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Londres décembre 2011, digressions – 4

Souvent seul, voilà un point saillant de ma pratique psychogéographique. Et du défi que représentait pour moi ce séjour : me confronter à la solitude, cette monture qu’il me faut tout le temps dompter, dominer, presque chaque jour. La légère gêne du célibataire en vacances avec un jeune couple : essayer de ne pas embarrasser, de n’être pas trop présent, prendre la tangente. Par exemple en allant à la gare de Paddington à pied, le matin du départ prévu pour une journée à Reading. Et au retour, le soir, idem : un moyen de prendre un peu de distance et de tester, non seulement ma solitude, mais aussi ma perception de la ville. Aller le matin et retour le soir : la ville changeante, comment la reconnaître, par où passer, retrouver dans l’ombre ce que l’on a vu dans la lumière rasante. De nouvelles histoires à se raconter. Fascination par exemple d’un immeuble entièrement emmailloté de blanc, c’est ainsi que l’on procède en Angleterre : les échafaudages sont couverts d’un voile épais, qui transforme même le bâtiment le plus ordinaire, le plus pouilleux, en son propre fantôme. Éventré, cet immeuble bée ses étages brèches-dents, ses portes sur le vide, et je tente de deviner la silhouette d’origine de ce grand tas de béton en cours de… pas de démolition, vraiment : de démontage. Sans doute un immeuble années trente, de ce vilain Art déco comme il en poussa tant à Londres. Je ne crois pas être déjà passé par cette rue, et ne suis pas persuadé pouvoir la retrouver avec certitude une fois qu’on aura reconstruit quelque chose. Mais même dans des lieux amplement visités, connus, ma mémoire vacille devant une transformation radicale.

Qu’il y avait-il au carrefour derrière Central Point, à l’intersection de Shaftesbury, par exemple ? L’espace a été conquis par ce gargantuesque immeuble que l’on croirait bâtit tout en Légo, vert, orange, jaune : je connais l’endroit par cœur, il ne doit guère y avoir de coin où je ne sois passé plus souvent, depuis si longtemps, et pourtant je ne trouve pas trace dans ma mémoire de ce qui s’élevait ici avant cet événement urbain, cet élément si étranger. Il faudrait que Google Earth permette d’aller, un peu, dans le passé. Ah, tout de même je n’oublierai pas ce qui pour l’instant est un immense trou, au carrefour suivant, juste au pied de la tour : l’Astoria, où j’ai vu Caravan et Renaissance en concert ; le Virgin Megastore historique, où je suis tant et tant allé, ceux-là sont figés dans ma mémoire et ce que l’on construira à la place ne les effacera pas si aisément. Il faudrait également inventer l’appareil à saisir « en dur » les photos que l’on a en tête, tous ces visages, tous ces endroits, tous ces instants. Ou pas : c’est la trame intime de nos souvenirs, notre cinéma à nous, je suppose. Au même titre que ce que l’on retient d’un concert : Marillion au premier soir de ce séjour, Steve Hogart au dernier, dans un club de jazz sous Oxford Street — un Noël vraiment anglais.

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