démon l’Ange de la Mort peut-être?

Les derniers jours approchant, le révérend décide qu’il lui faut sauver plus d’âmes, il part donc de nouveau en croisade, pour aller prêcher la Fin du monde sur la côte est, en compagnie de ses fidèles Mr et Mrs Charter. Avant de partir, il confie à Vern son trousseau de clefs, tout en lui faisant promettre de ne surtout jamais utiliser la petite clef en verre: cette porte lui est interdite! Bien entendu, Vern cède à la curiosité, pénètre dans la pièce qui s’ouvre avec la clef de verre… Et découvre un atroce carnage, une piège de sang et de mort, où sont les corps décapités de nombreuses femmes. Lorsque le révérend revient, il découvre aussitôt que l’oeuf de Vern est devenu incarnat – et la tue dans la pièce maudite!

Prétextant que Vern s’est enfuie durant son absence, Fitcher demande la main d’Amy Charter. Même scénario avec l’oeuf, sauf que cette fois plutôt que des vciols se sont des séances de sado-masochisme, avec Fitcher administrant chaque nuit des coups de fouet à Amy, puis la guérissant par le pouvoir de l’oeuf en procelaine qui roule sur son dos. mais lorsque le révérend s’en va à nouveau en prêche lointain, Amy pénètre elle aussi dans la pièce maudite – et se fait tuer elle aussi par le révérend à la hache!

Fitcher épouse la troisième et dernière soeur, la rebelle Kate, qui ne s’en laisse pas compter: peu croyante, elle n’a pas tellement peur du révérend. D’emblée elle refuse toutes relations sexuelles, prétextant que puisque la Fin du monde est pour dans quelques jours, ils devront attendre pour savoir si leur union n’est que pur désir charnel, ou consacré par Dieu lui-même. Furetant partout, Kate décide de monter à la pyramide de verre – et découvre que de là, on peut voir tout dans la vallée, littéralement tout: la structure provoque un effet de vision totale. Et lorsqu’elle prononce un début de prière, Kate se trouve soudainement projetée dans un espace sombre, terrifiant, qui ne peut pas, non, impossible, ce ne peut être Dieu?! Et Fitcher ne s’est-il pas rendu compte que Kate l’observait depuis la pyramide? Apparemment pas, pusiqu’il n’y fait pas allusion. Séduit par cet esprit fort, Fitcher a accepté les manières un peu vives de Kate, d’autant que de toute manière il commence sérieusement à être débordé: l’afflux de pélerins ne cesse plus, la vallée protégée d’Harbinger déborque presque, la communauté ne sait plus où loger toutes les familles qui se précipitent toujours plus nombreuses sur les terres du révérend Fitcher afin d’être sauvées!

Jusqu’au drame: le pont s’effondre, tuant de nombreux pélerins. Lors de ce drame, Kate pénètre dans la pièce maudite – mais elle a au préalable posé l’oeuf sur son lit. Lorsque Fitcher l’observe, pas trace de sang et l’oeuf n’est pas devenu incarnat: il est ravi, croit qu’enfin il a trouvé une fille d’Eve qui n’est pas impure!

D’assez lent, presque contemplatif au début, en typique roman de moeurs et roman historique sur les pionniers et sur le phénomène des sectes apocalyptiques et utopiques du XIXe siècle étatsunien, servit par un style splendide, Fitcher’s Bride fait monter peu à peu la pression, insidueusement d’abord, très habilement, puis de plus en plus visiblement à mesure que les dernières pages – et donc la Fin du monde annoncée, approchent.

Jusqu’à la Dernière heure! Durant laquelle Kate observe depuis la pyramide qu’une forme grise, spectrale, tue Lavinia – avec la voix du poltergheist de la maison de la barrière, cet esprit qu’elles avaient cru être un ange et qui n’est en fait que cet Ange de Mort que la communauté redoutait tant. Un Ange de Mort au service de Fitcher, qui détruit Lavina son esclave. Redescendant, Kate se décide à réunir les corps de ses soeurs, remettant leur tête sur leur torse. Et devant ses yeux, les deux soeurs décapitées reprennent vie. Elle les fait s’échapper de la maison, puis sort elle-même – mais les gens réunis en prière et en panique (la Dernière heure a sonné!) ne la reconnaisse aps, et lorsqu’elle se voit dans un miroir, elle voit un ange, lumineux, couvert de plumes! Fitcher demande à savoir pourquoi Il n’est pas venu Lui-même, pourquoi a-t-il envoyé ce que Fitcher pense être un ange? Et où est donc sa promise, sa vierge épouse? L’ange Kate conduit Fitcher dsans la pièce maudite, où les corps des autres femmes tuées s’emparent de lui. Ressortant, l’ange Kate appelle les fidèles à se libérer, à franchir les portes (alors qu’ils pensaient au contraire être saufs à Harbinger et non pas prisonniers), et met le feu à la maison du révérend. Puis guide avec ses soeurs, également angéliques et lumineuses, la foule hors de Harbinger, sous une voûte étoiles inchangée, une nuit apparemment ordinaire. Le monde n’est pas fini.

Un roman étrange, pour le moins, et une fin relativement ouverte, très étrange – mais fort bien menée, car il n’est pas aisé de gérer une telle pression, et de tels événements inexpliquables. Mon seul regret: le motif de Barbe Bleue est un peu trop évident lorsqu’enfin il apparaît (vers la fin), et trop littéralement exposé, sans adaptation en dehors de son cadre historique. poiur le reste, il s’agit de toute évidence d’une très belle oeuvre, captivante et séduisante, subtile et formidablement bien écrite.

#559

J’aime bien, lorsque le printemps vient & que les jours commencent à s’allonger, ce moment en fin de journée durant lequel imperceptiblement décline la lumière.

Le jour se fait alors d’un bleu de plus en plus soutenu, tandis que dans la maison les lampes commencent à devoir être allumées. Le temps d’une petite demi-heure, ce bleu-très-bleu rivalise & joue avec les mares d’un jaune brillant de l’électricité, tout l’appartement s’équilibre entre bleu & or.

#558

« En cas de tempête, les parcs seront fermés » — Paris, noté le lundi 5 avril:

Hier, matinée d’écriture intensive, je me sentais en harmonie avec le monde, la lumière du soleil coulait à flots caressant par les larges fenêtres. Un accoprd existentiel fugace, qu’il faut vite saisir, écrire avec le bonheur au cœur & le style qui file vite-vite sur le papier.

Vers 15h Johnny a eu envie de sortir se balader, je l’ai donc accompagné. Institut du Monde Arabe: un puits vertigineux par le jeu des droites, des câbles, des poutres, tout un enchevêtrement vertical d’une haute technologie sombre, oppressante. L’ascenceur transparent file vers le sommet & je crois me trouver dans une scène de l’Armée des 12 singes. Panorama somptueux depuis la terasse, examen rapproché des moucharabiehs mécaniques (fonctionnent-ils encore?) & de leurs arabesques d’ombre & de lumière sur le sol, puis nous replongeons à bord d’une cage de verre.

Jussieu en ruines, le Jardin des plantes en fleurs. Belle idée que d’être venu à Paris en ce début de printemps! Un géant de cerisier du Japon tort ses gros doigts noirs & tend ses bras anguleux sous la coupole légère de ses milliers de fleurs blanches. Jean photographie des fleurs, gros plan, rouges, roses, blanches, ivoires… Un petit tour par les arènes de Lutèce puis nous dérivons à pas nonchalant autour & en-dessous du panthéon. Halte patisserie tunisienne puis limonade grand luxe, avant de rentrer toujours à pas lent. Le ciel tumultueux fut beau, réellement: non pas bleu franc, ennuyeux de monotonie, mais emplit d’épais nuages, de volutes grises ou blanches, de torqades noires é de bonheurs bleus. Un ciel du nord, mouvementé, toujours en événement.

Aujourd’hui: expo « Perret, la poétique du béton », à la Porte Dorée. Les ateliers d’Auguste & Gustave Perret, l’obsession des tours, le béton sculpté, la reconstruction du Havre… Et toujours, malgré la beauté plastique des projets présentés, la tristesse des résultats, une architecture années 1950 trop souvent imitée, trop souvent médiocrisée, j’ai beaucoup de difficulté à considérer même les plus belles réalisations des fifties (Le Havre de Perret, mais aussi Royan, par exemple, sur laquelle j’ai feuilleté l’autre jour un bel album). Le béton s’enlaidit si vite & les droites gracieuses ennuient tant, en définitive… Perret génial, sans doute, mais j’hésite entre admiration & irritation.

Mon intérêt pour Perret demeure purement intellectuel, tandis que je trouve un vrai plaisir à considérer fresques & bas-reliefs du Palais des Colonies lui-même, folie années 1930 à l’irrésistible kitsch exotique. À gauche de la porte, c’est Bordeaux qu’on célèbre: St André, la porte Calhau, la Garonne, les grappes de raisin autour d’une figure féminine assez voluptueuse.

En bas des marches grises, les palmiers grelotent. Passent des chevaux pomponnés, porteurs de soldats, brillants & empanachés. Sans doute se dirigent-ils vers les Champs-Élysées, où Elizabeth II doit venir cet après-midi. Frissonnant, je rentre de nouveau, descend voir les aquariums. Humeur maussade comme le temps, des bourrasques de solitude: l’enivrement de savoir toute une ville libre pour les exploration cède le pas devant l’envers du regard-roi. Il en va toujours ainsi, n’être qu’une caméra me glace peu à peu… Au fil des jours de voyage, l’excitation initiale d’une promenade urbaine se macule insidieusement d’une vague lourdeur, d’une tension née de l’éternel exil en soi-même. « Je manque de soleil », s’agite le poisson des profondeurs.

Pigalle avant de rentrer à Lyon: je voulais voir l’expo Rouart au musée de la vie romantique. Las, contrairement à la majorité des musées, celui-ci ferme le lundi & non le mardi. Too bad. Enfin, puisque je suis dans les parages autant retourner à pied chez Johnny, ce sera l’occasion de grimper Montmartre. Je me fais rire tout seul: la rue Lepic, il faut que je vois la rue Lepic, bon sang mais c’est bien sûr! Ignorants des « Nuls », passez votre chemin: Jean Meyrand, l’artisan de la chanson française!?Non? Si: la rue Lepic, donc, en escaladant la colline par le côté. Avant que de redégringoler ensuite par les immenses volées de marches. Fin de séjour, le vent est froid, le ciel est blanc.

#557

« En cas de tempête, les parcs seront fermés » — Paris, noté le samedi 3 avril:

Prétérition: je ne dirai pas que mon oncle m’a réveillé ce matin avec un thé infâme. Franchement, mais que fait la CRIRAD? Ce fichu « Lipton Yellow » tombe certainement sous le coup des législations anti-radioactivité. En revanche, l’album que Jean me fait découvrir adoucit singulièrement les moeurs — un mélange groovant de soul, jazz & rap (« RH Factor »).

Johnny m’a trouvé dans un bouquin des précisions sur la Rotonde de la Vilette: il s’agit de l’une des quatre barrières existant encore, de l’ancien Mur des fermiers-généraux (qui marquait une frontière fiscale). Et pas étonnant que je fus si séduit: c’est un bâtiment de Claude-Nicolas Ledoux! D’où cet aspect d’utopie classique qui m’avait séduit (NB: Ledoux fut notamment l’architecte de la Saline royale de Chaux, l’un des rares exemples d’utopie réellement construite).

Je reprends donc le même chemin que jeudi, afin à la fois d’à la fois approfondir ma vision de ce parcours (il me semble toujours bon de revenir sur des lieux de manière à une meilleure exploration, une appréhension un tant soit peu moins superficielle grâce à des heures & des humeurs différentes) & de mieux prendre le temps de regarder la Rotonde, ainsi que d’en explorer les séduisants environs. Un parcours qui semble retracer une certaine forme de désintégration urbaine: depuis Marcadet-Poissonniers jusqu’à la place Stalingrad en passant par Barbès, le marcheur effectue une coupe en biais des strates de la paupérisation. Population mêlée des alentours de la rue Ordener & immeubles classiquement parisiens, mais déjà une forte présence « issue de l’émigration », comme diraient les journalistes en faisant usage d’une de ces belles tournures hypocrites dont ils ont le secret.

Puis la descente vers Barbès, confusion populaire & immeubles bas, les étals des épiceries arabes, les bazars aux vitrines opaques à force d’amoncellement d’objets dérisoires, les vendeurs de cartes téléphoniques prépayées en direction du Maghreb ou de l’Afrique noire, les petites boutiques d’autrefois survivant encore derrières des devantures frileuses, les ruptures vertes de quelques squares & une foule bigarrée, le petit peuple des gens ordinaires.

Enfin, entre les deux emprises ferroviaires du Nord et de l’Est, tout le long du boulevard de la Chapelle, la déréliction terminale d’immeubles rugueux, boîteux, borgnes si pas aveugles, des rideaux de fer couverts de tags déjà estompés, la descente périlleuse de gouttières crevées de rouille… C’est le dernier état de la pauvreté, des façades en lépre qui ne considèrent plus le métro aérien qu’avec le désespoir de bâtisses promises à une destruction prochaine. D’ailleurs, ici & là, déjà, des terrains vagues s’exhibent comme les dents creuses d’un quartier en cours d’effondrement, l’herbe folle & les ronces ayant commencé à remplacer une humanité précaire & basanée. Sur les barricades, un désordre d’affiches électorales appelle à voter pour les présidentielles — d’Algérie. Partout, de petits autocollant jaune fluo proclament un complot hospitalier contre les junkies sans défense, revendus à des laboratoires d’expérimentation illicite. Je songe aux bouquins de Roland C. Wagner: je pourrais croiser ici Kerl, Tem ou Ramirez. Des années durant, RCW a puisé à cette dureté urbaine la matière de son imaginaire, les balafres des graphitis & l’odeur des rues.

La Rotonde: si elle semble si pimpante, c’est qu’elle fut partiellement reconstruite dans les années 1960 & restaurée dans les années 1990. Je pousse un peu plus, sur les quais du canal de l’Ourcq. MK2 y a bâtit un beau cinéma, dont l’allure simple alliée au bâtiment de l’administration fluviale, à ses côtés, confèrent à ce bord d’eau une tranquille nonchalance, une grâce esthétique & bonne enfant. Quatre colonnes noires, près du mur de l’espace de la Rotonde, renforcent l’austérité palladienne de ce rêve de Ledoux.

Tournant les talons, j’emprunte les bords du canal St Martin, en mordant à belles dents dans un donner kebab (mon péché mignon). Halte sur un banc au ras de l’eau, pour écrire un peu, une scène qui me trottait en tête depuis hier. Il me faut ainsi alterner le pur regard, « I am a camera », avec une activité de création intellectuelle, afin d’essayer d’équilibrer en moi cette manière de pulsion vers le superficiel, l’observation du monde sans le pénétrer, sans le sentir ni le toucher, avec un apport me semble-t-il plus profond: raconter des histoires pour participer au monde & combattre la solitude. Mais une levée du vent me chasse devant ses ailes froides. Les fleurs roses & blanches des arbres tremblent doucement, la surface du canal se plisse comme une toile huileuse, d’un vert olive dans lequel se reflètent les teintes pastelles d’une série de devantures, au tournant du quai de Valmy. Son du printemps, les chants d’oiseaux trillent alentours. Un bref crachin me pousse vers un bistrot, halte chocolat chaud & fin de la rédaction de ma scène. À un olibrius grisonnant & marmonnant (« C’est de leur faute, de toute façon! » — un traumatisé des élections?) succèdent deux gros hommes en manteau noir, qui commandent steacks & lentilles. Une beurette rit aiguë. Les WC sont payants: vingt centimes!

Descente vers la Bastille par les jardins qui, au centre du boulevard Richard-Lenoir, remplacent le canalm devenu souterrain. Je n’aime jamais tant la nature que lorsqu’elle est à ce point maîtrsiée, tamisée, calculée, designée; ici comme au parc de Bercy, le paysagisme années 1990 se trouve à l’oeuvre, d’une élégance épurée qui m’est si familière que je sens y appartenir — comme un citoyen du début du XXe aurait pu se sentir « appartenir » à l’Art Nouveau ou, plus tard, dans les années 1920 ou 30, à l’Art Déco…

Crochet par le Marais, puis la Bastille: j’ai découvert dans un Time Out Book of Paris Walks que mon copain J.D. Brèque y avait proposé une promenade. Et originale avec ça, pas simplement un parcour mais la découverte d’un espace à part, comme je les aime: la « Promenade plantée ». Sur les arcades de l’ancien chemin de fer, le long de l’avenue Daumesnil, un chemin serpente à hauteur des 3e ou 4e étages. Entre les buissons fleuris & le buis taillé, avec des banc réguliers & d’occasionnelles passerelles en bois, la « promenade plantée » glisse, fluide, hors tumulte.

Presque jusque la Porte Dorée: la « petite ceinture », elle, n’a toujours pas été transformée de pareille manière — dommage, vraiment. L’arc de cercle du square Charles Péguy s’achève donc sur une grille blanche, en prévision de futurs aménagements verts.

Fonctionnariat: les musées ne sont pas comme les commerces, ils ferment tôt. je suis donc arrivé trop tardivement à la Porte Dorée pour pouvoir visiter l’expo Perret. Tant pis, je reviendrai. Faisant demi-tour, je reprends en partie la « promenade plantée », avant de bifurquer vers Nation. Ce sera l’occasion de voir une autre des barrières survivantes: les deux colonnes du Trône. Arrivé cette fois un peu trop tôt pour un rendez-vous, je pénètre dans un pub irlandais. Une mouette criaille dans le ciel gris: Paris-sur-Mer?