Lu « La Malédiction d’Old Haven », de Fabrice Colin. Un fort pavé: 640 pages, ou peu s’en faut. Pourtant, l’intrigue en est si prenante et le style de Fabrice tellement fluide, comme toujours, que j’ai lu cela en trois jours seulement.
S’agissant d’une publication de la collection Wiz de chez Albin-Michel, je suppose que l’on s’adresse à des ados — mais ça ne ressent pas spécialement. Bien au contraire, la fin est particulièrement noire. Ne connaissant finalement pas trop ce qui se fait en fantasy pour les ados maintenant, je m’étonne — mais me réjouis — d’un ton aussi mûr. Ce mélange de fantasy et de lovecraftien devrait en secouer plus d’un, tout de même! En tout cas, que voilà une belle oeuvre, puissante, emplie d’images superbes, et portée par une intrigue vraiment originale. Ces dragons, ces mages cachés, ces complots de sorcières vouées à Dagon, ces paysages tourmentés de Nouvelle-Angleterre, ce New York (Gotham) quasi médiéval, ces technologies steampunks, ces pirates… quelle richesse!
Amusant: j’ai lu ce Colin entre deux Vonarburg, et dans les deux l’on nous propose des uchronies religieuses! Chez Vonarburg, c’est une Terre où une partie des pays d’Europe ont suivis la voie gnostique et arianiste (Jésus avait une soeur jumelle, Sophia) ; chez Colin, les Catholiques ont imposé une nouvelle Inquisition sur le territoire nord-américain (balayant les Puritains). Mais, alors qu’on se trouve chez Vonarburg dans une littérature de style et de construction classique (au sens Balzac-Maupassant du terme, disons), Fabrice Colin s’inscrit dans une littérature contemporaine, et plutôt anglo-saxonne de forme (au sens Gaiman-Swanwick), avec suspense puissant, action constante (je ne puis m’empêcher de me dire qu’il tenait là la matière de ce qu’une ambition moindre que la sienne aurait transformé en trilogie), fuite en avant des personnages-vecteurs. Colin ne cesse de bâtir des constructions fabuleuses, de véritables rêves de gosses (maisons sous un arbre, palais caché dans une falaise, etc) — pour aussitôt les détruire! Réjouissant et haletant.
Le seul élément, peut-être, qui pourrait empêcher de considérer ce roman comme un pierre véritrabelement majeure de la fantasy, c’est, comme toujours chez Colin, une certaine tendance à l’hommage: ici, des emprunts à Lovecraft, un clin d’oeil à Derleth, ce genre de choses. Mais qu’importe en vérité: Swanwick aussi, a fait partiellement dans le post-modernisme avec son chef-d’oeuvre qui sort aux États-Unis en janvier prochain (« Dragons of Babel »), et sans doute est-ce une voie importante pour le merveilleux: reconnaître son propre passé, pour cérer de nouvelles intrigues — bien loin du tolkiennisme. En tout cas, je m’estime veinard d’avoir lu presque coup sur coup autant d’oeuvres fortes et majeures de la fantasy: le Swanwick, les Vonarburg, ce Colin… Fichtre! Je ne suis pas certain que la science-fiction présente actuellement une telle vigueur.
PS: juste trois détails… Le titre ne me semble pas très pertinent, il reste des fautes d’orthographe et de typo (qui a dit qu’on n’en voit que chez les petits éditeurs, hm?), et… Fabrice, le coup du marin-pêcheur qui veut se noyer dans son travail, c’est un jeu de mot volontaire?
Tous mes jeux de mots sont volontaires, sache-le. Mais ils sont normalement destinés aux jeunes lecteurs 😉
Tiens il a changé de titre? 🙂
Quand j’ai eu les épreuves non corrigées il s’intitulait Mary Wickford, j’aimais bien. Et je l’ai dévoré.
Wow, je n’avais pas percuté pour le jeu de mots, joli! 😀