Villégiature azuréenne (fin)
Cela fait deux matinées de suite que je rêve de Raoul Dufy. Pas de l’artiste lui-même (dont je ne sais pour ainsi dire rien), mais de sa « patte », de l’esthétique toute particulière qu’il savait donner à ses toiles. Et Dufy peignit Nice, bien entendu — déception, pas trace d’un Dufy dans aucun des musées que je visitai ici. Mais pour autant la ligne grêle & les couleurs décalées de Dufy semblent me hanter, influencer sur ma vision de cette ville.
La collection est affligeante, l’écrin demeure superbe: en dépit de l’orientation du MAMAC je ne peux qu’admirer le principe (& l’architecture) de cette enclave culturelle au sein de la ville, un long terte rouge & blanc sur le dos duquel sillonne le pelouse en zigzag. Nous visitâmes la bibliothèque, également très belle & enfouie sous le complexe, puis allâmes nous perdre chez les nombreux bouquinistes & libraires de livres anciens du quartier. Chapeau au sinistre marchand qui, non content de ne pas accepter la carte bancaire, tenta de me flouer d’un billet de 10 euros. Les autres s’avérèrent sympathiques & terriblement bavards, ainsi qu’assez accomodant sur les tarifs, ce qui est plutôt plaisant. Ah, & puis j’allais oublier: un tour émerveillé dans la boutique quasi-musée d’un spécialiste du jouet ancien en métal. Petites voitures, fusées, bateaux, automates, figurines de toutes sortes, la féerie du monde de l’enfance qu’une ardente nostalgie protège dans des vitrines. Nous venions de regarder Toys Story 2, le rapprochement me fit sourire.
Aujourd’hui, dernier jour niçois, se trouva essentiellement placé sous le signe des admirations architecturales, ainsi que de la « rando urbaine », qui lui est forcément concomitante. Après l’effarement passablement horrifié d’un échangeur autoroutier en pleine ville, vint la grâce orientale de l’église russe. S’y rejoignirent ma gourmandise dix-neuviémiste & mon attirance pour la Russie. La candeur des or en dentelle, le faste des turquoises & des verts, les quatre bulbes chapeautés d’un croissant & d’une croix, la structure en bourgeons carrés (comme une pierre de pirite, me rappela Ugo), l’entassement des demi-cercles au ras de la coupole comme autant d’yeux chez un archange — une telle architecture submerge son spectateur, l’amuse & l’étonne. Derrière ce monument s’élève une chapelle bien plus modeste & d’architecture baroque très retenue, le tombeau du Tsarévitch (le fils aîné d’Alexandre II, mort à Nice à l’âge de 21 ans). Surplombant cette portion de Russie en terre d’azur, un castel mauresque des années folles met la dernière touche au dépaysement.
Des hauts & des bas de notre chemin (Nice n’étant pas ville plate) émerga ensuite, au gré d’une promenade un peu hasardeuse mais toujours séduisante (tant de beaux immeubles! Mais pardon: ici l’on dit des « palais », en adaption du terme italien de palazzo), l’église de Sainte Jeanne d’Arc, visionnaire création toute blanche & béton, des oeufs que domine la spirale d’un clocher torturé. Une pure création des recherches architectoniques fifties (ici signée d’un certain J. Droz). Et puis: la Poste centrale, immense muraille de brique ouvragée selon les plus belles règles de l’Art déco, que ponctuent des mascarons parfaitement épurés – on jurerait quelques super-héros d’antan (signés Guillaume Tronchet). La gare tout près, classiquement « Orsay », & le théâtre, classiquement… classique. Quelques bouquinistes encore soulignèrent ce parcours citadin, sous un jour délicatement ambré.