#2016

Fait trop beau pour travailler. Suis donc allé me psychogéo-promener. Direction Vaise, que j’avais eu l’idée d’un peu explorer l’autre jour, lorsque je m’étais rendu pour une interview dans les locaux du mag Lyon Capitale (avec un e). Première étape: « Libertango » dans la rame du métro automatique, il n’y a pas de chauffeur mais il y a un accordéon, c’est bien mieux. Et puis j’aime la carapace orange de ce métro, et ses sièges en plastique blanc moulé, si seventies, s’il vous plaît ne changez rien.

Coincé entre la double voie, le chemin de fer et, perché là-haut sur ses jambes de béton, l’autoroute, le quartier de la Trappe doit-il son nom à des trappistes, comme semble l’indiquer un restant de monastère transformé en habitations à loyer modéré? Comment vit-on sous une autoroute, y est-on aussi heureux, aussi malheureux, aussi ordinaire qu’ailleurs?

Les situationnistes voulaient que l’on découpe les villes en zones différentes en fonction des ambiances — mais ici nous sommes plutôt chez Ballard, c’est-à-dire dans l’interzone. Dans ce genre de non-lieux, la ville bégaie: entrepôts et petites maisons, des talus, les herbes folles de la voie ferrée, l’éclat d’une eau sous une bicoque, des portails bâillant sur des cours atones. Un panneau annonce le CNED mais derrière les losanges du grillage ne sont que de grands tas de sable clair, soigneusement protégés des éléments par un toit ondulé.

Suivent des pavillons, chacun planté au centre de son lopin, façade pincée comme un visage désapprobateur, tendus dans la conscience qu’ils ont d’être incongrus entre le hangar et la piscine. Pas encore tellement de feuilles aux arbres, mais des fleurs, plein de fleurs: blanc des pruniers et rose vif des pivoines. Ces dernières flambent devant une demeure close, peut-être abandonnée, rêve cossu désormais enclavé. Chaque fois que je vois ce type d’architecture, je ne peux m’empêcher de penser au pavillon de la famille de Boule & Bill.

Sans doute il y a-t-il une certaine logique à placer dans un coin perdu le service des objets trouvés, me dis-je en voyant un panneau l’indiquer. Enfin, Lyon n’est pas Bruxelles, et d’ailleurs Vaise est à peine Lyon, en tout cas dans ces confins, mais il y a tout de même des fresques: je croise Joost Swarte, puis Loustal. Un peu plus loin celle de l’has been Margerin est considérablement délavée. La plus belle s’exhibe dans un tout autre quartier, à la Guillotière: par Schuiten, Bruxellois s’il en fut, un immense paysage futuriste, sans doute l’intérieur d’une arche stellaire. La nuit, des lumières viennent rehausser ce vertigineux trompe-l’œil.

Je rentre finalement par les quais, ceux de Saône, pas encore réinventés par les psychogéographes officiels et artistes mandatés. Seule trace pour l’instant des travaux à venir, de grands tas de gravas et de pavés. Je reste un long moment à regarder agir un engin de chantier, qui ramène à lui les éléments glissants et poussiérants, sa large gueule au bout d’un long cou racle, ratisse, ramasse — mais je ne suis pas parvenu à répondre à une interrogation: comment l’engin redescendra-t-il de la pyramide au sommet de laquelle il se trouve ainsi juché?

#2015

Vu Christopher and His Kind, très beau téléfilm récent de la BBC, adapté d’une autobio de Christopher Isherwood, avec Matt Smith dans son rôle. Ils sont trop forts, ces Anglais — un téléfilm totalement pédé (!) et formidablement touchant. Isherwood demeure mon écrivain favori. Vraiment, profondément. J’ai lu quantité de fois A Single Man (il faut d’ailleurs que je revois la très belle adaptation avec Colin Firth) et les Berlin Stories, et deux fois la plupart des autres — il n’y a je crois que son livre sur ses parents, que je n’ai bizarrement toujours pas lu. Isherwood ne cesse de me parler, de me bouleverser, de me fasciner. Au point que j’ai également lu, énormément, sur et par ses amis: Auden, Day Lewis, Spender, Upward, MacNeice… et sur leur époque. Après avoir regardé Christopher and His Kind, j’ai regardé un entretien avec Isherwood datant de novembre 1969 (Christopher Isherwood, a Born Foreigner), diffusé à l’époque sur la BBC. Et voir Christopher Isherwood, en vrai — comment dire? C’est pour moi une expérience tellement étrange, tellement bouleversante… L’entendre parler (et je comprends pourquoi Matt Smith s’est efforcé de parler ainsi du nez: Isherwood avait une voix nasillarde), le voir bouger, rire, conduire sa voiture… Quelle expérience troublante! J’ai vu plusieurs fois Stephen Spender (je me souviens même l’avoir vu en direct à la télé, dans « Apostrophes »), j’ai regardé il n’y a pas longtemps un documentaire sur Auden, mais là… Isherwood, quoi. Mon auteur culte à moi que j’ai. Émotion.

#2014

Fini de traduire Psychogeography. Reste des ajouts à effectuer, dont un dernier chapitre parisien. Reste le ballet des retouches et des vérifications. Mais le gros du chantier est évacué, soulagement. Suis sorti pour fêter cela, faire quelques courses dans mon supermarché levantin favori. Je vois s’allonger les ombres, très nettes, découpées au rasoir du soleil bas sous le ciel d’un bleu fragile, bousculé de nuages. Une menace de pluie ourle de grisaille le bord de ces derniers, avec pour seul effet la fraîcheur du fond de l’air, « comme on dit ». Il doit être d’un bleu profond, outre-marine, ce fond de l’air. Afin que la lumière éblouisse mieux, à cette saison. Le quotidien ordinaire et toute propre, nettoyé par un soleil encore hivernal malgré sa douceur, se trouble soudain: deux événements entrent en collision avec le réel. D’une part une camionnette aux couleurs fanées, qui dans la rue crache les flonflons étouffés d’une musique de cirque, Pinder est là qui passe, enroué. D’autre part un jeune homme torse nu, qui fonce sur le trottoir dans le roulroulroul de son skateboard, poitrine large et bronzée, sur laquelle se détachent les auréoles pâles de ses seins. Je rentre, la lumière coule à flot dans le salon, j’ouvre la fenêtre — frisson soudain, une grande ombre: à bout de flèche de grue, la bétonnière intercepte le soleil avec ses flancs rebondis. Elle glisse latéralement, je suis de nouveau ébloui, cligne des yeux pour remettre le monde en ordre.

#2013

Il y a quelques années, j’avais lors d’un voyage à Londres ressenti un véritablement choc ontologique. Le vertige absolu: la réalité avait changé de nature. J’ai de nouveau ressenti une telle émotion hier, alors que je fouillais sur le web à la recherche de certains clichés londoniens.

Mon premier choc ç’avait été, me tenant sur le Millenium Bridge, de me retourner vers la City et d’y voir s’ériger, soudain, une tour surnuméraire: le Gherkin de Norman Foster. Je savais qu’on devait la construire, mais de la voir, là, en vrai, soudain — vertige. La réalité ne correspondait plus du tout à l’image mentale que j’en avais. Cette tour étrangement oblongue que je n’avais vu qu’en modélisation 3D, elle s’érigeait là, immense, énorme — car en plus, les courbes du Gherkin provoquent un étonnant effet d’optique, qui donne l’impression que la tour est bien plus imposante de loin qu’elle ne l’est en réalité de près. Sidération: avec cette tour, c’était le futur qui avait remplacé le présent.

Même choc hier, en découvrant un panorama à 360° de Londres où s’érigeait un élément monstrueux, impossible, immense: une tour sur la rive sud. Je mis un instant à la reconnaître — c’était The Shard, mais en construction. Ainsi donc, on bâtissait réellement cette tour géante? J’allais faire un tour sur Google Earth, et oui, j’y trouvais plein de photos du monstre à différentes étapes de son élévation. Sidération: The Shard, c’est plus que jamais le futurisme, l’intrusion d’une vision SF dans le réel. Vertigineux.

#2012

Wow. Il fait beau. Ça sent le printemps. Bonheur ! Dès qu’il fait bon et qu’il y a du vent, avec un complet ciel bleu, j’ai tendance à penser à la mer… Et avec les claquements du drapeau en haut de la grue, la synesthésie est encore plus prégnante. Manque le bruit des vagues…

Je m’éclate vraiment à travailler sur Psychogéographie !, mais suis juste un brin agacé d’être en retard sur plusieurs choses, et trop souvent fatigué le soir. Encore trop occupé, quoi. Limite burn out, même que. Sortie de l’hiver + beaucoup de boulot, c’est rude. Du coup, la tête pleine de textes, je n’arrive plus à lire de romans. Je dévore des tonnes de comic books, à la place. Ça me change de rythme et d’univers, j’aime. Ainsi me suis-je enquillé coup sur coup l’intégrale des Starman, des Sandman (et dérivés), des Sandman Mystery Theatre, une portion des Nexus, les Freakangels, là je me refais les Fables, avant sans doute de continuer les Lucifer