#1933

Jolie citation de Flaubert dans le dernier Canard enchaîné :

Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. – Voilà la troisième fois que j’en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la Haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. – Et j’ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre. C’est la haine que l’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète. – Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. […] Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton.

[Lettre à George Sand du 12 juin 1867]

#1932

Au moins ne suis-je pas blasé: je suis toujours amusé de pouvoir faire un aller-retour à Paris dans la journée, les mains dans les poches. Prendre le TGV comme l’on prendrait le bus. Et puisque deux rendez-vous nous ont fait faux bond, ce fut une après-midi de repos, après une matinée un peu rude avec les représentants et un délicieux déjeuner éthiopien avec Daylon. Et avant un petit marathon de compta et deux marathons de mise en page qui devraient bien occuper mon mois de septembre… Nous traînâmes en terrasses, ce « nous » englobant Julien le Number Three des Moutons et Axel mon récent ex-coloc. Fascinant comme les gens appartiennent pour la plupart à des types, à des looks: en vingt minutes je vis passer des sosies de Karim Berrouka, de Jean-Michel Nicollet et de Stéphane Marsan. Visite de la jolie chambre du jeune homme, au sein du coquet quartier de Charonne. Petites rues et pavés au sol, les lieux où se battirent autrefois deux apaches pour la belle Casque d’Or sont ma foi ravissants. Même un poste de police, un peu plus loin, élève une pimpante façade blanche aux élégantes décorations anciennes. J’aime bien flâner à Paris, nonobstant le prix exorbitant du moindre café.

#1931

Lecture du Voleur de Georges Darien. Dieu que c’est chiant. Enfin, il y a des demi-pages où il se passe quelque chose et dans ces cas-là c’est amusant, comme une version sombre de Lupin, mais il faut entre-temps se taper trois pages et demi de vociférations cyniques et enflammées sur la méchante société et les méchants riches. Quite tedious. Tant la préface d’Andre Breton que l’intro de l’éditeur prennent la peine de nous expliquer que ce roman ne s’est pas vendu. Eh bien, eh bien, comme c’est étonnant.

#1929

Simenon continue d’accaparer une bonne partie de mes lectures du moment, tant je trouve que sa prose douce et en demi-teintes, contemplative, convient bien à la saison. Lu tout de même aussi deux Veronica Stallwood (du polar « cosy » situé à Oxford, j’aime bien la lire de temps en temps), et je navigue aussi chez Maupassant — avec en arrière-pensée le nécessaire retravail profond de mon Arsène Lupin, une fois encore. Étonnant comme ce sujet se vend bien. Comme je viens, avec Xavier Mauméjean, de repenser la Bibliothèque rouge (nouveau départ au volume 20, en février), que Sébastien Hayez vient d’en concevoir les nouvelles couvertures, et que j’avance tranquillement dans la nouvelle mise en page aussi, eh bien, il n’était pas question d’en rester au seul Sherlock Holmes, une vie. D’autres volumes de la collection sont épuisés ou en voie rapide de l’être. Hercule Poirot, Arsène Lupin, Jack l’Éventreur… Alors je réfléchis aux réécritures nécessaires, afin de mettre ces sujets au niveau de nos ambitions renouvelées. D’où Maupassant, donc, où picorer quelques éléments pour le Lupin. Alexandre Mare m’a aussi conseillé Le Voleur de Georges Darien, que j’ai tout de suite trouvé chez mon bouquiniste favori et que j’ai entamé — c’est d’une prometteuse ironie. Acquis aussi une bonne pile d’ouvrages divers autour de la Belle Époque, tant qu’à creuser le sujet. Je fouille, je cogite — succulent boulot de recherche et d’enrichissement, j’adore ça.