#626

Sans doute à la faveur de la chaleur estivale, si ce n’est à celle de mon absence, un extraterrestre a poussé dans le salon.

Ce petit homme vert développe deux longs tentacules de la même teinte au-dessus du téléviseur, qui crochent l’air immobile de l’appartement. Et sur ces deux membres tendus, d’autres petits bras s’étagent régulièrement, d’abord enroulés serrés puis s’ouvrant comme dans un geste d’impuissance.

C’est au centre d’une sorte de palmier, acheté chez Ikéa, que naissent ces étonnantes excroissances. Je m’interrogeais justement sur la survie de la plante, me voilà rassuré: il doit s’agir d’une forme de floraison, supposè-je. Deux hampes telles des fougères, incongrues et ondulantes.

#625

The Crow Road

Pourtant, d’habitude je n’apprécie guère les bouquins de Iain (M.) Banks, mais là… Sans l’initiale « M. » qui désigne chez lui sa production science-fictive, The Crow Road est un de ses romans de « littgen », déjà un peu ancien. Je m’y suis plongé. Et n’en suis pas ressorti indemne.

Les McHoan, famille écossaise aisée du petit village de Gallanach, a une tradition d’excentricité. Si de père en fils la famille connaît ce que Margot, vieille dame indigne et pilier familial, nomme le « pivot », c’est-à-dire l’homme qui dirige la famille ainsi que l’usine de verre locale, les autres enfants McHoan se trouvent tous des vocations plutôt intellectuelles et originales: l’oncle Rory est devenu travel-writer suite au succès de son journal de voyage en Inde, du temps des hippies; son frère Kenneth est devenu écrivain pour la jeunesse, en rédigeant les multiples contes qu’il inventait pour les enfants de la famille et du voisinage (qu’en ancien instit il aimait amuser et occuper); l’oncle Hamish a mis au point une hérésie chrétienne basée sur de fumeux concepts de balance et rétribution des péchés; quant au jeune Lewis, il devient comédien, humoriste, passe dans des salles pour son one man show.

Prentice en revanche ne sait pas trop ce qu’il veut faire de sa vie: narrateur-pivot de l’intrigue de The Crow Road, il est étudiant en lettres classiques mais va rater son annéer universitaire par manque de motivation. Revenu dans son village natal pour les funérailles de la matriarche Margot, qui vient de se tuer en passant à travers la varrière du solarium, parce qu’elle était monté sur une échelle afin de nettoyer les goutières, Prentice ne parle plus à son père depuis une brouille sur des questions d’ethique (Kenneth est un athée forcené, tandis que prentice voulait tout simplement la liberté de douter). Il retrouve en revanche sa belle cousine Verity (sur laquelle il craque depuis des années), l’oncle par alliance Fergus Urvill, seigneur du château de Lochgair, sa copine d’enfance Ashely Watts et son frère Dean, plus toute la ribambelle d’oncles et de tantes… « It was the day my grandmother exploded », commence le roman: l’ambiance est posée, mi-chronique sociale mi-humour noir, dans une sorte de Six Feet Under ou d’Anif Kureshi écossais. L’explosion en question étant celle du peacemaker de la grand-mère, qui détonne lors de l’incinération.

Si le récit de Pretince se fait en « je », il n’est pas le seul, puisque s’accumulent les chapitres (courts) qui mènent le lecteur dans une mosaïque d’époques différentes, mettant en scène soit grand-mère Margot dans ses derneirs temps, soit Margot mariée avec son époux, soit les enfants de Margot (Kenneth et Rory) dans leur jeunesse, ou Kenneth et Rory dans leur maturité (Kenneth racontant des trcus amsuants et éducatifs aux enfants, Rory de retour d’Indes), ou encore Lewis et Prentice enfants. Et, plus étranges, quelques chapitres rédigés en italiques, mettant en scène l’oncle Fergus Urvill et son entourage, avec Rory.

Et loin d’embrouiller le lecteur, cette conception non-linéaire de l’histoire, une marche du temps considérée non pas comme un fil mais comme des relations complexes de cause à effet (à la manière dont on construirait une étude littéraire non pas de la manière biographiste mais thématique), brosse avec un dynamisme remarquable passé et présent de la famille. Attachante et passionnant famille, avec ses drames et ces fêtes – car nombreuses sont les réunions familiales mises en scène, bien sûr, où les castings aux générations mouvantes fêtent des Noëls, des unions ou des anniversaires. Ou quelquesfunérailles, car cette famille semble connaître un certain nombre de drames au cours des années. La prose de Banks est vive, lumineuse, tendre, amusée. Sophistiquée mais pourtant si accessible. Les personnages prennent chair avec un réalisme chaleureux, on s’attache à chacun d’eux. Et petit à petit se met en place une tension, un mystère: qu’est devenu Rory, et pourquoi a-t-il disparu? Prentice se met à vouloir retrouver l’oncle manquant, que son père Kenneth semble persuadé d’être toujours en vie. Papiers retrouvés en eprdus, bribes de récits et de poèmes, agendas rédigés en notes abrégées, bout de pochettes d’allumettes venues du monde enteir, journaliste ayant peut-être croisé Rory, quelques pistes se font ainsi jour, furtives, difficiles à suivre et même à saisir.

Pour faire 500 pages, ce roman n’apparaît pas spécialement long: au contraire, on en redemanderai presque – je regrette par exemple que rares soient les chapitres consacrés à l’indomptable Margot, ou ceux sur au jeune artiste Darren, mort prématurément dans un accident de moto. D’une diabolique intelliegence, Iain Banks mène sa narration en distillant à plaisir indices et moments de tension, noirceurs et lumières. A la fois bouleversant et très drôle, le genre de bouquin qui aprvient à vous arracher des larmes de rire tout en vous tordant les tripes, The Row Road s’achève sur deux derniers drames, et sans que l’on sache exactement qui était le tueur, si tueur il y avait, l’intrigue se résout. Le mystère Rory est bouclé, et la vie sentimentale de Prentice connaît une ouverture.

Ce roman est extraordinaire, il y avait longtemps qu’une oeuvre littéraire m’avait autant parlé, autant captivé. Remué, vraiment. La structure familiale, les aspirations intellectuelles, la tradition de merveilleux enfantin, les troubles sexuels… J’y reconnaîs tout, cette familel me aprle, ses rituels, ses dérives, les interrogations de Prentice… L’ensemble acquiert une pertinence brillante. Comme dans un roman de Nigel Williams – mais en moins léger -, comme dans un Ishiguro – mais avec un humour piquant – et comme dans une saga familiale d’Anif Kureishi – mais en moins gentil. De la pure littérature britannique actuelle, donc, clanique, sarcastique, tordue, et avec les idiosyncrétismes typiques de l’auteur: les accents des personnages sont rendus dans l’orthographe (et dieu sait qu’il sont un épais accent, ces Écossais!) De même qu’une série comme Queer as Folk tend à vous donner l’accent de Manchester, on ressort de The Crow Road en ayant pris le rythme des « och » et « aye ». Il y a également moult abréviations et passages phonétiques, jamais gratuits mais bel et bien au service du texte. Quant au style, il est superbe, d’une finesse admirable.

Un grand, un très grand roman.

#624

En pays de Giono, Magnan, Cézanne…

Couleurs: gris argent des oliviers, mauve sombre des lavandes fraîches, jade éteint des lavandes coupées, sinople sombre des ifs, brun contorsionné des pins maritimes, zinc oxydé des chênes-verts, ocre brûlé de la terre, blond doré des blés…

Matières: épaisses torsades des ifs, miroitements des chênes-verts, griffures de la poussière, émiettements azurés de la Durance, pâte glauque de la retenue, rides du velour émeraude des flancs du Lubéron, zébrures des champs moissonnés, cylindres des pailles en meules — alignées comme des dominos surréalistes…

Mouvements: le Mistral en tempête, les nuages en ruées, la fumée des incendies en anthracites souillures, l’agitation des cimes d’arbres, et une feuille affolée qui tourne, tourne, tourne…

Pierres: épaules énigmatiques du prieuré troglodite, Rogne orangées des belles demeures d’Aix, habitations humaines comme cuites dans la glaise, les murs presque indistincts de la tuile des toits —bastides, boudis, forts, tours, prieurés, fermes…

Sons: en pleine nuit, un clocher dont je n’arrive pas à discerner la logique — impression d’entendre les premirèes notes de « The Division Bell » du Floyd; partout, le grésillement des cigales; dans ma tête, des rbibes de Paatos et de marillion qui tournoient; dans la maison, la sensualité de Monk & Coltrane, ou bien la tristesse de Marc Perrone.

#623

Bref retour dans la fournaise lyonnaise, après un éprouvant périple ferroviaire. Le respect des horaires n’est jamais que l’exception, pas la règle.

En attendant un week-end provençal, hors connexion.

Dans le TPV, lecture de Scream for Jeeves par P.H. Cannon (1994), épatant et amusant recueil de trois nouvelles parodiant tout à la fois Wodehouse, Lovecraft et Doyle. That’s swell, old chap. Quite eldritch, but jolly old good, indeed.

#622

J’ai vu le cimetière où les barbapapas se cachent pour mourir. Sur la rive droite de Bordeaux, en pleine réhabilitation depuis une poignée d’années, non loin de l’ancienne gare d’Orléans (maintenant devenue un complexe cinématographique), des parcs et jardins poussent leur verdure – et là, dans une zone pas encore tout à fait redéveloppée, peuvent se contempler les ossements de défunts barbapapas. Comme des sortes de bulles grises, dans lesquelles se découpent fenêtres et ouvertures diverses autant que géométriques.

Un peu plus loin, de très hauts ventails en fonte découpées de motifs à la Matisse ouvrent sur le nouveau jardin botanique. D’abord des prés et champs en extraits, tels des morceaux de paysages prévelés puis redéposés dans des bassins, au sein de la pelouse du jardin que strient des barres de piertre à peine affleurantes. Typique de la nouvelle poétique / esthétique des aménagements de jardins publiques, cet espace botanique tout neuf rappelle par sa plantation architecturée et ses jeux de matière le parc de Bercy, à Paris, ou celui de Gerland, à Lyon. En plus encore recherchée, son inventivité est admirable: après les extraits de paysage, ce sont des vasques de pierre, posées comme de véritables érosions, qui abritent en leur coupe chacune un exemple de micro-écologie littorale, dunes, oyats, panicauds, pins martimes, chênes verts et bois flottés.

Sur une autre pelouse, face aux cornouillers douteux (du Japon), les tuteurs et piliers des plantes grimpantes prennent des formes évocatrices des modes d’accroche des différents végétaux. Puis un plan d’eau se découpe en rectangles mondrianesques, pour laisser affleurer par parcelles liquides nymphéas, iris, joncs ou nénuphars.

L’après-midi finissante, nos pas traînent vers le quartier Saint Michel, par des rues où l’air ne se meut plus, les seuls vents coulis soufflants des soupirails. La flèche de Saint Michel se ré-encrasse déjà un peu, tandis que seul un proche de l’église est maintenant nettoyé. Qu’importe: je préfère la fière dentelle de cette flèche-ci, campée sur le basculement maîtrisé de ses arcs-boutants, plutôt que la flèche de sucre blanc, presque trop nette, de Pey-Berland où étincelle une madonne rutilante sur les filets blancs du ciel pensant de moiteur. Les garçons de par les rues se dépoitraillent volontiers, ont généralement cet aspect lissé que confèrent sueur et lumière d’été, un minou devant « L’Antre des dragons » laisse à voir ses tétons jolis à travers le filet rouge de son maillot. Trop chaud, je vous dit, il fait trop chaud. A blanc, le vaste azur bordelais pèse sur les pointes hérissées des portes (Cailleaux, Bourgogne, etc), des églises (Saint Eloi, Saint Paul), des clochetons de palais bourgeois et de la Grosse cloche. Les grattent-ils? Peu chatouilleux, le ciel de Bordeaux sait bien qu’il domine sans partage les maisons basses et la si large Garonne.

Demain à l’aube, retour vers Lyon, avant de courir vers la rousse Provence.