#772

Le travail fatigue, même lorsqu’il est très plaisant, et c’est bien une des contingences humaines les plus ridicules. La fatigue qui pique les yeux, lance de vagues douleurs dans le dos, rend las alors même qu’on n’a pas envie de dormir, alourdit jambes et bras, enbrume la tête… Sans aller dire avec Coluche que le travail est mauvais pour la santé (« La preuve, il y a même une médecine du travail »), disons qu’il faut parvenir à équilibrer le temps de travail et celui de repos, ce qui n’est pas forcément aisé lorsque l’on travaille chez soi — et que le boulot à avancer est en quantité importante, rapport à ma semaine prochaine de vacances dans le sud de l’Angleterre! (J’aime bien ce « rapport à », langage de gendarme de bédé) Les trouble du sommeil n’arrangent rien. Et dormir m’est rarement facile. Mais enfin, bien sûr, je ne me plains pas de ma situation: je suis heureux de faire ce que je fais. Sur cela, pas de doute. Pourtant, la plupart des fins de journée me trouve fatigué, d’une grande lassitude qu’une douche ne transforme guère qu’en sorte de relaxation piquetante, comme une vibration en sourdine dans tout le corps.

Il y a la fatigue de l’écriture de fiction: la tension de l’évasion en soi, de l’attention aux détails, du ressenti des atmosphères à rouler sur une langue méditative. Il y a la fatigue de l’écriture d’essais et de chroniques: l’effort de regroupement des idées, la frustration de la nécessaire densité (que j’aimerais avoir la place de m’étendre, de disserter longuement), les limites personnelles, les limites contextuelles. Il y a la fatigue de la traduction, plus mécanique, entraînée par les rouages d’un texte qui ne vous appartient pas. Il y a celle aussi de la maquette, entre excitation et minutie, avec la lenteur informatique et le scintillement de l’écran. Il y a celle enfin de la (re) lecture, des textes proposés et des traductions à vérifier, où l’attention doit être aiguë, alors que ronronne toujours le monologue intérieur.

Pour paraphraser une formule d’Assouline, j’écris parce que je n’ai pas la force de caractère de ne pas le faire. Reste à savoir pour qui j’écris. La solitude tend souvent à me submerger, cette solitude constante qui est le joug contre lequel je dois lutter en permanence. Il me faut tout le temps me réconcilier avec moi-même, me supporter avec mes impatiences, mes doutes, mes crises d’angoisse, mes désirs lancinants, mes amusements, mes ricanements, mes éblouissements, mes tensions, mes éparpillements, mes lassitudes… Comme le disait l’assassin Lacenaire, dans Les Enfants du Paradis: « Les fous, ils me disent de surveiller mes fréquentations et ils me laissent seul avec moi-même! ». Un « moi-même » biaisé sur ce blog: seul mais parlant à d’hypothétiques autres, supposant le monologue égoïste d’un journal intime alors qu’il s’agit en fait de penser à haute voix, donc d’être un peu entendu.

2 réflexions sur « #772 »

  1. Très belle note, merci.

    Je dirais « count your blessing », si j’ose dire. Au moins tu fais quelque chose d’intéressant et de créatif et que tu as choisi. C’est beaucoup, crois-moi!

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