#898

Beautiful, Paris (3)

Marathon d’expos: il semble y avoir à Paris des expositions d’art moderne en rangs toujours plus nombreux, qui me passionnent et que j’essaye, en profitant de mes régulières montées à la capitale, de ne pas trop manquer, car la plupart du temps il s’agit d’occasions uniques de voir de mes propres yeux les oeuvres originales plutôt que des reproductions. Et l’offset étant ce qu’elle est — à savoir, l’un des nombreux exemples de l’imposition monopolistique par le jeu capitaliste d’une technologie qui n’était pas à la base la meilleure que l’on puisse proposer (tout comme les cassettes VHS en vidéo ou Windows en informatique) — les repros ne sont que trop rarement fidèles à l’oeuvre, et toujours inférieures en matière, lumière et vibrations — en émotions! En cela, l’exposition sur Klimt et ses contemporains m’a semblé exemplaire: les ors et les aplats de Klimt sont incomparablement plus vivants, plus puissants, que toutes les reproductions que j’ai jamais vues.

Nous commençâmes cependant par un art et une culture qui me tient à coeur depuis une poignée d’année: la Russie. Présentée à Orsay, une sélection fascinante de grandes oeuvres de la fin XIXe-début XXe, certainement jamais sorties auparavant des musées de Moscou et Saint-Pétersbourg. Je lis beaucoup sur la Russie, depuis que j’ai eu l’idée saugrenue de construire une uchronie russifiée. L’art récent de ce grand pays m’a particulièrement passionné, dans sa redécouverte de ses propres racines traditionnelles (icônes, artisanat, architecture en bois) aussi bien que dans l’influence qu’il a bien voulu prendre de l’art européen, puis de son influence en retour sur la France (via les exilés, en particulier). Pour le Panorama illustré de la fantasy & du merveilleux, j’avais pris un grand plaisir à distiller un tout petit peu de mon savoir tout neuf sur le sujet, par le biais d’un article sur Ivan Bilibine. Jugez alors de mon plaisir à découvrir « en vrai » les minutieuses peintures de cet illustrateur!

Dans le labyrinthe d’Orsay, nous n’avions pas vu tout de suite l’entrée principale de l’expo, montâmes donc directement à la section des illustrations — bien nous en pris: trois heure de plongée émerveillée dans un univers magique et folklorique, le plus souvent d’une saisissante modernité encore aujourd’hui. Et puis, quel plaisir de voir pour une fois l’illustration considérée au même niveau que les arts académiques et reconnus de la peinture et de la sculpture.

#897

Beautiful, Paris (2)

Notre dernier repas fut également bien parisien: une salle aux soubassements noirs et aux murs couverts de miroirs, aux alentours des Champs-Elysées — non loin d’un salon de coiffure ultra-chic où, sales mômes pouffant, nous admirâmes le cuir chevelu épars d’une vieille bourgeoise. Plats bien parisiens, clientèle bien parisienne, en particulier cet évident habitué, vieil excentrique en cape et bottes pointues, qui s’installa la lippe atrabilaire non loins de nous, en compagnie de son minuscule toutou. On aurait dit le frère ermite urbain de Jean Topard, épaules courbées sous le poids du monde, solitude hautaine et douloureuse.

Importants, les repas, afin de ponctuer de saveurs le confort dilettante d’une flânerie lutécienne. Le plus esthétiquement satisfaisant fut sans doute celui pris à la « Cantine russe », juste à côté de la Fondation Mona Bismarck. Il y avait comme une sorte de suprême élégance à découvrir un restaurant russe sur notre chemin juste au moment du repas, savourer un borsch après avoir passé la journée précédente à écarquiller mirettes devant Golovine, Répine, Bilibine, Kouindji ou Vroubel. Le réel s’esthétise tout seul, parfois: serendipity.

#896

Beautiful, Paris (1)

Cela a commencé par un bistro bien parisien, les vitres ourlées de givre, le plaisant serveur en gilet noir, l’art-déco fanné tout en orange et brun. Raconter un voyage, si bref soit-il, cela ne devrait-il pas être aisé? Un point de départ, un trajet linéaire, une arrivée. Mais rien n’est simple, tout se complique, pour citer Sempé: les souvenirs flous, les points saillants du plaisir et de la flânerie, les moments de fatigue, l’étouffement des trajets en métro, l’ennui d ‘une rencontre engoncée avec un type qu’on n’aime pas, le bonheur au contraire de se trouver avec ceux qu’on aime, des tableaux, tant de tableaux, le béton calme du Palais de Tokyo, les feuilles rouges et jaunes craquant sur le sol, l’eau brillante du canal, la respiration d’une marche, le froid cinglant, tout se mêle et quelques jours après, comment raconter?

Alors commencer par le premier repas, juste en arrivant gare de Lyon. Ligne 1 direction les Tuileries puis le choix un peu au hasard d’une carte où le mot « goulash » me met l’eau à la bouche. Comme un avant-goût de l’exposition qu’on l’on va voir, sur les Russes. Une potée rouge et odorante, au fumet de vacances. Au-dehors, mon cousin Melvil ne frissonne même pas, en dépit du froid hivernal. Il est nu sur tous les murs de la capitale, pour l’affiche de son dernier film.

#895

Pour un message posté sur ce blogue, combien d’autres pensés, envisagés, mentalement rédigés, mais jamais concrétisés? Il faudrait par exemple que je me décide à broder autour de mon récent voyage parisien. Que je dise le bonheur intense ressenti à la lecture du dernier Murakami (Kafka on the Shore. Du bonheur différent mais non moins intense ressenti à mon début de lecture du dernier Vonarburg. Et idem encore à relire les deux Pagel que je publie fin janvier… Ou bien râler contre les célébrations de la victoire de Napoléon à Austerlitz — quelle indécence, personne ne veut-il se souvenir de quel tyran il s’agissait? Mais enfin… Peut-être un peu de flemme, et puis tant de choses à faire, et puis un invité, et puis… La vie, quoi. Agréable et bousculée.

#894

Lu: Les voitures volantes – Souvenirs d’un futur rêvé.

On nous l’avait prédit, maint et maint fois : en l’an 2000, chacun voyagerait dans des voitures volantes. Hélas, cinq années plus tard, nous ne voyons toujours pas le moindre de ces libres véhicules sillonner nos cieux, tandis que leurs tristes équivalents routiers flambent au bord du trottoir… Que c’est-il donc passé, qu’est-il advenu de cet avenir radieux? L’auteur du bel ouvrage récemment publié chez l’éditeur suisse Favre se propose de nous présenter « une époque dont le futur n’état pas notre présent » — jolie formule, réellement, qui outre qu’elle clôt une introduction superbement rédigée dans un style digne des meilleurs livres d’histoire de l’art, résume me semble-t-il assez bien le sentiment de vertige de l’imagination et de doute sur le réel qui s’est bien souvent emparé de moi à la lecture de ces pages.

Car si elle est née dans la littérature de science-fiction et dans les illustrations qui l’accompagnait, l’idée d’un appareil volant combinant les avantages de l’automobile à ceux de l’avion, a ceci d’étonnant qu’elle est très vite passée dans le domaine du réel. Patrick J. Gyger, actuel conservateur de la Maison d’Ailleurs (le musée de la science-fiction, à Yverdon, en Suisse — une exposition s’est tenue en parallèle de la sortie du livre), se trouvait certainement en idéale situation pour ainsi explorer un concept tenant tout autant du fantasme science-fictif que de la réalisation industrielle (on notera de plus que l’écrivain et grand érudit de la SF Francis Valéry est crédité d’une collaboration à cet ouvrage — en vérité l’essentiel du travail stylistique et cela se voit). Et rarement il nous aura été donné à aller et venir avec autant de talent et de pertinence entre l’histoire de l’esthétique, de la littérature, de l’industrie et de la technologie. En fait, je ne vois guère que le catalogue Scènes de la vie future (sur l’architecture européenne et la tentation de l’Amérique de 1893 à 1960), publié par Jean-Louis Cohen chez Flammarion en 1995, a avoir déjà réussit pareil exercice d’érudition.

Qu’il soit rendu grâce à Gyger et Valéry de nous permettre d’allier des documentations techniques précises aux rêves des images les plus folles, la naïveté des aluminiums fuselés et des lignes futuristes kitsch. Combien d’uchronies pourraient naître de ces pages? Car s’il y a bien une chose qui m’a particulièrement frappé, c’est l’ironique paradoxe des vices du système capitaliste exposé dans les déboires et échecs même des projets les plus avancés des voitures volantes. Chaque fois, il se trouve des actionnaires avides pour saborder le projet par appât du gain rapide, des industriels pressés d’enterrer une invention pour cause de courte vision, des administrations pour interdire une technologie trop nouvelle pour leurs paperasses… Si nulle aerobile, aucune convair, zéro skycar ne survole nos cités, c’est semble-t-il parce que le libéralisme à l’américaine ne permettait pas un tel saut conceptuel et commercial.

Trop rares sont les livres qui, dans le domaine des littératures de l’imaginaire, sortent des sentiers battus et rebattus du format roman: il semblerait que nos éditeurs soient frileux, terriblement conservateurs dès qu’il s’agit d’esthétique. C’est aussi pour cela qu’il convient de louer des initiatives telle que les grands romans de chez La Volte ou ce beau-livre publié sous l’égide de Favre. L’œil se réjouit, le texte se déroule, la nostalgie monte des pages.