Archives mensuelles : mai 2011
#2030
Nostalgie? Non, en tout cas pas au sens de regrets. C’est plutôt avec une certaine surprise, un peu incrédule, que je considère tous ces vieux Yellow Submarine — la production de tant d’années de passion. Une autre vie, en fait, dont mon souvenir est déjà imprécis. Sans regrets donc, puisque ce que je publie de nos jours satisfait ô combien mes forts anciennes aspirations éditoriales, mais il m’amuse de retrouver quelques-uns de ces visuels (une galerie partielle existe sur la nooSFere, viens-je d’apprendre)… Par ordre chronologique: couvertures par Patrick Marcel, Philippe Dupuy (avant Dupuy & Berberian), Lewis Trondheim (à ses débuts), François Schuiten, Michel Crespin, Bruno Bordier.
#2029
En faisant un tour en librairie vendredi, j’ai découvert que la maison Denoël venait de publier la traduction d’un space opera que j’avais adoré — il date de 1991, il n’est pas fréquent qu’un éditeur français se donne la peine de « repêcher » un roman un peu ancien qui n’a pas été traduit. D’autant que l’éditeur ne pourra pas aligner un deuxième roman du même auteur pour en établir le nom — le seul publiable a déjà été traduit il y a quelques années, à savoir le classique mineur Le Pouvoir, chez Folio-SF. Bref: Destination Ténèbres est le titre, Frank M. Robinson l’auteur. Et il faut lire ce très, très beau roman.
Je viens de signer le BAT du prochain numéro de Yellow Submarine, consacré cette fois à la science-fiction japonaise. Beau dossier co-dirigé par Nicolas Lozzi et Tony Sanchez, c’est passionnant, j’ai appris plein de choses, les collaborateurs sont formidables, vraiment une excellente livraison. Parution en juin — je regrette seulement qu’ils n’aient pas chroniqué Rosée de feu de Xavier Mauméjean, que j’ai justement lu hier. Dévoré, même: pourtant, je ne suis pas du tout amateur de récits de guerre (euphémisme). Mais ce roman est bien plus que cela, poignant, fascinant, il frappe vite et fort, et son exotisme est étonnant.
Ce Yellow Submarine est le n°135 — eh oui, ça fait beaucoup. Faut dire que je publie ce fanzine depuis mars 1983, et qu’il fut longtemps mensuel… Je me suis récemment replongé un peu dans la collection, en faisant du rangement. Et puisque Destination Ténèbres de Frank M. Robinson est enfin traduit, je me suis souvenu l’avoir autrefois chroniqué. C’était dans le n°98 de janvier 1993, sous couverture de Bruno Bordier (je voulais la reproduire mais mon foutu scanner ne marche encore pas, merci Epson). Bon, la chronique n’est pas absolument mémorable mais si je peux contribuer un tant soit peu à ce que ce roman ne soit pas un four atroce… (tiens, à l’époque je disais que je verrais bien Ailleurs & Demain traduire ce roman: raté!)
Le vaisseau spatial Astron explore l’espace depuis des siècles, à la recherche de traces de vie extraterrestre. En vain jusqu’à présent. Et maintenant, le seul moyen de continuer cette recherche c’est de traverser l’Obscurité, une vaste zone spatiale presque dénuée d’étoiles, pour parvenir de 1’autre côté à une zone formidablement riche en possibilités de vie. Mais une telle traversée prendra cent nouvelles générations d’équipage, et l’Astron est fatigué. Autrefois vaste et puissant, l’Astron a vu son équipage diminuer lentement au fil des siècles, son équipement s’user, son infrastructure porte toutes les traces de l’injure du temps, l’atmosphère recyclée a pris une saveur écœurante, l’équipage lutte centre la claustrophobie…
L’Astron est-il encore capable d’avancer dans 1e vide, pour une quête qui n’a jamais porté ses fruits en tant de siècles? Le capitaine Michael Kusaka a été programmé pour ne pas vieillir et il dirige le vaisseau d’une main de fer depuis son départ de la Terre. Mais il semble avoir également été programmé pour ne pas faire demi-tour avant d’avoir trouvé…
Sparrow est un jeune membre d’équipage de dix-sept ans qui, suite à une chute lors d’une mission d’exploration d’une planète, est devenu amnésique. Mais pourquoi personne ne veut-il lui dire ce qu’il était avant son accident? Pourquoi certains semblent-ils vouloir sa mort? Pourquoi se retrouve-t-il courtisé aussi bien par le capitaine que par des apprentis-mutins? Comme si chacun cherchait une réponse en Sparrow, qui privé de passé se sent bien incapable de dicter 1’avenir…
J’ai envie de décrire cet admirable roman comme un « classique instantané ». Les « arches stellaires », ces vaisseaux spatiaux à multiples générations, font partie depuis très longtemps des grands thèmes traditionnels du genre et Frank M. Robinson a eu le talent de nous livrer un roman que l’on dirait tout droit venu des années 60/70 sans rien perdre de sa fraicheur. Excitant, passionnant, attachant, complexe, plein d’émotion et d’humanité, The Dark Beyond the Stars réinvente la science-fiction classique mine de rien, comme si cela allait de soi. La démarche ici adoptée n’est pas celle d’un Dan Simmons ou d’un Iain M. Banks : point de post-modernité, point d’hommages à la « culture SF ». C’est à une œuvre nette, tranchée, carrée, que l’on a droit. En cela, un James Blish n’aurait pas désavoué pareille roman. Et non content de ce classicisme réussi, Frank M. Robinson a doté son roman d’un surcroit d’humanité. Alors que tant de romans de SF tendent à ne faire de leurs personnages que de simples vecteurs de l’intrigue, donnant l’importance au cadre social et technolopique, Robinson a tout centré sur une poignée d’êtres humains, sur leurs sentiments, leurs personnalités, leurs rapports… Sparrow, Crow, Ophelia, Thrush, le Capitaine Kusaka et tant d’autres, vivent. Des êtres de chair et de sang habitent ces pages, et c’est la chaleur qu’ils communiquent à The Dark Beyond the Stars qui donne à ce roman son identité originale, son tranchant — qui lui offre le statut de chef-d’œuvre, à mon goût, plutôt que de classique mineur.
The Dark Beyond the Stars a reçu le prix Lambda 1992 du meilleur roman de science-fiction gay. Non pas que 1e principal de l’intrigue (ni même en fait qu’aucune ligne de l’intrigue) soit centré sur l’homosexualité. Et c’est là l’intelligence d’un tel prix : il aurait certainement été possible de dénicher un bouquin franchement gay à l’histoire SF un peu secondaire ; au lieu de quoi il a été choisi de récompenser la tranquille ouverture d’esprit de l’œuvre de Robinson : chacun au sein de l’équipage pratique une bisexualité tout à fait naturelle. Une mise en scène en matière de sexualité beaucoup plus payante qu’un militantisme agressif. […]
#2028
Life goes on. Les lectures aussi. J’ai fini la série Gotham Central, un comic book de polar sur la vie quotidienne de flics confrontés à une ville emplie de criminels cinglés et constamment dans l’ombre du quelque peu inquiétant Batman. C’est brillant. Revenant un peu aux romans, j’ai bien entendu dévoré le pavé nouveau de Roland C. Wagner, Rêves de Gloire — faut dire que j’avais pas mal d’heures de train à faire. Grand roman que celui-là, c’est bien la « grande oeuvre » que j’attendais de mon cher et vieil ami Roland. Profond, structuré avec audace et intelligence, souvent bouleversant, souvent marrant, à la fois très personnel et très universel, oui, c’est vraiment un grand livre. J’espère seulement que la couverture à maquette ringarde qu’on lui a collé n’en amochera pas trop la carrière, une telle uchronie devrait être en vente en littérature française, tout simplement. Maintenant je dévore le dernier Jasper Fforde — en m’exclamant à toutes les pages « bon sang ce mec est génial ».
Et puis, pour rester dans mes lectures bédé, je viens de lire la première intégrale de La Patrouille des Castors de Mitacq & Charlier, parue il n’y a pas très longtemps en Dupuis Patrimoine. C’est du « Signe de Piste » en bédé, naïf et attachant, délicieusement fifties. D’ailleurs je suis très fifties en ce moment, étant revenu de Bruxelles avec un chouette ouvrage sur l’architecture et la déco 50-60 à Bruxelles, sujet un peu gonflé (puisque cela correspond à l’époque de grandes destructions très discutables de cette ville — remarquez, ce fut le cas un peu partout) et cependant très logique (en me promenant à Bruxelles, j’avais très nettement l’impression de marcher à l’intérieur de décors de Franquin; cette esthétique 50-60 est en plein dans le style ligne claire), et traité là de manière formidablement complète. Je ne parles ici généralement que de mes lectures romans et bédés, mais en fait je lis également beaucoup, beaucoup d’essais, et notamment d’architecture ou de design.
Pour finir, une bien belle case des Castors; quel sens du dialogue!
#2027
Nina, la petite chatte de gouttière qui m’avait adopté il y a une dizaine d’années, s’est éteinte cette nuit à la clinique. Elle va me manquer. Elle me manque déjà. Car elle occupait une sacrée place dans ma vie, pour une si petite bestiole. C’était un individu, une compagne. Beaucoup plus que les deux autres, car elle était indépendante, adulte, bavarde, tendre, attentive — je communiquais avec Nina à un niveau nettement plus élevé qu’avec les deux adorables sottes qui me restent. La fin d’une belle histoire.